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EXCLUSIF : Lors d’un appel secret, Pence a demandé à Erdoğan de renoncer aux missiles russes

Le vice-président américain a, au nom de Trump, incité le dirigeant turc à opter pour des missiles Patriot, mais Erdoğan serait resté insensible à sa demande
Le président turc Recep Tayyip Erdoğan (à gauche) et le vice-président américain Mike Pence (à droite) (AFP)
Par Ragip Soylu à ISTANBUL, Turquie

Le vice-président américain Mike Pence a tenté sans succès de faire renoncer le président turc Recep Tayyip Erdoğan à un accord relatif à des missiles avec la Russie en faveur d’un accord avec les États-Unis, selon des informations recueillies par Middle East Eye.

Lors d’un appel téléphonique la semaine dernière, Pence a demandé à Erdoğan d’annuler son contrat passé avec Moscou concernant l’achat de systèmes de défense aérienne S-400, ce qui a accru les tensions entre les deux alliés de l’OTAN.

Selon deux sources turques au courant de cet appel, Pence, ancien membre du caucus (coalition) États-Unis-Turquie au Congrès américain, a transmis les salutations du président Donald Trump à Erdoğan et a demandé l’abandon de l’achat de S-400.

Cette requête vient du fait que l’administration Trump est chargée de sanctionner les pays qui concluent des transactions avec l’industrie militaire russe, en vertu d’une loi ratifiée par le Congrès américain en 2017 : la loi CAATSA (Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act).

Bien que la Turquie ait signé l’accord avec Moscou bien avant l’achat, les diplomates américains jugent qu’il est quand même passible de sanctions.

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Pendant sa conversation téléphonique avec Erdoğan, Pence a souligné qu’un accord alternatif avec Washington – selon lequel la Turquie achèterait des missiles Patriot au lieu des S-400 – était toujours sur la table, selon les sources.

Erdoğan a répondu que l’accord d’Ankara avec Moscou avait atteint un point de non-retour et que les missiles Patriot ne remplissaient pas les trois critères exigés par la Turquie : une livraison sans délai, une production conjointe et un transfert de technologie.

Pence a indiqué que Washington pouvait accélérer la livraison mais ne pouvait faire de promesses sur les deux autres critères, rapportent nos sources.

Les responsables turcs ont refusé de commenter cette affaire et les responsables américains n’ont pas répondu à nos nombreuses sollicitations. Ni la présidence turque ni le Conseil de sécurité nationale de la Maison-Blanche n’ont publié d’informations à propos de cet appel.

Faire jouer la concurrence

Ankara est à la recherche de systèmes de défense aérienne depuis que l’OTAN a retiré ses missiles Patriot de Turquie en 2015.

La résistance du Congrès aux tentatives d’achat de ses propres missiles Patriot a amené la Turquie à se tourner vers la Russie.

Les responsables américains du département d’État ont dû se presser de trouver une solution au problème des S-400. Ils retardent les sanctions depuis 2017 au motif que les S-400 n’avaient toujours pas été livrés à la Turquie.

Une fois que les systèmes de défense aérienne auront été livrés, la Turquie pourrait éviter les sanctions en les laissant entreposés et désactivés.

Mais des questions autres que les sanctions sur les armes pourraient compromettre les autres ventes américaines de défense à Ankara.

« Nous avons demandé à nos alliés occidentaux de nous livrer des systèmes de défense aérienne, mais les systèmes existants ont été retirés, sans que de nouveaux nous soient fournis »

– Recep Tayyip Erdoğan

Le Pentagone et des entreprises du secteur de la défense telles que Lockheed Martin ont déclaré craindre que le radar S-400 ne puisse espionner le F-35, avion de chasse américain de nouvelle génération, produit conjointement par plusieurs pays, dont la Turquie.

Ankara envisage de remplacer prochainement sa flotte de F-16 par des dizaines de F-35.

Ankara a cherché à apaiser les tensions, notamment en promettant à Washington que les techniciens russes ne poseraient pas les pieds sur le sol turc, en proposant de créer un nouveau logiciel local pour le système et en déclarant que les S-400 ne seraient pas connectés à un réseau russe ou à un réseau de l’OTAN.

Cependant, diverses sources à Washington ont précédemment indiqué à MEE que de hauts responsables américains avaient trouvé ces offres insuffisantes.

La Turquie est déjà en possession de deux F-35, actuellement basés aux États-Unis à des fins d’entraînement. Deux autres doivent être livrés le mois prochain.

Pourtant, plusieurs textes législatifs américains ont remis en cause leur livraison, et il n’est pas certain que les F-35 américains destinés à l’entraînement seront autorisés à partir pour la Turquie cette année.

Dans ce contexte, l’offre américaine de vendre un ensemble de missiles Raytheon Co Patriot pour 3,5 milliards de dollars, lancée pour la première fois en décembre, revêt une certaine importance.

Les responsables américains ont fixé à Ankara une échéance informelle au 15 février pour répondre à cette offre, selon des responsables américains qui se sont entretenus avec les médias.

Un article de Reuters, citant des responsables américains, indiquait que le délai officiel expirait fin mars.

Lundi, Erdoğan s’est plaint de la position changeante des États-Unis.

« Nous avons demandé à nos alliés occidentaux de nous livrer des systèmes de défense aérienne, mais les systèmes existants ont été retirés, sans que de nouveaux nous soient fournis », a déclaré Erdoğan.

« Les S-400 russes sont le résultat de cette demande. Maintenant, ils nous disent de renoncer à l’achat des S-400. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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