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Le bilan contrasté de Gorbatchev au Moyen-Orient

La mort du dernier dirigeant soviétique Mikhaïl Gorbatchev a suscité de vibrants hommages, essentiellement justifiés par son rôle dans la fin de la guerre froide. Au Moyen-Orient, son rôle – loin d’être négligeable – a été quelque peu oublié
Mikhaïl Gorbatchev serre la main du président syrien Hafez el Assad, à Moscou le 19 juin 1985 (AFP/TASS)
Mikhaïl Gorbatchev serre la main du président syrien Hafez al-Assad, à Moscou le 19 juin 1985 (AFP/TASS)

La mort de Mikhaïl Gorbatchev, le 30 août, semble avoir suscité moins d’émotion en Russie que celle de Boris Eltsine, décédé en avril 2007. Certes, le contexte de la guerre en Ukraine et le parti pris autoritaire de Vladimir Poutine ne sont pas propices à la célébration de l’héritage de l’homme de la fin de la guerre froide, de la glasnost (politique de liberté d’expression portée par Gorbatchev à partir de 1986) et de la perestroïka (réformes économiques et sociales de 1985 à 1991).

Le président russe Vladimir Poutine serre la main de l’ancien président de l’Union soviétique Mikhaïl Gorbatchev, le 10 octobre 2006 à Dresde, en Allemagne (AFP/Dmitry Astakhov)
Le président russe Vladimir Poutine serre la main de l’ancien président de l’Union soviétique Mikhaïl Gorbatchev, le 10 octobre 2006 à Dresde, en Allemagne (AFP/Dmitry Astakhov)

Mais on ne peut s’empêcher de constater la différence entre le deuil national décrété pour les obsèques de Eltsine – pourtant l’homme des accords de Minsk du 8 décembre 1991, entérinant la dislocation de l’URSS et l’indépendance ukrainienne – et la relative indifférence du pouvoir russe dans le cas des funérailles de Gorbatchev.

Il faut bien dire que l’on a tendance à être plus indulgent avec le premier dirigeant de la Russie postsoviétique qu’avec le dernier dirigeant de l’Union soviétique.

Ce dernier est encore considéré par beaucoup comme le fossoyeur de l’empire soviétique, tandis que beaucoup d’historiens s’accordent à dire qu’il a tout fait pour le sauver.

Une « Gorbimania » avant tout européenne

S’il est vrai que Mikhaïl Gorbatchev (au pouvoir de 1985 à 1991) s’est surtout illustré sur le théâtre européen – là où la « Gorbimania » se manifestera –, nous verrons que son impact sur le Moyen-Orient est indéniable.

En Europe, sa grande popularité – encore perceptible aujourd’hui – s’explique par sa politique de désescalade, dont la fin de la guerre froide sera l’aboutissement.

Dès 1986, il propose un processus d’élimination des armes nucléaires à l’horizon 2000. Le 8 décembre 1987, il signe avec son homologue américain Ronald Reagan un traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire.

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Il prévoit l’élimination de tous les missiles de croisière et missiles balistiques, à charge conventionnelle ou nucléaire. Prometteur, ce traité sera néanmoins remis en cause par les deux pays en 2019.

Par ailleurs, le futur prix Nobel de la paix s’accommode des transformations politiques au sein du « bloc de l’Est », dont la chute du mur de Berlin est l’apogée symbolique. « Gorbi » se présente ainsi comme un partisan de la liberté aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Union.

Au-delà des frontières de l’Europe, les partis pris de Gorbatchev, toujours dans un contexte de guerre froide défavorable aux Soviétiques et au bloc communiste, ont une influence directe ou indirecte sur le Moyen-Orient.

Le tournant le plus significatif concerne la guerre en Afghanistan.

Cette guerre, entamée à la fin de l’année 1979, a largement contribué à la détérioration des relations entre Moscou et une grande partie des puissances moyen-orientales : l’Iran (l’ayatollah Khomeini reste assez prudent, tout en qualifiant l’URSS de « petit Satan »), l’Égypte (dès 1972, avant même la guerre israélo-arabe de 1973, des conseillers militaires soviétiques sont expulsés du pays) et l’Arabie saoudite (qui soutiendra longtemps les combattants islamistes contre Moscou, en Afghanistan, puis en Tchétchénie) condamnent l’invasion soviétique et soutiennent les insurgés afghans.

La guerre en Afghanistan a largement contribué à la détérioration des relations entre Moscou et une grande partie des puissances moyen-orientales

En 1988, Gorbatchev, qui considère que la guerre soviétique en Afghanistan contribue à affaiblir son pays – notamment en siphonnant ses ressources sans résultat –, décide d’entamer un retrait.

Ce retrait tardif ne changera pas grand-chose à l’affaiblissement de l’Union soviétique dans le cadre de la guerre froide, ni au développement du « djihad » transnational que la Russie postsoviétique subira à l’intérieur de ses frontières, en Tchétchénie, après l’avoir subi à l’extérieur de ses frontières, en Afghanistan.

Fort de cette expérience, une trentaine d’années plus tard, l’ancien dirigeant soviétique jugera sévèrement la guerre menée par l’Alliance atlantique et les États-Unis.

Il déclarera au moment du retrait américain vingt ans après l’invasion : « [La campagne américaine] a été un échec dès le départ, même si la Russie l’a soutenue à ses débuts. »

De la guerre Iran-Irak à la guerre du Golfe

Dans la guerre Iran-Irak (1980-1988), l’Union soviétique s’éloigne peu à peu de sa posture initiale de neutralité. L’objectif initial des Soviétiques était de maintenir de bonnes relations avec les deux belligérants.

Dans les faits, l’URSS, comme d’autres pays, les a tous deux armés. Les fournitures d’armes à la République islamique auront été plus discrètes et plus clandestines.

Au-delà de cet équilibrisme plus ou moins réussi, Moscou soutiendra Bagdad à chaque fois que Saddam Hussein sera menacé. Ce sera notamment le cas sous Gorbatchev, après la victoire décisive des Iraniens à l’issue de la première bataille d’al-Faw en février 1986.

Le président irakien Saddam Hussein et son vice-président Tarek Aziz font face au secrétaire général du Comité central du Parti communiste de l’Union soviétique Mikhaïl Gorbatchev et son ministre des Affaires étrangères Edouard Chevardnadze lors de leur visite en Union soviétique, le 16 décembre 1985 (AFP)
Le président irakien Saddam Hussein et son vice-président Tarek Aziz font face au secrétaire général du Comité central du Parti communiste de l’Union soviétique Mikhaïl Gorbatchev et son ministre des Affaires étrangères Edouard Chevardnadze lors de leur visite en Union soviétique, le 16 décembre 1985 (AFP)

Entre 1986 et 1988, les Soviétiques – qui craignent à la fois l’influence américaine grandissante sur les pétromonarchies qui soutiennent l’Irak et la perspective d’une victoire iranienne – multiplient les livraisons d’armes à Bagdad. Celles-ci auraient atteint les 9 milliards de dollars.

En 1989, une fois le retrait d’Afghanistan décidé et la guerre Iran-Irak terminée, un nouveau chapitre s’ouvre dans les relations irano-soviétiques. En juin 1989, le futur président Ali Akbar Hachémi Rafsandjani se rend à Moscou et obtient des Soviétiques la promesse d’un appui en matière d’armements.

Quand l’Irak envahit le Koweït en 1990, il n’est plus question de soutenir Saddam Hussein. Gorbatchev tente néanmoins de le sauver. D’un côté, il envoie Ievgueni Primakov (futur ministre des Affaires étrangères puis Premier ministre de Boris Eltsine et bon connaisseur du monde arabe) à Bagdad pour tenter de persuader Saddam de la nécessité d’un retrait inconditionnel.

De l’autre, il essaye de convaincre les Américains de ne pas recourir à la force. En novembre 1990, Moscou finit par appuyer la résolution 678 du Conseil de sécurité des Nations unies qui permet l’intervention militaire internationale contre l’Irak, au grand dam de plusieurs dirigeants de l’Armée rouge.

L’équilibrisme sur la question palestinienne

Parallèlement au dégel des activités du Conseil de sécurité que permet l’absence de veto soviétique en novembre 1990 et à l’amélioration des relations avec l’Iran, Gorbatchev s’emploie à remédier aux différends entre l’URSS et certains pays de la région qui s’en étaient éloignés. Citons ici les exemples israélien et égyptien.

Il déclare en 1987 devant le président syrien Hafez al-Assad : « Je le dirai franchement : l’absence de rapports entre l’Union soviétique et Israël ne peut être considérée comme normale. Mais c’est Israël qui est responsable de la rupture qui résulte de l’agression contre les pays arabes. Nous reconnaissons, de la même façon que nous le faisons pour tous les États, le droit d’Israël à la paix et à la sécurité. Cela dit, comme dans le passé, l’Union soviétique reste catégoriquement hostile à la politique de force et d’annexion pratiquée par Tel Aviv. »

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En novembre 1988, l’État palestinien est proclamé à Alger. Quelques jours plus tard, l’Union soviétique et ses alliés le reconnaissent.

En mai 1990, lors d’une visite historique qui met fin à dix-huit ans de relations tendues, le président égyptien Hosni Moubarak rencontre Gorbatchev pendant 90 minutes au Kremlin. Les deux dirigeants signent alors une déclaration commune condamnant la colonisation israélienne.

Toutefois, l’année suivante, peu de temps avant la dissolution de l’Union soviétique, cette dernière renoue diplomatiquement avec Israël (quelques années après le rétablissement des relations consulaires) et Gorbatchev participe activement à la conférence de Madrid aux côtés de son homologue américain George Bush. Les deux dirigeants veulent alors être des « catalyseurs » en vue d’une « paix » au Proche-Orient.

Ironiquement, et même si Vladimir Poutine est bien moins attaché aux notions de liberté et de démocratie que Mikhaïl Gorbatchev, l’actuel président russe aura mené une politique étrangère analogue au Moyen-Orient : un dialogue avec tous les acteurs, y compris les adversaires d’hier, privilégié aux vieilles logiques d’alliances et de blocs. Ironiquement encore, la guerre en Ukraine favorise un climat de tensions propice à la résurgence desdites logiques d’alliances et de blocs plus ou moins rigides.

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