Exclusion de la Russie de la Coupe du monde : la FIFA prise au piège de la guerre en Ukraine
Jusqu’à la dernière minute, Gianni Infantino, le président de la Fédération internationale de football (FIFA), aura essayé de trouver un compromis à mi-chemin entre le silence complice et la sanction la plus radicale.
Les « discussions avancées » en cours ce lundi 28 février pour suspendre la sélection nationale russe des compétitions internationales, dont le Mondial au Qatar du 21 novembre au 18 décembre, en réaction à l’invasion russe en Ukraine, ont finalement abouti à l’exclusion de la Russie.
Un communiqué commun de la FIFA et de la Confédération européenne (UEFA) publié dans la soirée a annoncé la suspension des sélections nationales et des clubs russes « jusqu’à nouvel ordre ».
Au sein du bureau du Conseil de la FIFA, principal organe de décision de l’organisation, les Européens, parmi lesquels les deux vice-présidents – le puissant président de l’UEFA, le Slovène Aleksander Čeferin, et le Hongrois Sándor Csányi –, ne pardonnent toujours pas à l’Italo-Suisse son prétendu rôle dans le lancement avorté de la Super Ligue européenne, et son projet d’une Coupe du monde biennale.
Ils ont le soutien de l’Allemand Peter Peters et du Français Noël Le Graët, alignés sur les positions de leurs gouvernements respectifs. En l’occurrence, une condamnation de l’invasion russe et l’approbation de sanctions à l’encontre de Moscou.
Pressée par plusieurs fédérations (Pologne, Suède, République tchèque, Angleterre) réclamant l’exclusion de la Russie des compétitions internationales, dont les barrages de la Coupe du monde au Qatar, la FIFA avait annoncé dans un premier temps une série de mesures contre la Russie.
« La FIFA condamne le recours à la force par la Russie en Ukraine, ainsi que l’utilisation de tout type de violence pour résoudre des conflits », avait déclaré, jeudi 24 février, le président de la FIFA, Gianni Infantino, avant d’évoquer une situation « tragique et inquiétante ».
La pression monte
Une position insuffisante aux yeux du président de la Fédération polonaise de football, Cezary Kulesza, qui réclamait des actes. « Trêve de paroles, il est temps d’agir », avait alors tweeté le patron du football polonais.
L’instance mondiale du football, tout comme le Comité international olympique (CIO), habituée à se tenir le plus loin possible des conflits politiques (Palestine, Yémen…) comme l’y contraignent en théorie ses statuts, a été obligée de réagir. Un changement de paradigme dans le monde du sport et de la FIFA, qui sanctionne tout message politique dans les stades. En 2009, l’international malien du FC Séville, Frédéric Kanouté, avait écopé d’une amende après avoir montré son soutien aux Palestiniens.
Dans l’urgence et conformément « aux recommandations du CIO », la FIFA a ajouté qu’« aucune compétition internationale ne sera disputée sur le territoire de la Russie, les matchs ‘’à domicile’’ devant dorénavant se jouer sur terrain neutre et à huis clos ».
Par ailleurs, « quelle que soit la compétition à laquelle elle sera amenée à participer, l’association membre qui représente la Russie se présentera sous le nom de ‘’Fédération russe de football’’ [RFU] et non celui de ‘’Russie’’ ».
Enfin, « aucun drapeau ni aucun hymne de la Russie ne seront utilisés lors des matchs auxquels participeront des équipes de la Fédération de football de Russie ».
Cette première salve a été votée à l’unanimité par les 37 membres du bureau du Conseil de la FIFA.
Mais en quelques heure, la pression est montée d’un cran. La Fédération polonaise de football n’en démord pas et fait savoir son mécontentement.
« Cela ne nous intéresse pas de participer à ce match d’apparences. L’équipe nationale de Pologne NE VA PAS JOUER contre la Russie, peu importe le nom de l’équipe », s’est emporté Cezary Kulesza, le président de la fédération polonaise sur Twitter.
Une démarche soutenue par le président de la Fédération française de football (FFF) et membre du Conseil de la FIFA, Noël Le Graët.
Les Russes devaient jouer un match de barrage le 24 mars contre la Pologne, mais les Polonais avaient répété à plusieurs reprises qu’ils refuseraient de le disputer, même sur terrain neutre.
Une décision susceptible d’appel
Évoquant la possibilité de voir la Russie exclue de la prochaine Coupe du monde au Qatar, le président des champions du monde 2018 confiait toutefois dans une interview au quotidien français Le Parisien : « C’est quelque chose dont je n’ai pas discuté encore avec d’autres fédérations. Je penche pour une exclusion de la Russie du prochain Mondial […]. Habituellement, j’estime que le sport est là pour réconcilier les peuples et apaiser les tensions. Mais là, le monde du sport, et en particulier du football, ne peut pas rester neutre. Je ne m’opposerai certainement pas à une exclusion de la Russie. »
Par son exclusion des compétitions internationales, la Russie se retrouve isolée sportivement. Mais cette décision, susceptible d’appel, peut être cassée par le Tribunal arbitral du sport (TAS). Dans le cas contraire, cela aura pour conséquence l’exclusion de l’équipe féminine de Russie de l’Euro en juillet en Angleterre, où elle doit défier les Pays-Bas, la Suède et la Suisse lors de la phase de groupes.
L’UEFA avait déjà acté la mise à l’écart du seul club russe encore engagé en coupe d’Europe : le Spartak Moscou ne jouera pas son huitième de finale les 10 et 17 mars contre les Allemands du Red Bull Leipzig.
Un épisode qui fragilise encore plus l’ancien secrétaire général de l’UEFA, Gianni Infantino, déjà très contesté dans sa confédération d’origine. Il y a quatre ans, il déclarait que la Russie avait organisé « la meilleure Coupe du monde de tous les temps » et a aussi été décoré par le président Vladimir Poutine pour son rôle dans l’organisation du Mondial…
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