Colonisation israélienne : la Cour suprême accusée de complicité
JÉRUSALEM – Entre Jérusalem et la mer Morte, sur une colline aride au bord de l’autoroute, un groupement d’abris en tôle et en bois est promis à la démolition. Après des années de procès, en août dernier, la Cour suprême israélienne a tranché. Khan al-Ahmar, petit hameau où vivent quelque 200 Palestiniens, situé en Cisjordanie, territoire occupé par Israël depuis 1967, sera rayé de la carte. Motif officiel : les tentes et maisons de fortune y ont été érigées sans permis de construire.
« Désormais, les Palestiniens ne peuvent plus s’en remettre à la Cour suprême israélienne pour obtenir justice », avait conclu à l’époque Tawfiq Jabareen, l’avocat des habitants du hameau, devant des journalistes. Mais ont-ils un jour vraiment pu compter sur la plus haute juridiction israélienne pour faire valoir leurs droits ?
Dans un rapport publié ce mercredi, l’ONG israélienne B’Tselem, qui lutte contre la colonisation en Cisjordanie, dénonce la complicité de la Cour suprême israélienne qui « permet, excuse et valide » la politique de colonisation et d’occupation dans les territoires occupés.
Les chiffres sont éloquents : sur les centaines de recours déposés par les Palestiniens pour annuler les démolitions ordonnées par Israël en Cisjordanie occupée, « pas un seul n’a été accepté par la Cour », rappelle Yaël Stein, auteure du rapport.
« Tout a l’air légal, tout a l’air en règle, les Palestiniens peuvent aller à la Cour suprême pour déposer un recours », explique-t-elle. Mais en réalité a lieu ce qu’elle dénonce comme le « blanchiment » de la colonisation, illégale aux yeux de la communauté internationale, via le système judiciaire israélien.
Pour fonder leurs décisions, les juges de la Cour suprême se concentrent sur des questions de droit, sans interroger l’ensemble du système, qui est en soi injuste et défavorable aux Palestiniens.
Nulle mention dans les jugements des violations du droit international, et notamment des déplacements forcés de communautés palestiniennes, comme c’est le cas pour Khan al-Ahmar.
Aucune remise en question non plus de l’interdiction totale pour les Palestiniens de construire sur 36 % du territoire en Cisjordanie, qui sont déclarés terrains militaires ou propriété de l’État d’Israël, mais où des colonies israéliennes peuvent en revanche être érigées.
Depuis 1967, 131 colonies ont été reconnues par Israël ; pendant ce temps, un seul nouveau village palestinien a été créé, pour accueillir, à proximité d’une décharge, des habitants déplacés après l’expansion de la colonie de Maale Adumim.
La Cour suprême dépeint les Palestiniens « comme des gens qui enfreignent la loi » parce qu’ils construisent sans permis, explique Yaël Stein. Mais s’ils entament des travaux illégalement, c’est parce que seuls 4 % des milliers de demandes de permis de construire déposées entre 2000 et 2016 par les Palestiniens auprès du Comité de planification ont été acceptées, rappelle-t-elle. À aucun moment la Cour ne remet en question le travail du Comité, dont les Palestiniens sont soigneusement exclus.
Résultat : le plus souvent avec l’aval de la Cour suprême, entre 2006 et 2018, Israël a démoli au moins 1 400 logements en Cisjordanie, laissant sans toit plus de 6 000 Palestiniens, dont plus de 3 000 mineurs. Sans compter les routes, les fermes ou encore les hangars démolis régulièrement par les autorités israéliennes.
Alors pourquoi continuer à recourir à la Cour suprême ? Parce que les Palestiniens n’ont pas d’autres moyens pour éviter la démolition de leurs biens.
Souvent, les procédures durent des mois voire des années ; c’est autant de temps gagné avant que leur maison ne soit réduite en poussière. Mais dans l’attente, toute la communauté est figée, car la moindre construction pourrait annuler la procédure et déclencher la démolition.
Et une fois la décision finale rendue, l’attente continue parfois, comme à Khan al-Ahmar, où les habitants se couchent chaque soir en espérant ne pas être réveillés par les bulldozers sous leurs fenêtres.
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