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EXCLUSIF : L’Arabie saoudite donne son « feu vert » à des négociations avec l’Iran

Un responsable du bureau du Premier ministre irakien Adel Abdel-Mehdi confirme que Bagdad a des canaux ouverts avec les deux parties et cherche à organiser une rencontre
Adel Abdel-Mehdi a rencontré le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane à Djeddah la semaine dernière (SPA)

L’Arabie saoudite a donné le feu vert au Premier ministre irakien Adel Abdel-Mehdi pour que celui-ci organise une rencontre avec l’Iran, ce qui pourrait constituer un premier pas vers la désescalade des tensions dans la région, a découvert Middle East Eye.

Abbas al-Hasnawi, un responsable du bureau du Premier ministre irakien, a déclaré à MEE mardi qu’Abdel-Mehdi assurait la médiation entre les dirigeants à Riyad et à Téhéran et avait communiqué les conditions de chaque partie pour des négociations.

Ce lundi, un porte-parole du gouvernement iranien a déclaré que l’Arabie saoudite avait envoyé des messages au président iranien Hassan Rohani par l’intermédiaire de « dirigeants de certains pays ».

Hasnawi a confirmé à MEE qu’Abdel-Mehdi agissait en tant qu’intermédiaire dans le but d’atténuer les tensions depuis les attaques sur les installations pétrolières saoudiennes imputées à l’Iran au début du mois dernier, lesquelles semblaient avoir rapproché ces deux rivaux d’un conflit ouvert.

« Canaux ouverts avec les deux parties »

« Les dirigeants irakiens ont des canaux ouverts avec les deux parties. Nos frères sunnites [au gouvernement] assurent la liaison avec les Saoudiens et nos frères chiites avec les Iraniens », a-t-il expliqué.

« Les Saoudiens ont énoncé des conditions avant le début des négociations, de même que les Iraniens. Nous les avons communiquées de part et d’autre. Ce n’est pas chose facile que de réunir deux parties opposées en termes d’idéologie, de confession et d’alliances dans la région. »

Hasnawi a déclaré qu’Abdel-Mehdi avait convoqué une rencontre entre l’Arabie saoudite et l’Iran, laquelle serait supervisée par le gouvernement irakien qui ferait office de médiateur, et Bagdad en serait le lieu privilégié.

« Les Saoudiens ont donné leur feu vert dans cette affaire, et M. Abdel-Mehdi y travaille », a déclaré Hasnawi, ajoutant que l’Arabie saoudite, y compris le prince héritier Mohammed ben Salmane, avait « apaisé leur discours » ces derniers jours.

Abdel-Mehdi était à Djeddah la semaine dernière pour s’entretenir avec le prince héritier saoudien.

Iran : les développements depuis le retrait américain de l’accord sur le nucléaire

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L’accord international sur le nucléaire iranien, fragilisé depuis le retrait unilatéral des États-Unis en mai 2018, sera au centre des discussions vendredi entre le président français Emmanuel Macron et le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif.

8 mai 2018

Donald Trump annonce le retrait des États-Unis de l’accord sur le nucléaire et le rétablissement de sanctions économiques contre l’Iran.

Conclu en 2015 entre l’Iran, les États-Unis, la Chine, la Russie, le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne, l’accord a permis la levée d’une partie des sanctions contre Téhéran en échange de l’engagement iranien de ne pas se doter de l’arme nucléaire.

Le président iranien Hassan Rohani se dit prêt à discuter avec Européens, Russes et Chinois pour voir comment les intérêts de l’Iran peuvent être préservés. Mais il menace de reprendre l’enrichissement d’uranium si ces négociations n’aboutissent pas.

Fin mai 2018

Le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo énumère douze conditions pour conclure un « nouvel accord », avec des demandes beaucoup plus draconiennes concernant le nucléaire, les programmes balistiques de Téhéran et son rôle dans les conflits au Moyen-Orient.

Washington rétablit en août puis en novembre de sévères sanctions notamment contre les secteurs pétrolier et financier. De grandes entreprises internationales mettent fin à leurs activités ou projets en Iran.

Fin janvier 2019

Paris, Berlin et Londres annoncent la création d’un mécanisme de troc, INSTEX, pour permettre aux entreprises de l’Union européenne (UE) de commercer avec l’Iran malgré les sanctions américaines.

Avril 2019

Donald Trump décide de mettre fin aux exemptions permettant à huit pays l’achat de pétrole iranien, afin de « porter à zéro les exportations » de brut iranien.

8 mai 2019

L’Iran annonce le 8 mai qu’il cessera de respecter à partir de fin juin deux mesures auxquelles il s’était engagé dans le cadre du pacte nucléaire. Asphyxié économiquement par le rétablissement des sanctions, Téhéran veut mettre la pression sur les pays européens toujours engagés dans l’accord.

Jusqu’ici, Téhéran avait respecté ses engagements, selon l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).

Nouvelles sanctions américaines contre « les secteurs iraniens du fer, de l’acier, de l’aluminium et du cuivre ».

1er juillet 2019

Téhéran annonce le 1er juillet le dépassement de « la limite des 300 kilogrammes » d’uranium faiblement enrichi imposée par l’accord.

7 juillet 2019

L’Iran confirme avoir commencé à enrichir l’uranium à un degré supérieur à la limite de 3,67 % imposée par l’accord. Il menace de s’affranchir d’autres obligations dans « 60 jours » à moins qu’une « solution » soit trouvée avec ses partenaires au sein de l’accord.

8 juillet 2019

L’Iran annonce produire de l’uranium enrichi à au moins 4,5 %. 

Depuis mai 2019

Depuis mai, la pression est montée entre Washington et Téhéran après des sabotages et attaques de navires dans le Golfe, imputées à l’Iran, qui dément.

La destruction d’un drone américain, entré dans l’espace aérien iranien selon Téhéran, fait même craindre un embrasement général. Donald Trump, qui a envoyé des soldats supplémentaires dans la région, affirme avoir annulé à la dernière minute des frappes de représailles.

18 juillet 2019

Donald Trump annonce qu’un navire américain a détruit au-dessus du détroit d’Ormuz un drone iranien s’approchant dangereusement d’un navire américain. Allégations « sans fondement », selon Téhéran.

La saisie par l’Iran de trois pétroliers étrangers, dont un battant pavillon britannique, après l’arraisonnement d’un tanker iranien par les Britanniques au large de Gibraltar exacerbe les tensions. Le navire iranien a pu depuis lever l’ancre mais sa destination finale n’est pas connue.

1er août 2019

Washington impose des sanctions au chef de la diplomatie iranienne Mohammad Javad Zarif, moins de deux mois après celles visant le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei.

22 août 2019

La présidence française indique qu’Emmanuel Macron recevra vendredi Mohammad Javad Zarif pour discuter du nucléaire iranien.

Le chef de la diplomatie iranienne fait état de « points d’accord » avec Emmanuel Macron. « C’est l’occasion d’examiner la proposition du président Macron et de présenter le point de vue du président Rohani, et de voir si nous pouvons trouver un terrain d’entente », dit-il à Oslo.

Après cette rencontre, le dossier iranien devrait encore être abordé au sommet du G7 qui se tiendra à Biarritz de samedi à lundi.

Hasnawi a précisé que le gouvernement américain avait également approuvé les négociations entre les deux parties. Falih Alfayyadh, conseiller irakien à la sécurité nationale, est actuellement à Washington pour discuter du calendrier des rencontres, a-t-il ajouté.

« S’il existe un accord potentiel dans la région incluant le Yémen, la Syrie et l’Irak, cela ne posera aucun problème aux Américains », a assuré Hasnawi.

Bagdad, « le meilleur endroit »

Hasnawi a indiqué qu’Abdel-Mehdi espérait organiser une rencontre à Bagdad, mais que le lieu de la rencontre devait encore être approuvé.

« Bagdad est le meilleur endroit pour cette rencontre, mais je ne peux pas confirmer qu’elle y aura lieu. Au début, il y aura des réunions entre les responsables des deux pays, puis un accord sera conclu. Les dirigeants de l’Arabie saoudite et de l’Iran se rencontreront pour le signer. »

« Les conditions de l’Arabie saoudite sont que l’Iran réduise son rôle au Yémen et en Syrie et cesse de soutenir des groupes armés tels que les Houthis »

- Abbas al-Hasnawi, responsable irakien

Hasnawi a déclaré que les deux parties avaient énoncé certaines conditions comme un point de départ aux négociations.

« Les conditions de l’Arabie saoudite sont que l’Iran réduise son rôle au Yémen et en Syrie et cesse de soutenir des groupes armés tels que les Houthis. Elle demande également au régime syrien de résoudre ses problèmes avec les groupes d’opposition syriens et de rédiger une Constitution pour la Syrie avec l’accord de toutes les parties », a-t-il dit.

Les contacts via des canaux informels entre Riyad et Téhéran font suite aux attaques dévastatrices de ce mois-ci sur des installations pétrolières saoudiennes, imputées à l’Iran par l’Arabie saoudite et les États-Unis.

L’Iran nie toute implication dans ces attaques, qui avaient été revendiqués à l’origine par les rebelles houthis soutenus par l’Iran au Yémen.

Cependant, des sources de sécurité irakiennes avaient alors rapporté à MEE que les attaques avaient été lancées depuis des bases situées dans le sud de l’Irak et contrôlées par des milices soutenues par l’Iran.

Toutefois, les dirigeants saoudiens et iraniens ont indiqué ces derniers jours que leurs pays étaient ouverts à des négociations visant à désamorcer les tensions régionales.

Une solution politique est préférable

Dans une interview accordée ce dimanche à la chaîne américaine CBS, Mohammed ben Salmane a déclaré qu’« une solution politique et pacifique [était] largement préférable à une solution militaire », appelant l’Iran à mettre fin à son soutien aux Houthis au Yémen.

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Il a laissé entendre qu’une guerre entre l’Arabie saoudite et l’Iran signifierait « l’effondrement total de l’économie mondiale ».

Ce mardi, le président du Parlement iranien Ali Larijani a déclaré à Al Jazeera que l’Iran saluait la volonté apparente du prince héritier de discuter.

« Nous nous félicitons que Mohammed ben Salmane se déclare disposé à résoudre les problèmes par des négociations avec Téhéran », a affirmé Larijani.

Le ministère iranien des Affaires étrangères a également laissé entendre que le pays était ouvert à des négociations multilatérales avec les Émirats arabes unis, principal allié régional de l’Arabie saoudite.

« Nous sommes prêts à discuter avec des pays, en particulier les Émirats, en groupe ou séparément, afin d’éliminer les malentendus », a annoncé Abbas Mousavi, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, lors d’une conférence de presse hebdomadaire.

« Entre le marteau et l’enclume »

Adel Abdel-Mahdi s’emploie depuis plusieurs mois à empêcher son pays de devenir le champ de bataille d’une guerre par procuration entre les États-Unis et l’Iran.

Selon des sources des services de sécurité irakiens qui se sont entretenues avec MEE, l’armée américaine lui a fait part plus tôt cette année de son intention de frapper un aérodrome tenu par la milice irakienne des Kataeb Hezbollah suite aux frappes de drones contre des installations pétrolières dans le Golfe.

Selon des témoins de l’échange, Abdel-Mahdi aurait déclaré aux Américains qu’il ne pouvait pas les empêcher de procéder à des frappes où bon leur semblait, mais qu’il ne pouvait pas non plus empêcher les frappes de représailles des milices soutenues par l’Iran contre les troupes et les bases américaines en Irak.

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La frappe américaine contre le Hezbollah irakien n’a jamais eu lieu. Au lieu de cela, les États-Unis ont autorisé Israël à utiliser ses drones depuis des bases des Forces démocratiques syriennes (FDS) dans le nord-est de la Syrie, a annoncé une source des services de renseignement irakiens.

En août, Abdel-Mahdi a subi d’énormes pressions pour accuser publiquement Israël d’avoir lancé des drones pour attaquer des cibles sur le territoire irakien.

« Notre Premier ministre se retrouve entre le marteau et l’enclume », a déclaré à MEE la source issue des services de renseignement.

« Il a dit aux Iraniens comme aux Américains que l’Irak était épuisé après des décennies de guerres, de conflits et de guerre civile. 

« L’entraîner au centre de la guerre par procuration entre l’Iran d’une part et les États-Unis ainsi que leurs alliés régionaux d’autre part risque de causer des dommages irrémédiables à sa stabilité et à son unité, qui auront de lourdes conséquences pour toute la région. »

Interrogé par MEE ce mardi, Abbas al-Hasnawi a réitéré ces préoccupations.

« La région ne peut pas résister à un autre conflit entre l’Arabie saoudite et l’Iran ; c’est une région pleine de dangers et riche en pétrole brut, une ressource essentielle pour le monde entier », a-t-il rappelé.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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