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« Elle agit comme une mafia » : la télévision publique iranienne prend le contrôle du contenu en streaming

Alors que le diffuseur public iranien tente de restreindre l’accès aux sites de streaming, les gens trouvent des alternatives pour regarder en ligne des productions occidentales non censurées
Un Iranien regarde son téléphone dans un parc de la capitale, Téhéran, le 27 novembre 2019 (AFP)
Un Iranien regarde son téléphone dans un parc de la capitale, Téhéran, le 27 novembre 2019 (AFP)
Par Rohollah Faghihi à TÉHÉRAN, Iran

En Iran, le récent blocage de sites de streaming populaires, mais officieux, a fait du bruit chez les Iraniens qui s’en servent pour accéder à des films et séries occidentaux non censurés.

Namava et Filimo – deux importants sites iraniens de vidéo à la demande (VOD), souvent comparés au géant américain Netflix – ont été initialement suspectés d’avoir motivé ces blocages, accusés par certains de chercher à saper leurs concurrents.

Cependant, il est vite apparu que les radicaux iraniens avaient mené la répression par l’intermédiaire de l’Islamic Republic of Iran Broadcasting (IRIB), au moment où ce groupe médiatique élargissait la portée de son monopole et de son contrôle sur les services de radio et télévision nationaux.

L’IRIB fonctionne indépendamment du gouvernement iranien, son directeur est nommé directement par le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei.

Les services de streaming interdits, qui opéraient sans autorisation officielle, figuraient parmi les sites les plus visités en Iran. Leur popularité était due au fait qu’ils mettaient en ligne des séries et films américains, doublés ou sous-titrés en persan, et ce, plus vite que d’autres sites web, notamment Namava et Filimo.

« Elle agit comme une mafia et ne laissera personne se développer »


- Un entrepreneur 

Ces fermetures ont provoqué un tollé et divers présumés coupables ont été pointés du doigt.

« Seigneur, quel péché ai-je donc commis pour être jeté dans cet enfer où je ne peux même pas télécharger de films et de séries. #Namava », a tweeté un Iranien, tandis que des critiques, tel que le célèbre Dibamoviez, un des sites bloqués, affirmait que cette fermeture avantagerait amplement les « Netflix » iraniens car les utilisateurs se retrouveraient contraints d’utiliser leurs sites.

Namava et Filimo ont tous deux rendu publics des communiqués niant toute implication dans ces fermetures.

Filimo a déclaré que les sites avaient été fermés à cause de contenus non censurés, tandis que Namava a annoncé avoir déposé plainte contre certains sites pour avoir mis en ligne des séries et films dont il avait acheté les droits, mais a rejeté les accusations soulevées à son encontre.

D’autres ont accusé le ministre des Technologies de l’information et de la communication, Mohammad-Javad Azari Jahromi, d’être derrière cette initiative, amenant ce dernier à déclarer publiquement que ces fermetures ne relevaient pas de sa décision.

« Le bureau du procureur a ordonné aux fournisseurs de services d’hébergement [de fermer ces sites]. Je n’ai rien fait », a-t-il twitté.

La justice a alors annoncé que les sites en question avaient mis en ligne à plusieurs reprises des films et séries sans « autorisation » des producteurs. Elle a également déclaré que les sites avaient ajouté des productions occidentales sans censurer les scènes de nudité, les qualifiant d’éditeurs de films « vulgaires ».

« Netflix » iraniens contre radicaux

En octobre, la société de diffusion publique a été reconnue comme la seule entité responsable d’accorder des permissions aux services de VOD et de les surveiller, un rôle qui jusque-là était assumé par le ministre de la Culture.

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Les services de VOD officiellement reconnus doivent désormais obtenir de nouvelles licences auprès de l’IRIB, qui est bien plus stricte dans sa surveillance et sa censure que ne l’était le gouvernement.

Les sociétés telles que Namava et Filimo ont tenté de résister contre le monopole de l’IRIB et n’ont pas demandé de nouvelles licences. En riposte, la télévision publique a décidé d’accorder des licences à quatre des sites figurant parmi ceux fermés récemment, démonstration manifeste de pouvoir.

L’un des cofondateurs d’une start-up populaire explique à Middle East Eye que l’IRIB vise un monopole total sur les vidéos et le contenu diffusés en ligne, prenant en exemple un site qui a récemment commencé à mettre en ligne des émissions en direct. Ils ont été bloqués peu de temps après que la télévision publique s’est lancée sur ce créneau. En recevant leurs autorisations, les quatre sites ont convenu d’éviter de mettre en ligne les versions non censurées de films et de séries.

« Quiconque tente de défier l’IRIB rencontrera des difficultés. Elle agit comme une mafia et ne laissera personne se développer », assure l’entrepreneur, qui a souhaité conserver l’anonymat.

Aucune solidarité de la part de certains producteurs de films

Cependant, tout le monde n’est pas mécontent de la situation actuelle.

Des producteurs iraniens auraient joué un rôle dans l’extension du pouvoir de l’IRIB sur le contenu diffusé et sur les restrictions imposées aux sites de streaming.

Un groupe de producteurs a publié un communiqué fin octobre, s’attaquant aux services de VOD parce qu’ils diffusaient des séries et des films étrangers.

« La structure traditionnelle du cinéma iranien ne fait bon ménage avec aucun de ses rivaux modernes. Et nous voyons qu’ils sont jusqu’à présent opposés même à la projection de films étrangers », relève pour Middle East Eye Houshang Golmakani, fondateur du prestigieux magazine iranien Film.

Parviz Jahed, célèbre critique cinématographique et rédacteur en chef de la revue cinématographique Cine-Eye à Londres, pense que ces producteurs s’inquiètent pour leurs intérêts, constatant que les gens sont susceptibles de préférer regarder la série américaine Breaking Bad plutôt que leurs productions.

« C’est pourquoi ils [les producteurs] ont tendu la main à l’IRIB pour bloquer la voie aux services de VOD », explique Parviz Jahed à MEE.

Les intérêts de l’IRIB et ceux des producteurs semblent pour l’instant se recouper.

« L’initiative de l’IRIB échouera car les gens ne tarderont pas à trouver de nouveaux moyens et outils pour contourner leurs restrictions »

- Parviz Jahed, critique de cinéma

Selon Parviz Jahed, dès que les sites de streaming ont commencé à gagner en popularité auprès des Iraniens, un grand nombre de producteurs ont lancé des controverses liées à ce sujet. Dans le même temps, ajoute-t-il, la télévision publique veut être la seule source de diffusion, refusant de céder le moindre centimètre de terrain à de quelconques rivaux.

« C’est comme de la censure, car tous deux limitent les choix des gens », estime le critique.

Constatant que des séries occidentales telles que Fargo et Breaking Bad n’étaient pas diffusées à la télévision, en raison de leur contenu et des limites imposées par l’IRIB, les gens ont été contraints de chercher des alternatives.

« L’initiative de l’IRIB échouera car les gens ne tarderont pas à trouver de nouveaux moyens et outils pour contourner leurs restrictions. »

Comme on pouvait s’y attendre, des Iraniens se sont tournés vers des logiciels torrent pour télécharger des séries et films occidentaux, contournant les obstacles de l’IRIB.

En fin de compte, conclut Parviz Jahed, il est impossible de contrôler totalement l’utilisation d’internet par la population.

Traduit de l'

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(original) par VECTranslation

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