Aller au contenu principal

Tunisie : trois choses à savoir sur les manifestations

Que réclament les manifestants ? Qui proteste ? Quels sont les enjeux ? Voici un résumé de ce qui se passe en ce moment en Tunisie
Des Tunisiens manifestent contre le gouvernement du président Kais Saied à Tunis, le 5 mars 2023 (Anadolu)
Des Tunisiens manifestent contre le gouvernement du président Kais Saied à Tunis, le 5 mars 2023 (Anadolu)
Par MEE

La Tunisie est un foyer de troubles depuis près de deux ans, depuis que le président Kais Saied a suspendu le Parlement et s’est emparé de la plupart des pouvoirs exécutifs dans ce que les opposants ont décrit comme un « coup d’État ».

Des politiciens de l’opposition, des militants et des journalistes, se sont retrouvés derrière les barreaux et la dissidence a été réprimée. Au cours des deux dernières semaines, une vingtaine de personnalités politiques de premier plan ont notamment été arrêtées.

Dans le même temps, les problèmes économiques exacerbés par la pandémie de covid-19 et les propositions controversées de Saied pour y remédier ont encore attisé la colère.

Que réclament les manifestants ?

Ce mercredi 8 mars, le Front de salut national (FSN, coalition politique rassemblant partis et mouvements opposés à la prise de pouvoir de Kais Saied), la principale coalition d’opposition, a appelé à une manifestation pour soutenir les personnes interpellées dans des affaires de complot contre la sûreté de l’État. 

Dimanche 5 mars, plusieurs centaines de manifestants s’étaient déjà rassemblés au centre de Tunis pour réclamer la remise en liberté de plus de vingt opposants au président Kais Saied, arrêtés ces dernières semaines dans un coup de filet inédit.

Tunisie : nouvelles arrestations, l’ONU dénonce « l’aggravation de la répression »
Lire

Parmi eux : le politique Jaouhar Ben Mbarek, l’homme d’affaires Kamel Eltaïef, le directeur de la radio Mosaïque FM, Noureddine Boutar, le chef du parti Ennahdha Saïd Ferjani et d’autres syndicalistes.

« À bas le coup d’État. Liberté, liberté pour les détenus », scandaient les sympathisants du FSN. Bravant une interdiction de manifester et des injonctions de la police, ils ont franchi des barrières de sécurité après une bousculade, pour se diriger vers l’avenue Habib Bourguiba, l’artère centrale de Tunis. Au plus fort de la manifestation, ils étaient plus d’un millier, selon des journalistes de l’AFP. 

Cette protestation était organisée au lendemain d’une marche, autorisée, de la grande centrale syndicale UGTT qui a mobilisé plus de 3 000 personnes pour protester contre l’arrestation d’un de ses membres. 

Le chef de l’UGTT Noureddine Taboubi a rejeté aussi les arrestations d’opposants, appelé le président Saied au « dialogue » et à des « changements démocratiques et pacifiques » et l’a accusé de tenir un « discours violent […] qui divise le pays ». Il a également appelé à la libération d’Anis Kaabi, un haut responsable de l’UGTT pour les travailleurs de la voirie, détenu depuis février pour son implication dans une grève.

Traduction : « L’UGTT descend dans la rue pour exiger le retour de la démocratie, le respect des droits économiques, la liberté pour les prisonniers politiques, et pour que le régime de Kais Saied cesse les attaques contre les noirs dans le pays. Saied a interdit l’entrée en Tunisie aux dirigeants syndicaux étrangers. »

« Les arrestations font partie d’une politique arbitraire. Nous défendons une cause nationale et nous ne nous arrêterons pas tant que la démocratie et les institutions ne seront pas rétablis », a dénoncé devant la foule dimanche Ahmed Nejib Chebbi, 78 ans, président du FSN.

De nombreux manifestants brandissaient le drapeau tunisien et des photos des détenus, dont le propre frère de Ahmed Nejib Chebbi, Issam, chef du Parti républicain (Al Joumhouri).

Noureddine Taboubi a également déclaré au rassemblement que le syndicat était opposé à toute levée des subventions gouvernementales sur les produits de base tels que la nourriture et le carburant, des mesures qui ont été suggérées comme nécessaires pour obtenir un plan de sauvetage de 2 milliards de dollars du Fonds monétaire international (FMI).

Qui proteste ?

Il y a d’abord l’UGTT, une des organisations les plus puissantes en Tunisie et l’une des rares à pouvoir contester ouvertement et efficacement les politiques gouvernementales.

Le chef de l’UGTT Noureddine Taboubi a rejeté aussi les arrestations d’opposants, appelé le président Saied au « dialogue » et à des « changements démocratiques et pacifiques » et l’a accusé de tenir un « discours violent […] qui divise le pays (AFP/Fethi Belaïd)
Le chef de l’UGTT Noureddine Taboubi a rejeté aussi les arrestations d’opposants, appelé le président Saied au « dialogue » et à des « changements démocratiques et pacifiques » et l’a accusé de tenir un « discours violent […] qui divise le pays (AFP/Fethi Belaïd)

Le syndicat compte environ un million de membres – dans un pays d’un peu plus de 12 millions d’habitants – et a partagé un prix Nobel de la paix en 2015 avec trois autres groupes de la société civile (L’Union générale tunisienne du travail, l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat, et le Conseil de l’Ordre national des avocats de Tunisie) pour la promotion du dialogue national.

Il y a ensuite le FSN, fondé en 2022 en réponse à la prise de pouvoir de Kais Saied un an plus tôt. Il est composé d’une coalition de partis d’opposition qui rejettent les mesures du président, dont le parti Ennahdha, qui était auparavant le plus important du Parlement aujourd’hui dissous.

Ennahdha a été l’une des principales cibles de la répression de Saied, avec de nombreux responsables du parti emprisonnés.

L’alliance est dirigée par Ahmed Nejib Chebbi, 78 ans, une personnalité politique chevronnée, fondateur du Parti démocrate progressiste, qui a ensuite fusionné avec le Parti républicain. Chebbi s’est retiré de la politique après la révolution de 2011 jusqu’à la prise de pouvoir de Saied.

S’adressant à MEE la semaine dernière, Ahmed Nejib Chebbi, à la tête du FSN, a appelé les différentes factions adverses à mettre leurs ressources en commun et à s’unir contre Saied (AFP)
S’adressant à MEE la semaine dernière, Ahmed Nejib Chebbi, à la tête du FSN, a appelé les différentes factions adverses à mettre leurs ressources en commun et à s’unir contre Saied (AFP)

Son frère Issam Chebbi, chef du Parti républicain, faisait également partie des personnes arrêtées lors de la répression de Saied. Parmi les autres membres arrêtés du FSN figurent Ghazi Chaouchi, Ridha Belhaj, Jouhar Ben Mbarek et Chaima Issa.

L’UGTT et le FSN ne sont pas des alliés naturels, et il y a longtemps eu de la méfiance entre le syndicat et Ennahdha, notamment. Mais avec la répression croissante, un front commun semble se former.

S’adressant à Middle East Eye la semaine dernière, Ahmed Nejib Chebbi a appelé les différentes factions adverses à mettre leurs ressources en commun et à s’unir contre Saied.

« Le temps politique d’aujourd’hui n’est pas pour les revendications des factions », a-t-il déclaré. « Il n’y a aucune possibilité de faire face à la crise économique sans un leadership politique compétent. Par conséquent, il est nécessaire d’unir les forces politiques et syndicales pour exiger un dialogue national qui ouvrira la voie à la sortie de crise de la Tunisie. »

Qu’est-ce qui est en jeu ?

La campagne d’arrestations qui a déclenché les récentes manifestations est la dernière répression du gouvernement contre les libertés durement acquises pendant la révolution de 2011.

La crise a commencé en juillet 2021 lorsque Kais Saied, qui a remporté l’élection présidentielle en 2019 en tant que candidat indépendant, a suspendu le Parlement, limogé le Premier ministre et assumé de vastes pouvoirs exécutifs selon un plan révélé par MEE deux mois plus tôt.

VIDÉO : Comprendre la crise politique tunisienne
Lire

Deux mois plus tard, il déclarait qu’il gouvernerait par décret, contournant les pouvoirs qui lui sont accordés par la Constitution.

Il est ensuite intervenu dans le système judiciaire du pays, l’organe électoral indépendant et l’autorité anti-corruption, les dépouillant de fait de leurs trois pouvoirs et limitant le système de freins et contrepoids introduit par la Constitution post-révolutionnaire de 2014.

Exactement un an après sa prise de pouvoir, Kais Saied a fait adopter une nouvelle Constitution qui consacre son règne d’un seul homme.

Un nouveau Parlement a été voté en décembre de l’année dernière avec 11 % de participation, le taux le plus bas de l’histoire du pays.

La prise de pouvoir affecte également de plus en plus de nombreuses institutions et domaines de la société civile : de la liberté des médias à l’antiracisme et au syndicalisme.

Traduit de l’anglais (original) et actualisé.

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].