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Imaginer la Palestine en 2048 : une fiction à la Black Mirror

Dans ce puissant recueil de science-fiction, qui se déroule un siècle après la Nakba, le passé disloqué de la Palestine hante son présent et son avenir
Les contributeurs de Palestine +100 brossent parfois un paysage terrifiant fait de dévastation et de surveillance (illustration de Mohamad Elaasar/MEE)

Dans l’introduction de Palestine +100: Stories From A Century After The Nakba, un puissant recueil de nouvelles dans lequel douze écrivains palestiniens imaginent la vie en 2048, l’éditrice Basma Ghalayini sinterroge sur les raisons pour lesquelles les écrivains palestiniens en général évitent la science-fiction : « La cruauté du présent [et le passé traumatisant] ont une emprise trop ferme sur l’imagination des écrivains palestiniens pour qu’ils s’aventurent vers de fantaisistes futurs possibles. »

« Où que les réfugiés palestiniens se trouvent dans le monde, une chose les unit : leur foi indubitable en leur droit au retour »

- Basma Ghalayani

Il s’agit d’un recueil façonné par la catastrophe – l’expulsion forcée de 700 000 Arabes palestiniens en 1948 pour créer l’État d’Israël – qui a déclenché une crise des réfugiés, dont les conséquences se font encore sentir aujourd’hui. 

Comme l’affirme Basma Ghalayani : « Quatre générations plus tard, n’importe quel enfant palestinien peut vous décrire en détail le jardin arrière de son arrière-grand-père à Haïfa, Yaffa ou Majdal. Il peut vous décrire la cuisine de son arrière-grand-mère, les motifs sur ses assiettes et les couleurs des broderies sur ses oreillers […] »

« Bien entendu, cet enfant n’est jamais allé dans aucun de ces endroits mais tant qu’il en garde une mémoire vivace, alors, si jamais il parvient à y retourner, ce serait comme s’il n’était jamais parti […] En effet, où que les réfugiés palestiniens se trouvent dans le monde, une chose les unit : leur foi indubitable en leur droit au retour. »

Ce sont ces souvenirs que l’on retrouve dans l’exceptionnelle introduction Song Of The Birds de Saleem Haddad, dans lequel l’esprit de la protagoniste de 14 ans, Aya, commence à se désintégrer après le suicide de son frère aîné Ziad.

Couverture de Palestine +100:Stories From A Century After The Nakba (Comma Press)

Ainsi, une parfaite journée en bord de mer à Gaza, 2048 – une plage tout en couleurs, un ciel sans nuage, une mer bleue et calme, les bruits de la musique « ringarde » et des enfants heureux qui jouent – est transformée par le clapotis de la mer en terrain vague infesté d’eaux usées, regorgeant d’horreurs.

Le passé empiète sur le présent, tandis que Ziad rend visite à Aya dans ses rêves, laissant entendre ce qui est à venir : « Tu sais comment on est, nous, les Arabes. Nous sommes pris au piège des souvenirs enjolivés par nos ancêtres. Ces souvenirs cachés s’enroulent autour de nous comme une seconde peau. »

L’histoire de Haddad est d’autant plus poignante qu’elle est dédiée à la mémoire du jeune écrivain Mohanned Younis qui s’est suicidé en 2017.

Ce spectre d’un passé brisé hante non seulement le présent de Gaza, mais il assombrit également de larges pans de son avenir.

Dans The Key d’Anwar Hamed, traduit par Andrew Leber, des fantômes palestiniens tourmentent les Israéliens du futur, qui ont tenté d’effacer les crimes de l’histoire. Ici, aucune technologie ne peut acheter la tranquillité d’esprit dans ce qui est essentiellement une terre volée.

« Un Palestinien de Cisjordanie n’a qu’à retracer son parcours pour se rendre au travail, ses réponses à un soldat israélien à un point de contrôle, ou le fait d’avoir oublié sa carte d’identité… pour documenter ce qu’est une occupation moderne et totalitaire, chose que les Occidentaux ne peuvent commencer à comprendre qu’à travers le langage de la dystopie »

- Basma Ghalayani

Obnubilé par la paranoïa, Israël construit un bouclier transparent rivalisant avec celui de l’Étoile de la mort, « un mur de gravité » destiné à maintenir les indésirables à l’écart. 

Décrivant cette technologie, Hamed écrit : « Ce n’est qu’avec le bon “code” qu’une personne pourrait physiquement franchir les portes – il s’agirait de bouts de code complexes que l’État réglementerait, mettrait à jour, contrôlerait. On ne laisserait passer que les gens dont l’État voudrait, et les gens dont il ne voudrait pas seraient tenus à l’écart. »

Le créateur du mur craint, à raison, « ces photographies de personnes brandissant des clés plus que tout accord d’armement signé par les pays voisins ».

C’est une allégorie puissante, qui imprègne la conscience collective d’un peuple déplacé.

Un fort sentiment d’identité est au centre également de la nouvelle quelque peu absurde Application 39 d’Ahmed Masoud, où deux techniciens informatiques qui s’ennuient piratent le système informatique du Comité international olympique, soumettant la candidature de la ville de Gaza pour accueillir les Jeux de 2048.

La candidature des farceurs est acceptée et les constructeurs souterrains de Gaza se mettent au travail. Où accueillir un marathon dans une ville qui fait juste 6 km de large, sinon sous terre ?

« Ils étaient désormais de l’autre côté du miroir ; ce qui avait commencé comme une blague était devenu une nouvelle réalité qui pourrait changer l’avenir de toute la ville. Après un siècle passé coupés du monde, maintenant, tout à coup, le monde allait venir à eux. Pour visiter cette prison, pensait Ishmael, une toute première visite, afin de regarder des gens courir, sauter et jeter des choses ! »

Cette force de l’esprit et cette volonté pure du peuple palestinien sont également explorées dans l’exemplaire The Curse of the Mudball Kid de Maazen Maarouf (traduit par Jonathan Wright), qui conclut le recueil.

Ici, le dernier Palestinien vivant est une curiosité bizarroïde, cube de verre sur roulettes, promené dans les écoles israéliennes. Amère ironie pour ses hôtes qui désirent ardemment le voir anéanti : les radiations qui courent à travers ses veines empêchent sa destruction.

La Nakba n’a pas pris fin en 1948

Si, comme l’écrit Basma Ghalayani, les écrivains palestiniens n’ont pas l’habitude d’écrire de la science-fiction, alors il n’y a pas un seul faux pas dans ce volume brillant.

Cette anthologie appréciable met à jour, explore et refamiliarise l’Occident avec les horreurs de l’existence palestinienne en ce moment même.

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La lecture est parfois pénible. Comme le note Basma Ghalayani, recadrer le présent pour le remettre en question peut devenir nécessaire pour les écrivains arabes en proie à la censure et aux accusations d’antisémitisme.

À ses yeux, la Nakba ne s’est pas arrêtée en 1948 : elle a simplement évolué, avec chaque raid israélien, avec chaque contrôle, chaque fouille, vol de terres elle est devenue une réalité quotidienne pour les Palestiniens. 

Ghalayani conclut : « La vie quotidienne pour eux [les Palestiniens] est une sorte de dystopie. Un Palestinien de Cisjordanie n’a qu’à retracer son parcours pour se rendre au travail, ses réponses à un soldat israélien à un point de contrôle, ou le fait d’avoir oublié sa carte d’identité… pour documenter ce qu’est une occupation moderne et totalitaire, chose que les Occidentaux ne peuvent commencer à comprendre qu’à travers le langage de la dystopie. »

Palestine +100 : Stories From A Century After The Nakba, édité par Basma Ghalayini, est publié par Comma Press

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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