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La Turquie a déporté illégalement des Syriens dans la « zone de sécurité » avant sa création selon Amnesty

Les recherches menées par l’ONG montrent que de nombreuses personnes ont été amenées par la contrainte ou par la tromperie à signer des documents pour un soi-disant « retour volontaire » en Syrie
Amnesty International a rassemblé des informations sur vingt cas vérifiés de renvoi forcé (AFP)
Par MEE

La Turquie a passé les mois qui ont précédé son incursion militaire dans le nord-est de la Syrie à expulser des réfugiés vers ce pays déchiré par la guerre, en prévision de la tentative de création d’une soi-disant « zone de sécurité » du côté syrien de la frontière, révèle un nouveau rapport d’Amnesty International.

Le gouvernement turc affirme que les personnes qui retournent en Syrie le font de façon volontaire, mais les recherches menées par l’organisation de défense des droits de l’homme montrent que de nombreuses personnes ont été amenées par la contrainte ou par la tromperie à signer des documents pour un soi-disant « retour volontaire ».

Amnesty dit avoir rencontré ou interviewé des réfugiés ayant déclaré que la police turque les avait frappés ou menacés pour les contraindre à signer des documents indiquant qu’ils avaient demandé à retourner en Syrie, alors qu’en réalité la Turquie les a contraints à retourner dans une zone de guerre, mettant gravement leur vie en danger, estime Amnesty.

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Certaines personnes se sont entendu dire qu’elles signaient un formulaire d’enregistrement, qui confirmait qu’elles avaient reçu une couverture dans le centre de rétention, ou d’un formulaire dans lequel elles exprimaient leur souhait de rester en Turquie.

« La Turquie a de façon dangereuse et malhonnête affirmé que des réfugiés syriens avaient choisi de retourner directement dans une zone de conflit. Nos recherches montrent en fait que des personnes sont amenées par la tromperie ou la contrainte à retourner dans ce pays », a déclaré Anna Shea, chargée de recherche sur les droits des réfugiés et des migrants à Amnesty International.

« Il faut reconnaître que la Turquie a le mérite d’accueillir plus de 3,6 millions de femmes, d’hommes et d’enfants venus de Syrie depuis plus de huit ans, mais elle ne peut pas utiliser cette générosité pour justifier le fait qu’elle bafoue le droit national et international en expulsant des personnes vers une zone de conflit. »

Faute de statistiques officielles, il est difficile de donner une estimation du nombre d’expulsions forcées, souligne Amnesty. Mais en se basant sur les nombreux entretiens menés entre juillet et octobre 2019 pour le rapport, intitulé « Sent to a war zone: Turkey’s illegal deportations of Syrian refugees », l’ONG estime qu’au cours des derniers mois, plusieurs centaines de personnes ont probablement subi ce sort.

Les autorités turques affirment pour leur part qu’au total, 315 000 personnes sont retournées en Syrie de façon totalement volontaire.

L’expulsion de personnes vers la Syrie est illégale selon Amnesty International, car elle expose ces personnes au risque avéré de graves violations des droits humains.

« Il est effrayant de constater que l’accord conclu entre la Turquie et la Russie cette semaine prévoit le "retour volontaire et sans danger" de réfugiés dans une "zone de sécurité" qui doit encore être créée. Jusqu’à présent, les retours n’ont absolument pas été volontaires et sans danger, et ce sont maintenant des millions d’autres réfugiés venus de Syrie qui sont en danger », a souligné Anna Shea.

Des renvois forcés maquillés en retours « volontaires »

Amnesty International a rassemblé des informations sur vingt cas vérifiés de renvoi forcé, qui concernent tous des personnes renvoyées de l’autre côté de la frontière à bord de bus remplis de dizaines d’autres personnes ayant les poignets ligotés avec des liens en plastique, et qui semblaient également faire l’objet d’un renvoi forcé.

« L’Union européenne et l’ensemble de la communauté internationale devraient considérablement accroître les engagements pour la réinstallation des réfugiés syriens venant de Turquie, au lieu de consacrer toute leur énergie à empêcher les personnes en quête d’asile d’entrer sur leur territoire »

- Anna Shea, Amnesty International

Qasim, un père de 39 ans originaire d’Alep, a déclaré avoir été détenu dans un poste de police à Konya pendant six jours, et que les policiers lui avaient dit : « Tu as le choix : un ou deux mois, ou une année, en prison, ou alors tu retournes en Syrie. »

John, un Syrien chrétien, a déclaré que des agents des services turcs de l’immigration lui avaient dit : « Si tu demandes un avocat, on te garde pendant six ou sept mois et on te fera du mal. »

Il a été expulsé après avoir été intercepté par les garde-côtes turcs alors qu’il tentait de rejoindre la Grèce, et a dit qu’après son arrivée en Syrie, il avait été détenu pendant une semaine à Idleb par le Front al-Nosra, un groupe lié à al-Qaïda.

« C’est un miracle que je m’en sois sorti vivant », a-t-il ajouté.

Toute interaction avec la police ou les services de l’immigration turcs, par exemple un entretien pour le renouvellement de papiers ou un contrôle d’identité dans la rue, risque apparemment de conduire à un placement en détention ou à une expulsion, déclare Amnesty.

L’explication la plus fréquemment donnée aux personnes soumises à une expulsion est qu’elles ne sont pas enregistrées ou qu’elles se trouvent en dehors de la province où leur enregistrement a été effectué. Or, des personnes qui détenaient des papiers en règle pour leur province de résidence ont tout de même été expulsées selon l’ONG.

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« Les autorités turques doivent cesser de renvoyer des personnes en Syrie contre leur gré, et veiller à ce que toute personne qui a fait l’objet d’un renvoi forcé puisse retourner en Turquie en toute sécurité et avoir de nouveau accès aux services de base », a déclaré Anna Shea.

« L’Union européenne et l’ensemble de la communauté internationale devraient considérablement accroître les engagements pour la réinstallation des réfugiés syriens venant de Turquie, au lieu de consacrer toute leur énergie à empêcher les personnes en quête d’asile d’entrer sur leur territoire. »

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