Pourquoi la Turquie envahit-elle le nord-est de la Syrie ?
La Turquie a lancé sa toute dernière opération en date dans le nord-est de la Syrie, l’opération Source de paix, visant le Parti de l’union démocratique (PYD) kurde et sa branche armée, les Unités de protection du peuple (YPG).
Cette initiative, précédée de l’engagement par le président américain Donald Trump de retirer les troupes américaines de la région, a suscité l’indignation de certains observateurs qui redoutent un massacre des Kurdes dans le nord de la Syrie.
Cependant, la Turquie soutient qu’elle doit prévenir la création d’un « corridor terroriste » le long de sa frontière méridionale.
Les racines de ce dernier chapitre de la guerre syrienne remontent à des décennies et la situation sur le terrain – et il en va de même avec la myriade d’acronymes – se complexifie au fil du temps :
Qui combat qui ?
Parti de l’union démocratique (PYD)/Unités de protection du peuple (YPG)
Le PYD a été créé en 2003 en Syrie. Suite au début de la guerre civile syrienne en 2011, le groupe a réussi à prendre le contrôle d’une grande partie du nord du pays profitant du vide sécuritaire engendré par la guerre.
Le groupe dit adhérer au « confédéralisme démocratique », qui repose sur l’idéologie d’Abdullah Öcalan, fondateur et dirigeant du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), emprisonné en Turquie depuis 1999. Le PYD prône la démocratie décentralisée, le féminisme et l’écosocialisme.
Depuis 1984, le groupe s’est engagé dans la guérilla contre l’État turc. À l’origine, il réclamait la création d’un État kurde socialiste indépendant avant d’opter pour un appel à l’autonomie et au fédéralisme régional.
Le PYD se dit indépendant du PKK, mais d’autres suggèrent que la plupart de ses opérations sont contrôlées par les dirigeants du PKK dans les montagnes de Qandil, dans le nord de l’Irak.
L’objectif de longue date du PYD consiste à relier un certain nombre de « cantons » contrôlés par le groupe dans le nord de la Syrie. Bien que considéré comme un groupe nationaliste kurde, le PYD lui-même réfute toute fondation ethnique.
En outre, un certain nombre de groupes combattent à ses côtés :
- Forces démocratiques syriennes (FDS) : coalition formée avec l’aide des Américains en 2015 et composée d’Arabes, de Turkmènes et d’autres groupes ethniques dans le nord de la Syrie, les FDS sont une force de combat clé contre le groupe État islamique (EI).
- Parti communiste marxiste-léniniste (MLKP) : groupe armé turc d’extrême gauche interdit en Turquie, le MLKP combat l’EI aux côtés des YPG depuis 2012.
- Bataillon international de libération : organisation internationale de volontaires composée de combattants étrangers, cette unité de combat est vaguement calquée sur les Brigades internationales qui se sont portées volontaires pour combattre pendant la guerre civile espagnole.
Turquie
Deuxième armée de l’OTAN, la Turquie s’inquiète vivement de l’essor du PYD depuis au moins 2014, lorsque le groupe a attiré l’attention mondiale du fait de ses affrontements avec l’EI dans la ville de Kobané.
En 2015, un processus de paix engagé entre la Turquie et le PKK depuis 2013 s’est effondré en partie à la suite de l’expansion du PYD. Depuis lors, le président turc Recep Tayyip Erdoğan répète sa détermination à « ne jamais permettre l’établissement d’un État kurde dans le nord de la Syrie ».
En 2016, l’opération Bouclier de l’Euphrate a été lancée par Ankara avec l’intention de combattre l’EI dans le nord de la Syrie, suivie de l’opération Rameau d’olivier en 2018, qui a chassé les YPG de la région d’Afrin, dans le nord-ouest. Depuis, la tension a dégénéré vers un conflit à part entière visant à se débarrasser de la présence des YPG dans le reste du nord syrien.
Combattent aux côtés de la Turquie un certain nombre de groupes rebelles syriens, notamment :
- Armée nationale syrienne (ANS) : composée de combattants alignés avec l’Armée syrienne libre (ASL), rassemblement de groupes opposés au président syrien Bachar al-Assad, l’ANS a contribué aux opérations turques à Afrin, al-Bab et dans d’autres régions.
Que veut la Turquie dans le nord de la Syrie ?
La Turquie craint qu’une entité pro-PKK à sa frontière sud ne devienne inévitablement un tremplin pour des attaques contre la Turquie et, par conséquent, la considère comme une menace existentielle. Plus de 40 000 personnes ont été tuées dans des combats entre la Turquie et le PKK jusqu’en 2014.
L’autre raison de l’opération est le désir d’expulser les réfugiés syriens de Turquie et de les réinstaller dans une « zone de sécurité » qu’elle prévoit de créer dans le nord de la Syrie. La Turquie abrite la plus grande population de réfugiés au monde et la présence de Syriens dans le pays rencontre l’animosité croissante des Turcs qui les rendent responsables de la criminalité, du chômage et de la dilution de la culture turque.
Afin de contrer la montée de la xénophobie, Erdoğan a promis de relocaliser deux millions de Syriens dans les zones prises aux YPG, même s’ils n’en sont pas originaires.
Que veut le PYD dans le nord de la Syrie ?
L’objectif de longue date du PYD est la création d’un État décentralisé reposant sur l’idéologie d’Öcalan. La zone contrôlée par le PYD – appelée par beaucoup Rojava, le mot kurde désignant la région – a établi l’autonomie par le biais de réseaux de conseils locaux et de forums qui visent à promouvoir la démocratie décentralisée (bien que certains se demandent quel pouvoir ils ont réellement). Le PYD a été accusé de mettre en œuvre un régime à parti unique au sein de l’administration autonome qui dirige le Rojava.
L’objectif initial de créer une entité contiguë a de toute évidence été anéanti par l’invasion turque d’Afrin. Aujourd’hui, le PYD semble vouloir conserver son influence dans tout futur processus de paix en Syrie, bien que la Turquie ait opposé son veto à ses tentatives visant à s’impliquer dans les processus soutenus par l’ONU.
Les Kurdes, en particulier, sont depuis longtemps victimes de discriminations en Syrie, les gouvernements successifs tentant d’« arabiser » les régions kurdes et d’en changer la démographie. Le PYD veut que les droits des Kurdes soient protégés dans une future solution constitutionnelle.
Que veut la coalition dirigée par les États-Unis dans le nord de la Syrie ?
Le président Donald Trump a été élu avec un programme isolationniste et la promesse de retirer les États-Unis des conflits qui ne les concernaient pas. Vaincre l’EI a été maintes fois présenté comme l’unique raison à l’implication des États-Unis en Syrie (ainsi que parfois défier l’Iran) ; et maintenant l’EI a été largement vaincu, Trump a fait valoir que les États-Unis n’avaient plus besoin de rester.
La plus grande crainte pour les États-Unis et leurs alliés est que la prise de contrôle par la Turquie des zones contrôlées par le PYD puisse entraîner la libération de certains des 15 000 combattants de l’EI précédemment capturés par les Kurdes et leurs alliés.
Trump a prévenu que s’il y avait des « combats superflus ou inutiles », il anéantirait l’économie turque.
Que veut le gouvernement syrien (et ses alliés) ?
Le gouvernement syrien, ainsi que ses proches alliés, l’Iran et la Russie, se réjouissent de la décision des États-Unis de se retirer du nord de la Syrie, mais ont exprimé leur inquiétude vis-à-vis de la violation de la souveraineté du pays par la Turquie.
Le président syrien Bachar al-Assad espère que face à la menace de la Turquie, le PYD liera son destin au sien afin d’éviter une défaite totale.
Assad a mentionné à plusieurs reprises qu’il visait à reprendre le contrôle de toute la Syrie, et que si le PYD décidait de s’allier officiellement avec lui, cela ramènerait sous l’influence de Damas la plus grande région jusqu’à présent hors de son contrôle.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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