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La Libye espérait des élections pour guérir le pays. Au contraire, elles pourraient aggraver la situation

Alors que les candidats potentiels à la présidence ne disposent pas d’une large base et sont souvent très controversés, le scrutin de décembre s’annonce d’ores et déjà plus que clivant
Le Premier ministre libyen Abdel Hamid Dbeibah prend la parole lors d’une manifestation contre la Chambre des représentants établie dans l’est du pays, le 24 septembre à Tripoli (Reuters)
Le Premier ministre libyen Abdel Hamid Dbeibah prend la parole lors d’une manifestation contre la Chambre des représentants établie dans l’est du pays, le 24 septembre à Tripoli (Reuters)

Alors que la Libye est toujours plongée dans la crise, tous les regards sont tournés vers les élections prévues le 24 décembre 2021. La communauté internationale, qui a élaboré le calendrier électoral dans le cadre de sa feuille de route, tient particulièrement à ce que ces élections se déroulent à temps.

De nombreux Libyens réclament également la tenue de ces élections dans l’espoir qu’elles permettront enfin au pays de s’engager sur une nouvelle voie.

Pourtant, rien ne garantit que ces élections se dérouleront comme prévu. De nombreux obstacles doivent encore être surmontés, notamment l’adoption d’un cadre législatif et constitutionnel approprié.

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Malgré des mois de querelles, cette étape essentielle n’a pas encore été achevée. L’heure tourne et le calendrier soutenu par l’ONU reste difficile à tenir.    

Mais surtout, si tant est que les élections aient lieu un jour, il est peu probable qu’elles permettent de mettre un terme à la crise qui perdure en Libye.

Jusqu’à présent, les élections n’ont pas rendu service à la Libye post-Kadhafi et les solutions précédentes élaborées par la communauté internationale se sont révélées désastreuses, y compris le Gouvernement d’unité nationale (GNA) récemment formé, qui, comme son prédécesseur mis en place par l’ONU, était censé servir d’organe de consensus, mais qui s’est avéré être tout sauf cela.

Alors que le pays est plus divisé que jamais, rien ne permet d’imaginer que de nouvelles élections permettront d’apaiser les tensions qui déchirent le pays. Elles pourraient bien aggraver la situation. 

Une bataille pour la présidence

Bien que des élections législatives et présidentielles soient prévues, c’est le scrutin présidentiel, le premier de l’histoire de la Libye, qui provoque de loin le plus de remous.

Même si les nominations officielles ne sont pas attendues avant la mi-novembre, plusieurs personnalités ont déjà indiqué qu’elles pourraient présenter leur candidature, notamment l’ancien ambassadeur aux Émirats arabes unis Aref Nayed, qui a fait part de son intention de se lancer dans la course.

Cependant, avec des divisions régionales et politiques aussi profondes, il est difficile de voir comment l’une ou l’autre de ces figures politiques pourra transcender le clivage et faire l’unanimité.

Bien qu’il s’évertue à se présenter comme l’homme de toute la Libye, Khalifa Haftar demeure une ligne rouge pour de nombreuses factions de l’ouest du pays

Parmi celles-ci figure Khalifa Haftar, le chef de l’Armée nationale libyenne (ANL), qui est le principal prétendant dans l’est du pays. Le chef de la Chambre des représentants, Aguila Saleh, serait sur le point de se nommer lui-même, mais son électorat est extrêmement limité.

« Aguila est indésirable dans l’ouest comme dans l’est. Son temps est révolu », indique à MEE une source haut placée dans l’est du pays, qui a souhaité conserver l’anonymat.

Khalifa Haftar, en revanche, bénéficie d’un soutien plus large dans l’est. Bien qu’il ait sa part de détracteurs dans l’ouest, il peut au moins compter sur un soutien solide de la part de l’ANL ainsi que de certaines sections des grandes tribus cyrénaïques, qui sont restées en grande partie loyales malgré leurs doutes à la suite de l’échec de sa campagne de 2019-2020 contre Tripoli.

Pourtant, Khalifa Haftar aura du mal à gagner des voix au-delà de la Cyrénaïque et de certaines parties du sud. Bien qu’il s’évertue à se présenter comme l’homme de toute la Libye, Khalifa Haftar demeure une ligne rouge pour de nombreuses factions de l’ouest du pays.

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L’ancien ministre de la Défense Mehdi al-Barghathi résume le sentiment général : « Il ne pourra y avoir de stabilité pour la Libye tant que Haftar sera là », explique-t-il à MEE.

De plus, le soutien que Khalifa Haftar pouvait autrefois recueillir dans certaines régions de l’ouest, comme Zintan, Tarhounah et certaines villes côtières s’est largement dissipé après sa guerre contre Tripoli.

Khalifa Haftar a donc peu d’espoir de trouver un public dans l’ouest du pays. Ce constat est d’une importance capitale étant donné que la grande majorité de la population libyenne vit en Tripolitaine et que le président doit être élu à la majorité des voix.

Les candidats de l’ouest

Néanmoins, les candidats de l’ouest n’auront pas non plus la partie facile. Si l’ouest de la Libye la est plus peuplé que l’est et le sud, la Tripolitaine est divisée. Les votes dans l’ouest seront donc probablement partagés entre une poignée de candidats dont les programmes politiques ou les idéologies ne se distinguent guère. 

« Malgré toute sa propagande électorale, Bachagha ne peut même pas afficher son portrait dans l’est du pays »

– Source établie à Benghazi

On retrouve notamment dans cette liste l’ancien ministre de l’Intérieur Fathi Bachagha.

Populaire auprès de certaines factions de l’ouest, ce Misrati s’est toutefois heurté dans l’exercice de ses fonctions à de puissants groupes armés à Tripoli qui s’opposeront probablement à sa candidature.

Il est cependant l’un des candidats les plus forts dans l’ouest et s’efforce d’obtenir un soutien international. Sa candidature sera également favorisée par les efforts qu’il a déployés par le passé pour coopérer avec l’est et ses initiatives plus récentes pour rallier à sa cause les tribus associées à l’ancien régime.

Comme l’explique à MEE Abdeljawad Badeen, chercheur et universitaire libyen, « Bachagha cherche à combler le fossé entre les régions. Au moins, il a une vision et il est le seul à avoir la capacité d’atteindre les autres. »

Mais ce point de vue n’est pas partagé par tous. « Malgré toute sa propagande électorale, Bachagha ne peut même pas afficher son portrait dans l’est du pays », soutient un notable de Benghazi.

Fathi Bachagha, ancien ministre libyen de l’Intérieur, parle au téléphone lors d’une interview accordée à l’AFP dans la capitale Tripoli, le 6 octobre 2021 (AFP)
Fathi Bachagha, ancien ministre libyen de l’Intérieur, parle au téléphone lors d’une interview accordée à l’AFP dans la capitale Tripoli, le 6 octobre 2021 (AFP)

Également originaire de Misrata, l’ancien vice-président du Conseil présidentiel Ahmed Miitig est un autre favori potentiel de l’ouest du pays.

Bien qu’il soit parfois considéré comme un simple homme d’affaires, Ahmed Miitig jouit d’une certaine popularité dans l’ouest, même si, selon un notable de premier plan interrogé par MEE, « le soutien dont il bénéficie ne s’étend pas au-delà de Misrata – et même là, il a un concurrent ».

En dépit du succès notable qu’il a enregistré en septembre 2020 en négociant un accord avec l’ANL pour lever le blocus pétrolier, les personnalités de l’est estiment qu’il fait partie, comme Fathi Bachagha, du camp pro-turc et pro-révolutionnaire qui dirige la Libye depuis 2014 et marginalise délibérément l’est du pays.  

Des décisions « dictatoriales »

Il y a ensuite l’actuel premier ministre, Abdel Hamid Dbeibah, également originaire de Misrata. Même s’il n’est pas censé se présenter en tant que membre du gouvernement actuel, les spéculations vont bon train quant à sa possible candidature.

Les récentes promesses d’Abdel Hamid Dbeibah, qui s’est engagé à augmenter les salaires du secteur public et à distribuer des sommes d’argent, notamment pour les mariages, ont été interprétées par certains comme des signes de propagande électorale.

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Pourtant, si ces gestes lui valent une certaine popularité dans l’ouest, il n’est pas vu d’un très bon œil dans l’est du pays, où la pression en faveur de la tenue d’élections présidentielles est liée à un désir de s’assurer qu’Abdel Hamid Dbeibah ne puisse pas aller au-delà de son mandat.

Par ailleurs, même les membres de son propre gouvernement représentant l’est l’ont accusé dans un communiqué publié en octobre de prendre des décisions unilatérales et « dictatoriales ».

Outre le fait que ces personnalités de l’ouest bien connues seront potentiellement en concurrence les unes avec les autres, aucune d’entre elles ne sera acceptée dans l’est ou dans de grandes parties du sud. En effet, ils manqueront cruellement de légitimité en dehors de leur propre électorat. C’est pour cette raison qu’ils s’efforcent tant d’obtenir l’approbation et le soutien de la communauté internationale.

Peu probable qu’un candidat l’emporte dès le premier tour

Il y a un certain nombre d’autres noms potentiels dans le chapeau, dont le fils de Mouammar Kadhafi, Saïf al-Islam. Toutefois, même s’il bénéficie du soutien de certains fidèles de Mouammar Kadhafi, sa candidature n’ira pas loin, notamment en raison du jugement de la Cour pénale internationale à son encontre, mais aussi parce qu’il est associé à un passé peu glorieux.

De plus, l’électorat de l’ancien régime est hétérogène, d’où les efforts déployés par les deux camps pour le grignoter en recherchant son soutien.

Les deux camps cherchent à rallier à leur cause ou du moins à neutraliser les figures de l’ancien régime et leurs tribus. 

L’est veut un président fort, tandis que l’ouest préfère un Parlement plus puissant

Les récentes libérations de responsables de l’ère Kadhafi, dont le troisième fils de l’ancien dirigeant, Saadi Kadhafi, relèvent moins d’une initiative de réconciliation nationale que d’une manœuvre politique. Malgré ses déclarations faites en juillet au New York Times, il est peu probable que Saïf al-Islam gagne du terrain.

Parmi les autres candidats probables figurent Hafez Kaddour, ancien gouverneur de la Banque centrale et ancien ambassadeur du GNA auprès de l’Union européenne, ainsi que le cheikh al-Senussi al-Heliq, chef du Conseil suprême des tribus de Zaouïa, dont on dit qu’il envisagerait de se présenter.

Étant donné que ce dernier peut compter sur des alliances tribales aux quatre coins de la Libye, il pourrait être en meilleure position pour solliciter un soutien au-delà du clivage.

Interrogé par MEE, le cheikh al-Senussi al-Heliq se décrit comme un candidat potentiel « des tribus, des villes et des classes professionnelles » qui croit en « un président fort qui peut être aimé par le peuple et soutenu par la communauté internationale ». « Je pourrais placarder sans problème mes affiches de campagne n’importe où en Libye », assure-t-il.

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Néanmoins, dans un pays aussi fragmenté, recueillir un soutien suffisant représentera un défi pour tous les candidats, même les moins controversés.

En effet, il est peu probable qu’un candidat l’emporte dès le premier tour. Les candidats miseront toutefois sur un second tour de scrutin pour être catapultés comme par magie sur le devant de la scène.

« Quiconque obtient un tiers ou un quart des voix au premier tour sera éventuellement en mesure de recueillir suffisamment de soutien pour sortir vainqueur au second tour », indique Abdeljawad Badeen à MEE.

Cependant, même dans ce cas, il n’y a aucune garantie que les résultats seront respectés. Ceux qui n’accepteront pas l’issue des élections crieront à l’injustice et emploieront divers prétextes, notamment la base constitutionnelle et juridique du scrutin. Il y aura également des litiges au sujet des pouvoirs que le président pourra exercer.

L’est veut un président fort, tandis que l’ouest préfère un Parlement plus puissant. Cette question n’a pas encore été réglée.

Ainsi, même si les élections ont lieu, d’autres problèmes pourraient se présenter. « La tenue d’élections présidentielles dans l’état actuel des choses engendrerait un autre conflit, car ces scrutins ne reposent sur aucune base constitutionnelle », estime Abdeljawad Badeen.

Deux orbites distinctes

Mais surtout, le scrutin ne résoudra pas le problème fondamental auquel la Libye est confrontée, à savoir que l’ouest et l’est opèrent sur deux orbites distinctes et que les problèmes profondément enracinés qui sont au cœur du conflit depuis le début n’ont pas encore été résolus.

Même si les fissures sont comblées avec de nouvelles élections, cela ne changera rien au fait que tout vainqueur issu de l’ouest sera dans l’incapacité de se rendre dans l’est, qui est devenu presque hermétiquement fermé sous le contrôle de l’ANL. 

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L’expérience du GNA en est un bon exemple. Son incapacité à faire face à la réalité des structures de pouvoir sur le terrain dans l’est a sérieusement compromis son autorité et sa crédibilité, qui se limitent presque exclusivement à l’ouest du pays.

Abdel Hamid Dbeibah n’a même pas encore mis les pieds à Benghazi. Une nouvelle répétition de ce scénario serait un désastre pour la Libye.    

Cependant, si un candidat de l’est venait à l’emporter, tout effort déployé par l’est pour imposer son emprise à l’ouest serait tout aussi calamiteuse et risquerait de faire ressurgir un conflit ouvert. Le triomphe d’un candidat du sud ne serait pas non plus une solution. Bien que cette issue puisse en quelque sorte servir de compromis, il est peu probable qu’un candidat du sud ait l’influence nécessaire pour gouverner.

Cette situation sans issue est le triste reflet du clivage profond qui affecte la Libye. Depuis la révolution, la politique libyenne est de plus en plus façonnée par le principe de répartition des postes gouvernementaux entre les régions, devenu un principe directeur clé dans l’esprit des principaux acteurs.

L’idée que la Libye puisse s’accorder sur un candidat unique en tant que président avec des pouvoirs encore indéterminés est donc profondément erronée. Ainsi, bien que les Libyens fassent tout leur possible pour se rendre aux urnes à temps, il est peu probable que ces élections sortent le pays du bourbier. « Nous continuons de tourner en rond, et nous courons le risque de revenir à la case départ », prévient Abdeljawad Badeen.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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