Dr. Samah Jabr : « La résistance en Palestine est aussi une résilience »
La camera d’Alexandra Dols accompagne tel un road movie intimiste le travail du Dr. Samah Jabr. En voix off, parfois méditative, la psychiatre et écrivain égrène dans Derrière les fronts. Résistances et résiliences en Palestine, ses analyses sur la situation de son peuple.
Tout le travail de Samah Jabr en tant que thérapeute consiste à parler des conséquences de l’occupation pour mieux décoloniser les esprits. Pour mieux donner à ses patients les instruments de réappropriation de leur trauma, notamment une résistance à la tentative de fragmentation des esprits qu’est aussi la colonisation, d’abord œuvre de fragmentation territoriale.
Dans une scène du début, d’une grande puissance de réflexion, Samah, tête baissée, écoute une collègue israélienne détailler sa peur, notamment quand elle manifeste son soutien au mouvement Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS). Samah Jabr, en mots précis, explique alors ce qu’est la peur côté palestinien : une mitraillette pointée sur la poitrine à un checkpoint, les démolitions, les bombardements, les violences des colons et des militaires.
« Un seuil de peur palestinien différent du seuil de peur israélien », explique-t-elle de la voix calme qui la caractérise. Elle exprime ainsi son idée fondamentale : la peur industrialisée, qu’elle résume dans le film en une simple phrase : « Nous vivons dans une réalité où plus les Israéliens respirent, plus les Palestiniens étouffent ».
Nous vivons dans une réalité où plus les Israéliens respirent, plus les Palestiniens étouffent
Ce qui ressort de ce film est que résister, c’est exister. C’est une forme de soin, de thérapie et de résilience. Telle cette mère de famille, Dimah, qui témoigne, face caméra, de la tentative d’enlèvement de son petit garçon par des colons. Une tentative à laquelle cette jeune femme encore visiblement traumatisée s’est opposée, jusqu’à se faire rouer de coups par les colons. Pourtant, Dimah continue à emmener ses enfants dans des lieux où ils peuvent rencontrer des juifs israéliens, « pour qu’ils n’intègrent pas la peur », dit-elle dans le film.
Certains patients de Samah Jabr, après avoir été torturés dans les prisons israéliennes, ont développé divers troubles psychologiques. Ils racontent les techniques de torture utilisées à leur encontre, « la banane », le « placard », le « tuyau » ou encore « la chaise palestinienne ». L’armée israélienne utilise également les codes et tabous de la société palestinienne, comme le dégoût des chiens ou la pudeur face aux questions sexuelles.
Autre notion clé abordée par ce film, celle de colonisation des esprits. Ou plutôt celle de la tentative de colonisation des esprits. Un regard et une analyse qui peuvent résonner et raisonner bien au-delà de la Palestine, ou plutôt, à partir de la Palestine. Avec d’autres thérapeutes, Samah Jabr a ainsi récemment interpellé L’Association internationale pour la psychanalyse relationnelle et la psychothérapie (IARPP) dans une lettre ouverte où les signataires interrogent la décision de cette organisation de tenir son prochain congrès international en 2019 en Israël.
La Palestine apparaît au final comme le paradigme d’un rapport de forces mondiales qui se concentrerait dans ce coin du monde. Le travail et la réflexion du Dr. Samah Jabr permettent de mieux en saisir les enjeux ainsi que la question de l’oppression, des oppressions, intériorisée(s). Une contribution utile aux Palestiniens. Et à tous.
Middle East Eye : En quoi la thérapie que vous pratiquez a-t-elle une dimension politique ?
Samah Jabr : Ma conception de la maladie mentale est biopsychosociale. Selon cette approche, surtout en Palestine occupée, il faut prêter attention au non-respect des droits de l’homme et de la justice. Ce contexte est très pathogène et il affecte le bien-être et la santé mentale de beaucoup d’individus. L’occupation est l'une des causes majeures, même si ce n'est pas la seule, des souffrances d’un Palestinien.
Si les Palestiniens ne résistaient pas à l’occupation israélienne, cette violence et cette humiliation imposées s’exprimeraient beaucoup plus les uns contre les autres
Dans une société où règnent la violence et l’oppression, les destructions psychologiques causées par cette violence entraînent une autre violence, qui va du plus fort vers le plus faible. On trouve toujours plus faible que soi pour déplacer sa contre-agression. Ainsi, la violence verticale de l’occupation se diffuse horizontalement au sein du peuple palestinien.
Si les Palestiniens ne résistaient pas à l’occupation israélienne, cette violence et cette humiliation imposées s’exprimeraient beaucoup plus les uns contre les autres. Les personnes les plus fragiles d’une communauté, les femmes, les enfants, les personnes souffrant de fragilité psychologique, sont ceux qui en pâtiraient le plus. Soigner donc, sans oublier la folie de notre contexte.
Middle East Eye : Y-a-t-il cependant des pathologies typiques d’un système d’occupation coloniale ?
SJ : Sous l’occupation existent beaucoup de souffrances psychosociales. Le deuil, la démoralisation, l’humiliation, la radicalisation, l’oppression intériorisée sont des réactions très communes. Par exemple, la récente reconnaissance américaine de Jérusalem comme capitale d’Israël imprime beaucoup de colère ou de désespoir en nous. Une telle détresse politique cause aux gens une douleur psychologique « non catégorisée ».
Les études scientifiques montrent que là où sévit la violence, la prévalence des troubles mentaux augmente de 10 à 15 % , tandis que les troubles psychotiques comme la schizophrénie ou les troubles bipolaires peuvent doubler ou tripler
On constate des troubles mentaux communs comme la dépression, l’anxiété et les troubles physiques liés à la somatisation. Schizophrénie et troubles bipolaires également. Les études scientifiques montrent que là où sévit la violence, la prévalence des troubles mentaux augmente de 10 à 15 % , tandis que les troubles psychotiques comme la schizophrénie ou les troubles bipolaires peuvent doubler ou tripler.
J’ai travaillé dix ans dans le secteur public en tant que clinicienne. Dans le secteur public, les gens sont plus malades et plus pauvres. La majorité des personnes que j’ai traitées souffraient de schizophrénie et de troubles bipolaires. Plusieurs de mes patients pourtant stables, sous traitement médicamenteux, rechutaient en réaction au contexte politique. Par exemple, lorsqu’un membre de leur famille était arrêté, tué ou qu’on détruisait leur maison. D’autres, étaient en bonne santé jusqu’à ce qu’ils soient emprisonnés et torturés. Ils ont alors souffert de SSPT [Syndrome de stress post-traumatique], de dépression, d’anxiété et de changements importants dans leur personnalité.
Middle East Eye : Les désordres psychologiques que vous constatez sont-ils différents selon qu’il s’agisse d’hommes, de femmes ou d’enfants ?
SJ : Oui, mais cela est observable partout, pas seulement en Palestine. Certains troubles, comme la dépression, sont plus fréquents chez les femmes. Les hommes palestiniens portent, eux, des troubles méconnus. Ils souffrent d’humiliation et de perte d’autorité parce que l’occupation les rend incapables de subvenir aux besoins de leurs familles ou de les protéger. Or, la société palestinienne suppose l’efficacité totale de l’homme ; il y a une « surdemande » sociétale à leur égard. Les atteintes ciblées et systématiques contre la virilité palestinienne par l’occupation, la non reconnaissance de ces atteintes, peuvent les briser psychologiquement.
Les atteintes ciblées et systématiques contre la virilité palestinienne par l’occupation peuvent briser [les hommes] psychologiquement
Les souffrances des femmes palestiniennes sont plus reconnues et tolérées. Les femmes souffrent de perte et de deuil et doivent élargir leur rôle afin de compenser l’absence physique ou psychologique des pères.
Quant aux enfants, ils ont moins développé de mécanismes de défense que les adultes. Or, l’impulsivité et la fragilité émotionnelle caractérisent les adolescents. Les jeunes sont donc confrontés à des défis supplémentaires en Palestine. Il n’est pas surprenant que la majorité des victimes de l’occupation soient jeunes.
Par exemple, entre octobre 2015 et octobre 2016, une vague de confrontation politique s’est intensifiée, appelée « les Intifadas de Jérusalem ». Au cours de cette année-là, 236 Palestiniens ont été tués, principalement sur la base d’accusation de coups de couteau portés à des Israéliens. Les mineurs représentent un quart des victimes, l’âge moyen des victimes palestiniennes était de 23 ans.
Les médias occidentaux ignorent la violence et le nihilisme du contexte dans lequel nous vivons et qualifient souvent ces mineurs de psychologiquement perturbés ou suicidaires. Or, la plupart de ces vies auraient pu être sauvées si ces jeunes avaient grandi dans une Palestine non occupée.
Middle East Eye : Comment soigne-t-on dans un contexte de colonisation ?
SJ : La justice et la liberté en matière de santé mentale sont aussi importantes que l’hygiène et la nutrition pour la santé physique. Sans elles, la santé mentale est compromise.
La justice et la liberté en matière de santé mentale sont aussi importantes que l’hygiène et la nutrition pour la santé physique. Sans elles, la santé mentale est compromise
En Palestine, le personnel formé en santé mentale est peu nombreux. Peu d’argent est alloué à la santé mentale. Nous avons donc formé des médecins généralistes, des infirmières, des enseignants, des imams afin qu’ils détectent les problèmes psychologiques simples et qu’ils interviennent et aident en amont.
Nous devons également adapter la formation occidentale à notre contexte palestinien. Par exemple, j’ai suivi ma formation dans différents pays, mais je garde face à ces techniques une pensée critique. Je prends en considération le contexte culturel, socioéconomique et la réalité de l’occupation.
Par exemple, en Occident, si quelqu’un subit un accident de voiture et souffre d’un trouble de stress post-traumatique, la menace perçue après l’accident est généralement imaginaire. Mais à Gaza, si quelqu’un est traumatisé par les bombardements, la menace n’est pas seulement dans son esprit, elle est très réaliste. Il peut y avoir des bombardements, des arrestations ou des reprises de tirs à tout moment.
Cela vaut pour le traitement du trouble de stress post-traumatique. Toutes les techniques de traitement nécessitent avant tout la création d’un environnement sécurisant. En Palestine, pour les personnes qui souffrent des conséquences d’un traumatisme dû à la violence politique, nous ne pouvons pas garantir un tel lieu. Ni pour le patient ni même pour le thérapeute. Par conséquent, la solidarité sociale et l’accompagnement thérapeutique deviennent plus réalisables que les interventions axées sur le traumatisme.
Un autre exemple concerne les violences sexuelles ou de genre. Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles l’approche occidentale ne fonctionne pas dans la société palestinienne. L’une d’entre elles est que le pouvoir de la famille prévaut sur la loi. Dans de nombreux endroits, la loi est faite par les Israéliens. Nous devons donc développer notre propre modèle basé sur nos principes et notre culture afin de favoriser un modèle familial paisible qui protège contre ce type de violences.
Middle East Eye : Vous exercez en Cisjordanie. Un psychiatre palestinien de nationalité israélienne, Mohammed Mansour a, dans les colonnes du quotidien israélien Haaretz, fait état d’une situation psychologique très préoccupante des habitants de la bande de Gaza. Il parle notamment d’abus sexuels fréquents sur les enfants et de diverses dépendances aux drogues parmi la population…
SJ : Il me semble que ce qu’avance cet article n’est ni scientifiquement fondé ni éthiquement approprié. Mes observations forcément limitées et mes échanges avec des collègues et certains patients de la bande de Gaza m’amènent à avoir une évaluation différente de celle qui est faite par mon collègue dans cet article.
Mohammed Mansour a également la responsabilité juridique et professionnelle d’informer les institutions palestiniennes compétentes, y compris l’unité de santé mentale du ministère palestinien de la Santé, des cas de maltraitance d’enfants, et celle de ne pas diffuser des généralisations et des anecdotes dans les médias israéliens.
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Il faudrait écrire un article à part entière pour répondre aux erreurs factuelles de son interview. Je ne donnerai que deux exemples : le taux de fécondité à Gaza est de 4,28 et non de 15 ou 16, comme il le prétend. De plus, une étude récente de l’Institut national palestinien de santé publique a montré que l’abus de drogues est en fait légèrement plus répandu en Cisjordanie qu’à Gaza, malgré toutes les affirmations faites dans cet article.
Il me semble que cet article octroie une hypervisibilité aux abus sexuels et à la dépendance aux drogues pour mieux invisibiliser les problèmes politiques auxquels les gens sont confrontés.
Middle East Eye : La parole fait partie de la thérapie que vous utilisez. Pensez-vous que cette parole, plus largement, permette à vos patients de devenir aussi sujets de leur vie et non plus objets de l’occupation ?
SJ : Nos voix se sont souvent contraintes au silence. Je traite des patients très malades « canalisés » par des médicaments ; mais je les écoute et leur parle, humanise leur expérience et valide leurs émotions. Je les traite avec dignité. Ces éléments de la thérapie sont souvent plus importants que les médicaments. La relation est le facteur thérapeutique le plus important qui va déterminer dans quelle mesure les gens auront besoin de médicaments. C’est l’écoute apportée, en tenant compte de l’environnement politique, qui va valider les émotions des patients et les aider à parler.
Le système colonial garantit des avantages matériels pour les colons. Cela se fait au détriment des valeurs morales et psychologiques, donc la société israélienne ne peut que souffrir
Parfois, après avoir eu longtemps recours à un médecin pour des douleurs somatisées, les gens viennent me voir. Par exemple, un ancien prisonnier me voyait pour des palpitations, un essoufflement, des engourdissements et des vertiges. Une fois que la confiance s’est installée, sont apparues alors les causes du traumatisme profond : torture, humiliation, peur d’être arrêté à nouveau, honte d’avouer cette peur et culpabilité envers sa famille en raison de son absence.
Une fois que ces expériences et ces souvenirs sont dits, il sera possible d’impulser des changements susceptibles d’aider à reconsidérer l’expérience traumatique, à lui donner un nouveau sens et permettre ainsi au patient de devenir protagoniste de sa propre histoire.
Middle East Eye : Vous évoquez dans le film la notion de « peur industrielle ». Pouvez-vous expliquer cette idée ?
SJ : L’« industrialisation de la peur » est une réalité israélienne efficace, bien que je ne pense pas qu’elle soit propre à Israël. Beaucoup d’autres systèmes coloniaux l’ont utilisée. Souvent, nous entendons les colonisateurs parler de leur peur liée à la colonisation. Souvent, leur peur est irréaliste ou disproportionnée. Parce que les colonisateurs ont toujours commis plus de violences que les colonisés.
Ils parlent de leur peur de la colonisation pour plusieurs raisons. D’abord, ils nient ainsi leur propre violence et agression, et la projettent sur les colonisés. Ils se rassurent de cette manière. De plus, cette peur permet d’obtenir un consensus entre Israéliens. Puis l’histoire de l’Holocauste fait partie de cette peur, le sentiment de culpabilité qui en découle en Occident fait taire les gens sur la Palestine. Enfin, cette peur manifestée par les Israéliens les rend innocents de toute agression envers « les terrifiants Palestiniens ».
Middle East Eye : La société israélienne est-elle aussi malade du fait d’être un pays occupant. On songe aux jeunes soldats israéliens qui, une fois démobilisés, partent en Inde et décompensent là-bas…
SJ : Il ne fait aucun doute que la réalité politique affecte aussi sur le plan psychologique les Israéliens. Israël se considère comme une démocratie éclairée, avec « l’armée la plus morale du monde », malgré tous les dommages et violations des droits de l’homme qu’elle commet. Cette idée nécessite, pour être effective, des mécanismes de défense primitifs : déni, projection, évitement, dissonance cognitive.
Le système colonial garantit des avantages matériels pour les colons. Cela se fait au détriment des valeurs morales et psychologiques, donc la société israélienne ne peut que souffrir. Après la dernière guerre à Gaza, il y a eu des rapports faisant état d’une augmentation des suicides et de la violence domestique parmi les soldats.
Middle East Eye : Vous dites aussi que la Nakba, la catastrophe palestinienne de 1948, est un traumatisme transgénérationnel. Pouvez-vous expliquer cette notion ?
SJ : La Nakba est un traumatisme collectif, une tragédie vécue par l’ensemble de la population, et pas seulement par les individus. Elle est une histoire qui se transmet de génération en génération. Elle passe par le récit, par ses effets psychologiques, que nous observons sur nos parents et nos grands-parents. Le grand-parent qui a perdu sa maison, son travail, sa terre et qui est devenu un réfugié, qui a vécu à la marge dans d’autres pays, dépendant de la bonne volonté de ces pays voisins qui lui ont donné la charité mais lui ont refusé un soutien politique.
La Nakba fait partie intégrante de l’expérience quotidienne du peuple palestinien, en tant que traumatisme vivant
Des Palestiniens sont nés au Liban, aux États-Unis, en Jordanie, et si vous leur demandez d’où ils viennent, ils parleront d’un village ou d’une ville qui n’existe plus sur la carte parce que tout a été effacé par les Israéliens. Les noms des lieux ont changé, mais la nostalgie et la douleur demeurent. Comment la douleur peut-elle disparaître alors que le traumatisme de la dépossession est toujours en cours, avec les démolitions, les expulsions, le transfert de population ?
Tout cela se répète dans l’histoire palestinienne. Chaque jour, il y a une démolition de maison en Palestine. Chaque jour, les Israéliens prennent des mesures pour punir quelqu’un en l’expulsant de sa propre ville ou de son propre village. La Nakba fait partie intégrante de l’expérience quotidienne du peuple palestinien, en tant que traumatisme vivant.
Middle East Eye : Vous dites aussi dans le documentaire que le colonialisme israélien colonise non seulement la terre mais aussi les esprits. Pourquoi ?
SJ : C’est vrai pour tout colonialisme. Mais l’époque est différente. Israël doit agir de façon moins frontale que les anciens systèmes coloniaux. Par exemple, dans le passé, la torture était une torture physique et massive. Désormais, elle est plus psychologique, mais non pas moins dommageable puisque ses effets se font longtemps sentir.
Une fois établie, l’occupation israélienne a expulsé les deux tiers du peuple palestinien. Il reste un tiers, dont beaucoup d’Israéliens veulent aussi l’expulsion. Pourtant, Israël ne peut pas utiliser les outils de nettoyage ethnique utilisés dans le passé. Il peut toutefois utiliser de nombreuses stratégies et de nombreux châtiments pour tuer la volonté des Palestiniens et en faire alors l’ombre d’êtres humains.
Les Palestiniens en sont conscients et tentent de bien des façons créatives de maintenir leurs objectifs, malgré la volonté israélienne de nous tuer psychologiquement, en tant qu’individus et en tant que communauté.
Middle East Eye : N’y-t-a-il pas un paradoxe, la société palestinienne doit faire vivre une mémoire pour faire vivre une culture et un peuple. Mais cette mémoire est en soi traumatique. Comment garder la mémoire sans alimenter le trauma ?
SJ : Un traumatisme psychologique nait du sentiment d’être sans aide et sans défense devant ce qui s’est passé. Il n’y a aucun moyen de supprimer le traumatisme de l’esprit des gens. Même si nous semblons l’oublier, il continuera à nous affecter. Mais c’est le sens que nous donnerons à ce traumatisme qui peut permettre la guérison, la façon dont les gens se saisissent du traumatisme, individuellement et collectivement.
Ceux qui vivent un événement traumatique ne sont pas tous victimes du SSPT. Ce sont ceux qui se sentent lésés, rendus impuissants par l’expérience traumatique, qui souffrent le plus. Le traumatisme perdure, dans la confusion et l’absurdité. Mais les Palestiniens puisent dans la lutte politique, la spiritualité et la philosophie pour donner un sens à leur expérience traumatique.
Middle East Eye : La résistance participe-t-elle d’un processus de sens à donner face à la colonisation ? Est-elle une forme de résilience ?
SJ : Exactement, la résistance en Palestine est aussi une résilience. Mais pas que cela. Les gens qui tiennent leurs objectifs, qui savent analyser la situation qui leur est imposée, montrent ainsi leur santé mentale. Ils aident aussi, par l’exemple qu’ils donnent, les personnes qui se sentent impuissantes. Cette résilience indique que le peuple palestinien est une nation vivante et non une nation morte.
L’occupation et ses alliés occidentaux veulent que les Palestiniens se résignent complètement. Ils se trompent eux-mêmes ; l’insouciance n’est pas la paix. À tout moment, les actes de capitulation des Palestiniens peuvent devenir une vengeance.
Ce que j’espère pour les Palestiniens est qu’ils s’engagent dans une résistance légitime et morale. Ne pas s’engager dans des actions impulsives occasionnelles motivées par la vengeance. Il devrait s’agir d’une résistance intelligente, moralement justifiée, durable, plurielle, ancrée dans les droits de l’homme et la justice. De telle façon que cette résistance aide la majorité des Palestiniens à vouloir aussi y participer.
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