Khan al-Ahmar : nous défendons le rêve de la Palestine face à la démolition
Je m’appelle Eid Khamis et Israël veut détruire Khan al-Ahmar, le village où j’ai vécu toute ma vie.
Je suis né dans ce village ; je me suis marié dans ce village ; mes enfants sont nés dans ce village et ils s’y sont mariés. Tous mes souvenirs sont ici, les bons comme les mauvais. Je vis ici depuis 52 ans.
En 1951, les forces israéliennes nous ont expulsés de force de nos terres d’origine dans le désert du Naqab, où nous vivions en tant que bédouins, et nous sommes aujourd’hui contraints de vivre dans des cabanes en acier et de nous battre pour les droits de l’homme les plus élémentaires.
Colonisation et démolition
Nos grands-pères vivaient à Tal Arad, qui surplombe la mer Morte. Les terres appartenaient à notre tribu – les Jahalin – et chaque famille possédait son propre lopin de terre, qu’elle exploitait et utilisait pour son bétail. Ils cultivaient du blé, de l’orge et des lentilles.
Lorsque nous avons été déplacés en Cisjordanie, nous avons vécu comme des nomades jusqu’à notre installation à Khan al-Ahmar, à l’est de Jérusalem. Il y avait deux sources d’eau, un espace pour l’élevage et le marché de la vieille ville de Jérusalem pour vendre nos produits, yaourts, lait ou beurre.
Le problème de Khan al-Ahmar est plus grand que le village lui-même. […] Il s’agit de la création d’un État palestinien ; les soi-disant efforts de paix dépendent de ce village
Nous avons loué nos terres à des propriétaires privés palestiniens dans la ville d’Anata, à proximité. Nous, bédouins, avons noué des relations étroites et bénéfiques avec les villageois. Le propriétaire terrien prenait 50 % de nos bénéfices. La situation était paisible jusqu’en 1967, lorsque Israël a occupé la Cisjordanie et Jérusalem-Est.
En 1975, l’armée israélienne s’est approprié la région et l’a déclarée zone militaire fermée pour l’établissement de colonies de peuplement illégales à proximité.
Au fil des ans, l’armée a démoli de nombreuses structures, y compris des maisons, et a rendu notre vie de plus en plus difficile, dans l’espoir de nous contraindre à fuir.
Le 5 septembre dernier, après plus de huit ans de bataille juridique – avec des avocats, des audiences et des propositions de plans de zonage généraux –, la Cour suprême israélienne a décidé que le village devait être démoli et a rejeté toutes nos suggestions.
La route vers Jérusalem
Le problème de Khan al-Ahmar est plus grand que le village lui-même. Ce n’est pas un problème de construction ou d’école. Il s’agit de la création d’un État palestinien ; les soi-disant efforts de paix dépendent de ce village. Si ce village est démoli, c’est le rêve palestinien qui s’effondre.
Si ce village est démoli, c’est le rêve palestinien qui s’effondre
Israël veut notre terre pour deux raisons. Premièrement, Israël a déjà coupé la Cisjordanie de Jérusalem au nord, au sud et à l’ouest en créant un ensemble de colonies autour de la ville. Désormais, les Palestiniens n’ont qu’une seule porte ouvrant sur Jérusalem, et c’est l’est – où nous sommes. L’Occupation vise à fermer cette dernière porte aux Palestiniens.
Deuxièmement, ils veulent construire un couloir sur toute la largeur de la Cisjordanie jusqu’à la vallée du Jourdain et établir des colonies de peuplement le long de cette zone. Pour ce faire, ils doivent toutefois se débarrasser des bédouins. Une fois cela accompli, la Cisjordanie sera coupée en deux. Comment établir un État palestinien alors ?
Le problème pour nous, c’est que nous défendons tous les bédouins et les Palestiniens de cette région, mais que personne ne nous défend. Le problème n’est pas qu’ils vont démolir ma maison, mais qu’ils fermeront la route vers Jérusalem ; notre État disparaîtra.
La position de notre communauté – entourée des colonies de Kfar Adumim, Maale Adumim, Alon et Nofei Prat – fait de nous l’un des derniers obstacles à l’achèvement de ce corridor juif entre Jérusalem et la Cisjordanie.
Droits de l’homme fondamentaux
Quand Israël a commencé à construire le mur de séparation, il a détruit les moyens de subsistance de tous les bédouins à l’est de Jérusalem, car la ville était le centre de leur commerce. Il a séparé de Jérusalem tous les quartiers palestiniens situés autour de la ville et nous souffrons tous.
Malheureusement, la question de Khan al-Ahmar est beaucoup plus discutée en Europe qu’à Ramallah
Nous ne demandons pas un village au centre de Londres ou à Hawaii, nous demandons les droits fondamentaux de l’homme. Une école pour les enfants, une clinique pour le village, des maisons qui pourraient au moins les protéger de la chaleur du soleil et de la force de la pluie – ce sont des droits fondamentaux.
Nous n’avons même pas été autorisés à rénover nos maisons. Le bois que nous avons utilisé pour les construire est là depuis plus de vingt ans. Il s’est détérioré. Nous n’avons pas été autorisés à le remplacer. L’Occupation l’interdit.
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Nous vivions dans des maisons en laine de mouton, ce qui nous isolait des éléments. Mais comme notre cheptel a considérablement diminué, nous ne pouvons plus nous permettre de fabriquer nos maisons avec de la laine de mouton. Les bédouins se sont alors tournés vers le zinc et le bois. En été, nos maisons se transforment en sauna. En hiver, on y gèle. Nous vivons ainsi depuis 25 ou 30 ans.
Projet sioniste
Je pense que c’est un grand projet sioniste – qui nous dépasse tous. Si Israël n’est pas soumis à davantage de pression internationale, il démolira le village. Les médias et politiciens israéliens de droite mènent une guerre contre nous. Ils essaient de faire pression sur leur gouvernement pour qu’il démolisse notre village.
Malheureusement, la question de Khan al-Ahmar est beaucoup plus discutée en Europe qu’à Ramallah. Nous dépendons des Européens, qui nous ont soutenus tout au long de cette épreuve.
Nous avons l’intention de rester ici, même s’ils le démolissent ; nous reconstruirons encore et encore. S’ils nous déplacent de force, nous irons de l’autre côté de la rue
Mais si cela ne suffit pas, les bulldozers israéliens viendront démolir le village. Et nous sommes prêts pour eux. Nous avons l’intention de rester ici, même s’ils le démolissent ; nous reconstruirons encore et encore.
S’ils nous déplacent de force, nous irons de l’autre côté de la rue. C’est notre décision – nous ne reviendrons pas dessus. Où irions-nous ? La seule autre option est le droit de retour, le retour sur nos terres dans le Naqab.
Nos champs ont été pris par Israël et classés en tant que « propriétés des absents » après la guerre de 1948. Mais nous ne sommes pas absents, nous sommes bien là.
- Eid Khamis est le chef de la communauté de Khan al-Ahmar.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : « Les médias et politiciens israéliens de droite mènent une guerre contre nous », affirme Eid Khamis, habitant de Khan al-Ahmar (MEE/Zena Tahhan).
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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