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Liban : la représentation des femmes, un enjeu des prochaines élections

En amont des législatives du 15 mai, dans un Liban souffrant d’un manque criant de participation des femmes à la vie politique, directrices d’ONG, activistes et candidates se mobilisent pour plus de parité
Des Libanaises protestent contre la paralysie politique du pays et la profonde crise économique à Beyrouth à l’occasion de la fête des mères, le 20 mars 2021(AFP/Anwar Amro)
Des Libanaises protestent contre la paralysie politique du pays et la profonde crise économique à Beyrouth à l’occasion de la fête des mères, le 20 mars 2021(AFP/Anwar Amro)
Par Clément Gibon à BEYROUTH, Liban

Alors qu’en 1953, le Liban a été l’un des premiers pays arabes à donner aux femmes le droit de vote et de participation à la vie politique, les dernières décennies se sont révélées particulièrement rétrogrades en la matière.

Ainsi, depuis l’indépendance du pays en 1943, sur la formation de quatre-vingt-huit cabinets au gouvernement, seulement huit ont inclus des femmes.

Au niveau parlementaire, la représentation féminine n’est guère meilleure puisque sur les quinze formations recensées depuis 1963, seulement huit ont été inclusives.

C’est précisément pour ces raisons que le pays du Cèdre se retrouve à la 182e position – sur 188 – dans le classement sur la participation mondiale des femmes au Parlement (établi en janvier 2021), avec un taux pour le moins inquiétant de 4,7 %.

Un paradoxe, tant le Liban n’a cessé de s’engager au niveau international afin d’encourager la représentation des femmes dans la vie politique : ce fut le cas en 1995, avec la signature de la Déclaration et le Programme d’action de Pékin, considéré comme le principal document de politique mondiale en matière d’égalité des sexes, ou encore en 1996 avec la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW).

Mais sans réelle volonté de mettre en application ces accords internationaux, le pays semble voué à laisser ses femmes de côté, année après année.

Des barrières politiques, culturelles et économiques

Parmi les nombreuses raisons qui engendrent un manque de représentativité des femmes libanaises dans la vie politique, le système confessionnel est pointé du doigt par plusieurs expertes.

Selon elles, le communautarisme viendrait en effet à l’encontre des droits institutionnels et ferait passer la parité au second plan.

« La classe politique établie se montre particulièrement résistante à faire entrer des femmes dans son cercle. Les politiciens réagissent comme si ces dernières allaient prendre leur place »

- Fadia Kawan, directrice de l’Organisation des femmes arabes

Fadia Kawan, directrice générale de l’Organisation des femmes arabes, l’explique à Middle East Eye : « En politique, appartenir à une institution politique démocratique dans laquelle un ou une candidate obtient l’approbation de ses pairs est nécessaire pour pouvoir prétendre à une quelconque représentativité. Or, au Liban, il n’existe pas réellement ce type d’institution, le système est plutôt basé autour de dynamiques confessionnelles, tribales et familiales. »

« La classe politique établie se montre particulièrement résistante à faire entrer des femmes dans son cercle. Les politiciens réagissent comme si ces dernières allaient prendre leur place », développe-t-elle.

À cet aspect politique, il faut également ajouter une variable culturelle et sociale, dans laquelle s’inscrivent de nombreux stéréotypes et d’a priori misogynes.

Ainsi, certaines personnalités et partis politiques se montrent particulièrement virulents, n’hésitant pas à bafouer publiquement les droits des femmes.

C’est notamment le cas du président du Conseil des ministres, Najib Mikati, qui, après avoir remporté le vote de confiance au Parlement, a justifié l’absence des femmes en politique par des commentaires sexistes, définissant par exemple ces dernière comme avant tout des « mères, épouses, sœurs, filles ou petites-filles ».

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Pour Joelle Abou Farhat, fondatrice et coprésidente de l’organisation Fifty Fifty – qui a pour but d’augmenter le nombre de femmes dans la vie politique au Liban –, le constat est clair.

Le manque de représentation des femmes dans la vie politique libanaise, qui conforte ces dernières dans un rôle subalterne, est lié à la mentalité patriarcale et discriminante qui existe dans le pays, estime-t-elle.

« Les personnes dans les postes de décision ne croient pas que les femmes puissent prendre part à la vie politique du pays. Il n’existe pas non plus de stratégie nationale qui vise à sensibiliser et intégrer les femmes dans tous les domaines qui façonnent la société, et notamment la politique », déclare-t-elle à MEE.

Il convient également de noter que la crise économique au Liban a engendré une importante fuite des cerveaux, impactant directement les inégalités et le niveau de parité.

La dernière étude de Madanyat, une ONG qui s’engage contre la violence envers les femmes en politique, a ainsi révélé comment le taux de chômage élevé au Liban, couplé à l’incapacité de se projeter dans un futur incertain, avait poussé de nombreuses jeunes femmes à poursuivre leurs aspirations et objectifs ailleurs.

Dans le même temps, c’est également le coût économique des campagnes politiques qui empêche des candidates potentielles de se présenter aux élections.

« Il n’existe pas de stratégie nationale qui vise à sensibiliser et intégrer les femmes dans tous les domaines qui façonnent la société, et notamment la politique »

- Joelle Abou Farhat, coprésidente de Fifty Fifty

À plusieurs reprises, Halimé Kaakour, auteure de l’ouvrage Lebanese Women, Journey to the Parliament et candidate indépendante aux élections législatives qui se tiendront le 15 mai prochain, s’est ainsi posé la question de la difficulté à obtenir les ressources financières nécessaires pour démarrer sa campagne électorale.

« Comment, en tant que femme avec des valeurs qui s’écartent des dynamiques de corruption du pays, puis-je m’imposer en politique ? Je suis obligée d’accumuler plusieurs métiers pour pouvoir vivre dignement et travailler dans mon parti politique », confie-t-elle à MEE.

Halimé Kaakour décrit également les représailles dont les femmes qui se présentent aux élections peuvent être victimes parfois, surtout quand elles sont perçues par les élites comme ayant un pouvoir de nuisance.

Du harcèlement aux menaces de mort, en passant par les campagnes de haine en ligne, les préjudices subis par les candidates sont aggravés par la culture de l’impunité et le manque d’outils juridiques condamnant ce type de pratique au Liban.

La politique des quotas

C’est tout un système politico-économique doublé d’un héritage culturel qui tendent à décourager, voire empêcher, la participation des femmes libanaises à la vie politique.

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L’impossibilité de mettre en place des quotas est particulièrement caractéristique de ce système inégalitaire. La proposition de loi à ce sujet, rejetée en septembre dernier, devait notamment permettre d’accorder aux femmes au moins 26 places au Parlement sur les 128 que contient l’hémicycle, ainsi que d’imposer qu’au moins 40 % des candidats soient des femmes.

Alors que plusieurs membres du Parlement ont décliné ce projet, considérant qu’il ne faisait pas partie des priorités du moment ou que le système était déjà bien assez compliqué, d’autres se sont montrés plus hostiles, remettant en cause plus largement la participation des femmes en politique.

C’est notamment le cas de Rima Fakhry, seule femme appartenant au bureau politique du Hezbollah, qui a déclaré que « la femme reste une femme » et « qu’elle doit travailler pour réaliser les principaux objectifs pour lesquels elle existe ».

« Ceux-ci ne sont pas différents de ceux des hommes. Mais la différence se trouve dans les détails. Elle a un foyer. Elle est une mère et doit élever des générations. Cela prend beaucoup de temps à la femme », a-t-elle ajouté.

« Des guerrières »

Le mouvement contestataire de 2019 a néanmoins permis aux Libanaises de libérer leur parole et de se réapproprier l’espace public, permettant par la même occasion de structurer autour d’elles une conscience politique.

C’est dans cette optique qu’Halimé Kaakour dépeint un mouvement d’opposition féminin prêt à rentrer en politique malgré les nombreux obstacles existants.

« Ce qui s’est passé dans la rue ne peut que se refléter dans les élections. Je suis quasiment sûre que nous allons assister à une modification du paysage politique, avec plus de justice, qui se traduirait automatiquement par une meilleure représentation des femmes »

- Halimé Kaakour, candidate indépendante

« Les femmes des partis indépendants qui se présentent aux élections sont des guerrières. Elles combattent la culture patriarcale, se défendent contre les nombreuses menaces et le harcèlement et n’acceptent pas de se laisser manipuler par les partis traditionnels », se réjouit-elle.

Déjà, lors des dernières élections de 2018, le nombre de candidates avait été multiplié par dix par rapport à celui de 2009, où seulement douze femmes s’était présentées.

C’est pourquoi, malgré le rejet de la proposition de loi sur les quotas, Joelle Abou Farhat se montre plutôt optimiste quant à une augmentation du nombre de candidates lors des prochaines législatives.

« Ce qui s’est passé dans la rue ne peut que se refléter dans les élections. Je suis quasiment sûre que nous allons assister à une modification du paysage politique, avec plus de justice, qui se traduirait automatiquement par une meilleure représentation des femmes », décrit-elle à MEE.

Malgré tout, même si l’on peut espérer une plus grande participation des femmes à la vie politique, il reste au Liban beaucoup de chemin à parcourir avant d’atteindre un semblant de parité et, plus généralement, mettre fin aux nombreuses violences sociétales qui les touchent.

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