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La guerre en Ukraine pourrait exposer l’Algérie à une crise de l’armement

Les importateurs d’armes russes sont confrontés à un risque accru de pénuries d’approvisionnement, alors que les fabricants russes s’affairent à répondre aux besoins de leur propre armée
Avion de chasse MiG russe stationné près de Moscou, le 27 août 2019 (AFP)
Avion de chasse MiG russe stationné près de Moscou, le 27 août 2019 (AFP)

Si le conflit en Ukraine rend probable une baisse des ventes d’armes russes à l’Algérie, le pays du Maghreb est tellement dépendant de Moscou pour son matériel militaire qu’il lui sera difficile de trouver des alternatives ailleurs, selon les analystes.

Les importateurs d’armes russes sont confrontés à un risque accru de pénuries d’approvisionnement, alors que les fabricants russes s’affairent à répondre aux besoins de leur propre armée.

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Le conflit sanglant qui dure depuis six mois aurait coûté la vie à 70 000 à 80 000 soldats russes, selon les estimations américaines, et contraint Moscou à utiliser de vieux chars tout en dilapidant son arsenal militaire, d’après de hauts responsables européens. 

Si les informations relayées sont exactes et que Moscou donne la priorité à ses lignes de front plutôt qu’aux exportations, cette décision pourrait avoir un impact désastreux pour l’Algérie, qui représente environ 15 % des exportations d’armes russes, selon le Service de recherche du Congrès américain.

L’armée de l’air algérienne se compose essentiellement d’avions de chasse MiG-29 et Su-30. Parallèlement, l’armée algérienne emploie des centaines de chars de combat T-90 et T-72 et la Force de défense aérienne du territoire dispose de systèmes de missiles de défense aérienne à longue portée S-300 et S-400. 

Selon Samuel Bendett, analyste au Center for Naval Analyses, rien n’indique actuellement que l’Algérie cherche à revoir sa relation avec Moscou en matière de défense.

« Compte tenu de la quantité de matériel de fabrication russe déjà présent en Algérie et des décennies d’expérience locale dans l’utilisation de ces technologies, il est possible que la Russie opte pour une forme de production d’armes localisée dans le pays d’Afrique du Nord », explique-t-il à Middle East Eye.

Chine et Turquie

Mark Katz, chercheur principal non résident au sein du think tank Atlantic Council et professeur à la Schar School of Policy and Government de l’université George Mason, estime lui aussi que l’Algérie essaiera probablement « de continuer d’acheter des armes russes » dans un avenir proche. 

Interrogé par MEE, il explique que « les types et quantités souhaités par l’Algérie pourraient venir à manquer en raison des difficultés de production rencontrées par la Russie et des propres besoins de Moscou en armes russes dans sa guerre contre l’Ukraine ».

 

« Si tel est le cas, l’Algérie pourrait bien rechercher des armes auprès d’autres fournisseurs qui ne lieront pas les ventes d’armes à des questions de droits de l’homme ou de démocratisation. »

Dans ce scénario, l’Algérie pourrait se tourner vers la Chine, la Turquie ou même des puissances européennes pour obtenir des armes.

« Je ne serais pas surpris de voir l’Italie ou un autre pays européen cherchant à augmenter les importations de gaz algérien pour remplacer l’approvisionnement russe tenter d’adoucir les choses en proposant à l’Algérie de lui vendre des armes », souligne-t-il. « Je ne pense pas non plus que les États-Unis s’y opposeraient trop vigoureusement dans les circonstances actuelles. »

En début d’année, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a appelé le président algérien Abdelmadjid Tebboune à revoir les liens d’Alger avec Moscou à la suite de l’invasion de la région ukrainienne du Donbass.

« Les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient ont déjà subi eux-mêmes les conséquences des campagnes militaires de la Russie », a déclaré Blinken lors d’un voyage à Alger, rappelant les précédentes incursions russes en Syrie et en Libye.

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« Il y a des moments où des questions dépourvues de nuances se présentent… Il est important de se tenir aux côtés de la victime et de défendre les principes qui ont également été enfreints. »

Alors que les États-Unis tentent de faire pression sur plusieurs États du Moyen-Orient pour les pousser à éviter la Russie, Abdelmadjid Tebboune continue d’accueillir des responsables russes et a précédemment qualifié la Russie de « pays frère ».

Selon Mark Katz, Moscou pourrait se servir du prochain exercice militaire conjoint « Bouclier du désert » entre l’Algérie et la Russie, prévu en novembre près de la frontière marocaine, pour « garder l’Algérie dans son camp ».

« Pour que l’Algérie reste un “client fidèle”, Moscou doit fournir à ce client ce qu’il veut. Et la Russie n’est peut-être tout simplement pas en mesure de le faire pour le moment », affirme-t-il. 

Besoin de rassurer

En début d’année, l’administration Biden a imposé des sanctions à l’industrie russe de la défense. Au-delà de Moscou, ces sanctions touchent également les pays qui importent du matériel militaire russe.

Début mars, un responsable du département d’État a déclaré à des législateurs qu’il était peu probable que le Kremlin soit en mesure de réaliser de nouvelles ventes ou de fournir une maintenance à ses clients pour les systèmes existants.

« Je pense qu’il sera très difficile pour quiconque d’acheter des systèmes d’armement importants à Moscou dans les mois et les années à venir, étant donné les sanctions financières radicales que l’administration, avec le soutien du Congrès, a imposées », a déclaré Donald Lu, secrétaire d’État adjoint aux affaires d’Asie centrale et du Sud, devant une sous-commission du Sénat chargée des relations extérieures.

« Je pense qu’il sera très difficile pour quiconque d’acheter des systèmes d’armement importants à Moscou dans les mois et les années à venir, étant donné les sanctions financières »

- Donald Lu, secrétaire d’État adjoint aux affaires d’Asie centrale et du Sud

Interrogé par MEE, Anton Mardasov, analyste russe indépendant et chercheur non résident du programme consacré à la Syrie du Middle East Institute, estime que Moscou prendra « des mesures pour montrer que la guerre en Ukraine n’affecte en rien sa position dans la région ou ses exportations militaires ».

« Par conséquent, bien sûr, les négociations avec l’Algérie sont susceptibles de s’intensifier », précise-t-il. «  Comme on l’a appris en juillet, l’Algérie et la Russie se préparent à signer un document de partenariat stratégique, qui inclura certainement des questions de coopération militaire et technique. »

« De plus, l’Algérie adopte une position plutôt pro-russe dans la situation avec l’Ukraine, qui trouve un écho à Moscou, et se prépare à devenir plus active dans la région du Sahel. »

Néanmoins, souligne Anton Mardasov, « le diable se cache dans les détails ». 

« Le montant des échanges commerciaux russo-algériens n’augmente pas, au contraire, il diminue, alors que les partenaires économiques de l’Algérie, compte tenu des partenariats naturels, sont principalement les Européens et la Chine, qui comblent toutes les niches associées à la fourniture de produits industriels », indique-t-il. 

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Selon l’analyste, si l’Algérie « achète la quasi-totalité de l’armement dont elle a besoin à la Russie, ce qui implique une coopération étroite avec la Russie en matière de maintenance et de fourniture de munitions », le problème le plus urgent auquel le pays est confronté aujourd’hui concerne la sécurité alimentaire. 

L’Algérie subventionne fortement les produits alimentaires de base tels que l’huile de cuisson, le lait et le pain, et a interdit l’exportation de denrées de base en début d’année par crainte de pénuries.

L’Algérie était déjà confrontée à des pénuries de certains aliments avant le conflit en Ukraine. Par ailleurs, si les revenus du pétrole et du gaz ont augmenté de 70 % au cours des cinq premiers mois de 2022, le pays connaît une hausse de son déficit budgétaire qui pourrait affecter les subventions alimentaires.

« En ce qui concerne l’intensification de la concurrence, je m’attends à une coordination plus étroite sur des questions non militaires », estime Anton Mardasov. « Par exemple, Moscou pourrait proposer de construire une centrale nucléaire. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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