Soudan, le prix de la paix
Un accord de paix « historique ». C’est ainsi qu’a été qualifié le texte, signé le 3 octobre à Djouba (Soudan du Sud) par le gouvernement soudanais et plusieurs groupes rebelles, qui doit mettre fin à des décennies de conflits.
Les négociations ont été menées depuis avril 2019 à la suite de la chute du dictateur Omar el-Béchir, presque 30 ans après son arrivée au pouvoir. Avec ce texte, une période de transition a débuté et doit s’achever en janvier 2024.
Deux accords de paix avortés, en 2006 et en 2010, avaient tenté de mettre fin aux différents conflits qui ravagent le pays depuis les années 1980.
L’ensemble de la classe politique soudanaise est résolue à tenir le cap, alors que les pénuries de nourriture, de médicaments et de pétrole se font ressentir. Le pays a perdu les trois quarts de ses réserves de pétrole avec l’indépendance du Soudan du Sud, en 2011.
Les inondations du mois de septembre n’ont fait qu’accentuer la situation, 700 000 personnes ont été affectées selon les Nations unies.
La multitude d’acteurs en présence complexifie la transition politique. On compte parmi eux le gouvernement de transition, le Front révolutionnaire soudanais composé de neuf formations politiques et groupes militaires issus de différentes régions du pays (Darfour, Kordofan du Sud, Nil Bleu), mais également d’autres groupes rebelles.
Lors des négociations, qui ont duré un an, les différents partis ont mis en exergue les grands thèmes prioritaires à traiter afin d’entamer sereinement la période de transition politique.
L’accord est composé de plusieurs protocoles : propriété foncière, justice transitionnelle, réparations et compensations, développement du secteur nomade et pastoral, partage des richesses et du pouvoir et retour des réfugiés et déplacés.
Néanmoins, deux factions, le Mouvement populaire de libération du Soudan (SPLM-Nord) et l’Armée de libération du Soudan (SLA), ont décidé de ne pas signer cet accord. Selon elles, il ne résout pas les problèmes structurels pour lesquels les groupes rebelles ont pris les armes.
Toutefois, les négociations ont repris entre les différentes parties non signataires et le gouvernement de transition.
L’accord de paix est aussi contesté par certains secteurs de la société civile. Le 4 octobre 2020, une tribu de l’est du pays, les Beja, a ainsi bloqué l’autoroute menant à Port-Soudan, un des principaux pôles économiques du pays. Elle craignait d’être sous-représentée par rapport à la tribu rivale des Beni Amr dans les futures instances étatiques.
Les femmes, 40 % des membres du Parlement de transition
L’un des principaux points abordés durant les négociations est le partage du pouvoir entre le gouvernement et les rebelles.
Trois sièges leur ont été accordés au sein de la plus haute autorité du pays, le Conseil de souveraineté, entité civilo-militaire chargée de superviser la transition politique.
De plus, au Parlement qui n’a pas encore été élu, 25 % des 300 sièges leur seront réservés. Les femmes, elles, devraient constituer 40 % des membres du Parlement de transition.
Sur le plan militaire, les membres des mouvements armés au Darfour seront intégrés provisoirement dans l’armée régulière pendant au moins quinze mois. De plus, 12 000 hommes formés par des forces de l’État et des rebelles devront s’occuper de la sécurité au Darfour.
Pour Roland Marchal, chercheur au CNRS, « les militaires avaient intérêt à signer vite l’accord afin d’avoir une marge de manœuvre importante pour continuer à avoir une place au sein du pouvoir ». Les milieux financiers et économiques du pays sont, pour la plupart, contrôlés par des haut gradés de l’armée nationale.
Le gouvernement et le Conseil de souveraineté affichent une réelle volonté de juger les crimes de guerre. Les responsables du régime d’Omar el-Béchir devront comparaître devant la justice, tandis que les chefs des mouvements rebelles et des groupes armés vont bénéficier d’une amnistie.
L’accord prévoit la formation d’un tribunal spécial dédié aux crimes commis au Darfour, où les combats ont tué 300 000 personnes et provoqué le départ de 2,5 millions d’habitants, selon les Nations unies.
Pour Roland Marchal, « certains acteurs politiques qui gouvernent aujourd’hui étaient complètement insérés dans l’ancien régime et jouent, d’une certaine façon, leur survie politique dans cette transition ».
Une transition politique incertaine dans laquelle le principal facteur de déstabilisation demeure la question économique. Le pays voit une partie de sa jeunesse tenter d’émigrer vers l’Europe ou les pays du Golfe.
Cette fuite des cerveaux et de la main d’œuvre est néfaste pour l’économie du pays et sa reconstruction. Le traditionnel envoi d’argent aux familles les laisse dépendantes de ces expatriés et ne motive pas un réel investissement dans l’économie nationale.
« La situation économique du Soudan est comparable à celle de l’Europe au sortir de la Seconde Guerre mondiale »
- Raphaëlle Chevrillon-Guibert, chercheuse au CNRS
Selon Raphaëlle Chevrillon-Guibert, chercheuse au CNRS, « la situation économique du Soudan est comparable à celle de l’Europe au sortir de la Seconde Guerre mondiale. S’il n’y avait pas eu le plan Marshall, elle n’aurait jamais pu se relever. Il faut un plan Marshall à la soudanaise. Quand il n’y a rien à se partager, les gens s’écharpent ».
Pour elle, c’est à cela que doivent s’atteler au plus vite les acteurs de la transition politique : une rénovation de l’économie, la remise en place d’accords commerciaux stables et équitables avec les pays limitrophes ainsi qu’avec l’Europe.
Le coût des accords de paix : 7,5 milliards de dollars
Selon le ministère des finances du Soudan, le coût des récents accords de paix est estimé à 7,5 milliards de dollars, étalés sur dix ans. Cette somme correspond aux engagements du gouvernement pour financer des projets de développement dans les régions affectées par la guerre civile.
Celle-ci devrait également servir pour le retour des réfugiés. Dans une interview accordée au Financial Times, le Premier ministre Abdallah Hamdok précise que « la part des recettes budgétaires consacrées aux opérations militaires devrait passer de 80 % à 10 ou 15 %, maintenant que le Soudan n’est plus dans une économie de guerre ».
L’objectif du gouvernement avec ces opérations de développement est également d’inciter le secteur privé local et international à investir dans les régions les moins développées.
Cependant, comme l’explique Raphaëlle Chevrillon-Guibert, la question économique s’entremêle à la question communautaire. Dans un pays où le poids des appartenances régionales est traditionnellement plus fort que toute identité nationale ou culturelle, la tendance au népotisme peut peser lourd.
Notamment dans les milieux financiers et institutionnels, qui sont minés par ces pratiques. Lorsqu’ils étaient au pouvoir dans les années 1980, les islamistes et les socialistes ont tenté de résoudre ce problème, mais les liens ethniques ont toujours fini par prendre le dessus.
Les récents accords de paix ont pour but de mettre un terme à plusieurs décennies de conflit. Dans les années 1980, le pouvoir central a voulu diviser le sud du pays et imposer la charia (loi islamique) à des populations majoritairement chrétiennes et animistes.
Une guerre civile qui a duré vingt ans s’est ensuivie. Elle a fait plus de deux millions de morts et a provoqué le déplacement de quatre millions de Soudanais dans les pays voisins. Cela a finalement débouché sur l’indépendance du Soudan du Sud en 2011.
Cette histoire nationale meurtrie influence aussi l’accord de paix de 2020. Pourtant, tout reste encore à mettre en œuvre et l’accord ne fait pas l’unanimité. Le boycott de deux factions rebelles le souligne et laisse penser que des désaccords profonds ne sont toujours pas réglés.
La principale difficulté réside dans l’application de ces mesures sur le long terme. La population soudanaise assistera-t-elle à une réelle refonte structurelle du système politique ou bien est-ce que ces mesures resteront lettre morte ?
Alaa Salah, figure révolutionnaire soudanaise de 2019, expliquait au journal Le Temps en mars 2020 : « On ne peut pas changer le pays du jour au lendemain, il faut de la patience. »
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