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Le secret de Notre-Dame : les origines syriennes de l’art médiéval français

Un an après l’incendie qui a ravagé la cathédrale parisienne, les recherches montrent comment divers traits architecturaux de ce monument historique peuvent être liés à la Syrie 
La cathédrale Notre-Dame, partiellement détruite dans un incendie l’année dernière, photographiée le 6 janvier (AFP)

Qui aurait pu imaginer que les cendres de l’incendie catastrophique de l’an passé à Notre-Dame révéleraient tant de secrets ?

Une équipe de scientifiques a été rassemblée pour mener une enquête de fond sur la structure de la cathédrale, dans l’espoir de comprendre comment les maçons et artisans du Moyen Âge érigèrent le bâtiment. Rien n’était couché sur le papier, aucun plan n’était utilisé. L’étude devrait durer environ six ans et contribuera à guider le travail de restauration. 

Cet incendie a également suscité mon propre désir d’étudier davantage le sujet. L’année dernière, je commentais le passé architectural de la cathédrale : comme toutes les cathédrales médiévales gothiques, ses tours jumelles flanquant une entrée monumentale à l’ouest, ses arcs brisés, ses rosaces et ses voûtes nervurées sont autant d’éléments dont l’origine peut être liée au Moyen-Orient.

Aujourd’hui, après des recherches approfondies, j’ai découvert bien plus de liens, tous inattendus. Je les ai inclus dans mon livre, Stealing from the Saracens.

Vitraux

Commençons par les vitraux, heureusement encore intacts après l’incendie. Les récentes analyses de vitraux dans les principales cathédrales d’Angleterre et de France construites entre 1200 et 1400 montrent toutes la même composition riche en cendres végétales, typique des matières premières syriennes. 

La soude végétale syrienne de haute qualité, connue sous le nom de « cendres de salicornes », était jugée supérieure à la soude égyptienne préislamique utilisée par les Romains et les Byzantins dans la fabrication du verre ; l’ensemble du verre vénitien analysé datant du XIe au XVIe siècle montre son utilisation constante.

L’Europe continentale du Moyen Âge importait les matières premières pour l’ensemble de son verre, car il n’existait aucune source locale connue.

La rosace pendant les travaux à Notre-Dame, en juillet 2019 (AFP)
La rosace pendant les travaux à Notre-Dame, en juillet 2019 (AFP)

Les vitraux colorés sont un élément essentiel et innovant de l’architecture islamique depuis le VIIe siècle, à commencer par le dôme du Rocher à Jérusalem, qui comporte du vitrail coloré dans une grande partie de ses fenêtres hautes.

Ils étaient connus sous le nom de shamsiyyat (du terme arabe désignant le soleil) et de qamariyyat (du terme arabe désignant la lune), montrant comment l’imagerie solaire et lunaire des fenêtres se poursuivit dans l’architecture religieuse européenne. 

Les Templiers adoptèrent le dôme du Rocher comme leur principal sanctuaire chrétien après la première croisade, le prenant pour le temple de Salomon. Du fait de cette erreur, de nombreuses églises furent modelées sur l’exemple d’un sanctuaire musulman.

Les fameuses rosaces de Notre-Dame sur ses façades nord et ouest date des années 1225-1250 et sont conçues pour que la lumière rayonne depuis le centre, d’où le nom de style rayonnant.

La lumière était également au cœur de la conception des cathédrales gothiques. Saint-Denis, au nord de Paris, fut l’endroit où le riche et puissant abbé Suger appliqua pour la première fois l’illuminisme comme principe directeur dans sa nouvelle basilique. Mais qui était Denis ?

La fleur de lys

L’abbé Suger et ses contemporains pensaient qu’il s’agissait d’un disciple de Paul, plus tard confondu avec le premier évêque de Paris et le saint patron de la France, mort en martyr à Montmartre.

Des siècles plus tard, des intellectuels ont réalisé que le travail de Denis, La Hiérarchie céleste, était en fait un canular, rédigé par un moine mystique syrien du Ve siècle s’appelant lui-même Denis afin de faire remarquer sa philosophie. En conséquence, on le connaît dans les cercles ecclésiastiques sous le nom de Pseudo-Denys, mais sa ruse a fonctionné.

Les Templiers adoptèrent le dôme du Rocher comme leur principal sanctuaire chrétien après la première croisade, le prenant pour le temple de Salomon. Du fait de cette erreur, de nombreuses églises furent modelées sur l’exemple d’un sanctuaire musulman

Aujourd’hui, la basilique de Saint-Denis est universellement reconnue comme le premier véritable exemple de « gothique », avec de grands arcs brisés permettant de former un chœur élégant. Elle servit ensuite de lieu d’inhumation des rois français.

Le parfait symbole de la nation française et de la royauté française est la fleur de lys. Mais où cet emblème a-t-il été vu pour la première fois ? Dans les plaines de Syrie, où les croisés imitaient le sport local, le jerid, des tournois de joutes entre chevaliers à cheval lors desquels les joueurs tentaient de désarçonner l’autre avec un javelot émoussé. 

L’héraldique et les symboles familiaux ou dynastiques étaient déjà utilisés sous les Ayyoubides et la fleur de lys apparut pour la première fois dans sa véritable forme héraldique – trois feuilles distinctes liées au milieu par un bandeau – sur le blason de Nur al-Din ibn Zanki au XIIe siècle et sur deux de ses monuments à Damas.

Plus tard, les casques mamelouks comportaient souvent une protection nasale se terminant par une fleur de lys. L’enfant-roi d’Angleterre, Henri VI, fut couronné roi de France à l’âge de 10 ans à Notre-Dame en 1431, sur fond de fleur de lys.

Une découverte improbable

Le portail central de Notre-Dame comporte une allégorie de l’alchimie gravée dans la pierre, une statue de femme portant des livres avec une échelle et un bâton. Le mot lui-même alchimie vient de l’arabe al-kimya et à l’époque médiévale, le Moyen-Orient était largement reconnu comme le foyer de la science expérimentale avancée. 

L’utilisation de cendre végétale dans le verre était en soi une sorte d’alchimie, une expérience dans laquelle l’addition de la plante alcaline appelée ushnaan à la silice et aux galets concassés de l’Euphrate produisait le verre le plus fin et le plus délicat au monde, basé à Raqqa, le cœur de l’industrie syrienne du verre du IXe siècle au XIVe siècle.

L’addition d’autres produits chimiques colorait le verre : le cobalt pour le bleu, l’oxyde de cuivre pour le turquoise et ainsi de suite. 

Photo de vitrail coloré du XIIe siècle avec des bulles (MEE/Diana Darke)
Photo de vitrail coloré du XIIe siècle avec des bulles (MEE/Diana Darke)

Mais les cendres de l’ushnaan ont d’autres propriétés. Elles sont utilisées depuis l’époque biblique comme agent nettoyant là où il n’y avait pas d’accès à l’eau, à la fois pour l’hygiène personnelle et pour la lessive.

À ce jour, cela reste un ingrédient naturel essentiel de l’industrie du savon syrien, car la plante pousse particulièrement bien au sud d’Alep, autour du lac salé de Jaboul. C’est ce qui donne au savon d’Alep une texture tellement douce et soyeuse sur la peau ; il contient même des bulles piégées à l’intérieur tout comme le verre syrien.  

À Notre-Dame, les scientifiques ont fait leur propre découverte improbable en matière de nettoyage : la meilleure façon de retirer le plomb toxique des vitraux sans endommager les couleurs est d’utiliser des lingettes pour bébé de Monoprix. Les lingettes chimiques commerciales risquaient d’être trop abrasives. Mais le doux savon d’Alep serait sans doute encore mieux. Ne serait-il pas naturel que la cathédrale puisse être nettoyée en utilisant la cendre de la plante qui se trouve déjà dans ses vitraux ?

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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