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Eurovision à Tel Aviv : une grande opération de pinkwashing pour Israël

Militants pro-palestiniens et activistes LGBT s’unissent pour dénoncer l’Eurovision 2019 prévu en mai prochain en Israël. Le plus grand événement musical de la planète risquerait de devenir une puissante arme de propagande israélienne
L’artiste queer Bilal Hassani, candidat de la France à l’Eurovision (France TV)
Par MEE

Après la polémique, l’année dernière, suite à la victoire de la chanteuse israélienne Netta Barzilai, l’Eurovision 2019, qui aura lieu en mai en Israël, charrie encore des tensions.

C’est d’abord cet appel au boycott lancé par une cinquantaine de personnalités de toute l’Europe, dont le chanteur Peter Gabriel et le cinéaste Ken Loach, qui ont demandé mercredi à la BBC de boycotter le concours de l’Eurovision pour protester contre les violations des droits des Palestiniens.

« L’Eurovision est peut-être un divertissement léger, mais il n’est pas exempt de considérations liées aux droits de l’homme, et nous ne pouvons ignorer les violations systématiques par Israël des droits des Palestiniens », écrivent ces personnalités dans une tribune publiée par le quotidien The Guardian. La BBC a réagi en estimant que l’Eurovision « n’est pas un événement politique ».

Cet appel intervient alors que plus de soixante associations LGBT de près de vingt pays, relayées par la Campagne palestinienne pour le boycott académique et culturel d’Israël (PACBI), réclament le boycott du concours Eurovision prévu à Tel Aviv.

Parmi les signataires figurent les collectifs palestiniens Al-Qaws pour la diversité sexuelle et de genre dans la société palestinienne, Pinkwatching Israel et Aswat – Centre féministe palestinien pour les libertés sexuelles et de genre, le Comité national LGBT d’UNISON, l’un des plus grands syndicats du Royaume-Uni, les groupes ACT UP France et Royaume-Uni, les Panteras Rosa au Portugal, plus de vingt groupes queers et trans en Espagne et en Italie, le Gay Liberation Network, la Fédération méthodiste pour l’action sociale et Jewish Voice for Peace New York City Queer Caucus aux États-Unis.

« L’Eurovision est peut-être un divertissement léger, mais il n’est pas exempt de considérations liées aux droits de l’homme, et nous ne pouvons ignorer les violations systématiques par Israël des droits des Palestiniens »

- Tribune publiée dans The Guardian

« Rejoindre et promouvoir l’appel au boycott de l’Eurovision 2019 en Israël et de la Pride de Tel Aviv aide à dévoiler la récupération par le gouvernement israélien des droits queers comme outil de propagande pour cacher ses crimes contre les Palestiniens », a expliqué Haneen Maikey, directrice d’al-Qaws, ajoutant que « cela porte un coup à sa stratégie honteuse de pinkwashing afin de maintenir son régime d’apartheid et ses décennies de colonisation et d’occupation de la Palestine ».

Les 19 et 28 janvier derniers, des militants BDS et d’autres activistes LGBT ont perturbé des émissions de sélection des candidats français de l’Eurovision sur le plateau de France2.

Le 28 janvier, selon BDS France, « deux militants du collectif LGBT pour la Palestine et de la Campagne BDS France à Paris ont réussi à monter sur scène […] ils tenaient des pancartes ‘‘Non à l’Eurovision 2019 en Israël’’ et ‘‘Ne chantez pas pour l’apartheid israélien’’. Ils auraient subi des propos homophobes proférés par la police tandis qu’un autre militant a subi des propos racistes. »

Appel à Bilal Hassani, candidat de la France

Mais l’action ne s’arrête pas là, à peine le nom du candidat français à l’Eurovision connu, en la personne de l’artiste queer Bilal Hassani, que ce dernier a été interpellé par une lettre des ONG LGBT et pro-palestiniennes.

« Il y a des gens qui essaient de rendre cet événement politique, mais je ne suis pas pour cela. La scène est un endroit sacré »

- Bilal Hassani, candidat de la France à l’Eurovision

Tout en déclarant leur solidarité avec le jeune chanteur d’origine marocaine qui a subi un flot d’insultes racistes et homophobes, les signataires de la lettre lui demandent de renoncer à chanter en mai à Tel Aviv.

« Même si nous avons bien conscience que pour toi, la participation à l’Eurovision est le fruit d’un important travail et d’un rêve que tu nourris depuis tout petit, penses-tu que tu pourrais accepter de participer à cette opération de ‘’blanchiment’’ d’un État, Israël, qui avec l’accueil de ce concours, souhaite faire une opération de propagande au service de Netanyahou et son gouvernement d’extrême droite ? », écrivent-ils après avoir énuméré les violations du droit international par Israël.

« Cet État développe le pinkwashing, c’est à dire une politique prétendument en soutien à nos communautés [LGBT], pour se donner une fausse image ‘‘ progressiste’’ et blanchir ses crimes ».

Selon des médias pro-israéliens, le candidat de la France a déclaré, mardi, à la chaîne israélienne Channel 12 : « Il y a des gens qui essaient de rendre cet événement politique, mais je ne suis pas pour cela. La scène est un endroit sacré. […] J’ai hâte ! J’ai entendu dire que la vie était très excitante, là-bas, à Tel Aviv. J’ai hâte de voir le soleil et de me rendre sur place. ».

Une drag queen pendant la Gay Pride à Tel Aviv (AFP)
Une drag queen pendant la Gay Pride à Tel Aviv (AFP)

« L’ensemble d’Israël n’est pas ‘’gay friendly’’, et même dans les rares cercles où c’est effectivement le cas, on est ‘‘amis des homosexuels blancs et juifs’’. Pour les Palestiniens, Tel-Aviv, ville juive à plus de 90 %, n’est pas tant un ‘’paradis pour gays’’ qu’une ville construite sur les ruines de Jaffa, après en avoir expulsé les autochtones – hommes, femmes, gays et hétéros, sans distinction », expliquait à Middle East Eye l’écrivaine et activiste palestinienne, Nada Elia.

Une opportunité pour le pinkwashing

L’auteur d’une enquête sur le pinkwashing en Israël, Jean Stern, a rappelé à MEE qu’à partir de 2008, « le gouvernement israélien a mis en place la structure ‘‘Brand Israël’’ directement reliée au cabinet de la ministre des Affaires étrangères de l’époque, Tzipi Livni. Cette ancienne agente du Mossad, le service secret israélien, n’ignorait alors rien de l’image désastreuse de son pays. L’équipe de Livni a utilisé toutes les ressources du marketing pour l’améliorer et le pinkwashing a été une astucieuse trouvaille. ».

L’Eurovision, devenu au fil des ans un symbole de l’émancipation LGBT, apparaît donc comme une occasion en or pour le gouvernement israélien de mettre en œuvre sa politique de pinkwashing.

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