Marie Dosé : « Je ne pensais pas qu’ils allaient la laisser mourir »
Maya* avait 28 ans. Diabétique et insulino-dépendante, elle est décédée, faute de soins, mardi 12 décembre dans le camp de Roj, situé dans le nord-est de la Syrie. Elle a été enterrée sur place.
Originaire du sud de la France, Maya avait rejoint le groupe État islamique (EI) en Syrie en 2014. Elle avait épousé un Français qui décédera sur zone. Leur fille Sarah* est née au cœur du « califat » autoproclamé, en 2015. Lors de la chute du groupe à Baghouz en mars 2019, Maya, comme de nombreux membres des familles de personnes soupçonnées d’avoir appartenu à l’EI, avait été arrêtée et envoyée dans le camp, une prison à ciel ouvert.
Sa famille en France demandait son rapatriement depuis mars 2019. Sa petite fille, âgée aujourd’hui de 6 ans, est désormais orpheline, seule dans le camp.
Selon les autorités, 80 Françaises sont toujours détenues par l’autoproclamée Administration autonome du nord et de l’est de la Syrie, gouvernée par les Kurdes, avec leurs 250 enfants environ. Depuis plus de trois ans, une avocate, Marie Dosé, se bat sans relâche pour obtenir le rapatriement des femmes et des enfants français. En vain.
Middle East Eye : Vous êtes l’avocate de la famille de Maya, décédée mardi 12 décembre après une longue dégradation de son état de santé. En aviez-vous averti les autorités françaises ?
Marie Dosé : Oui. Le premier mail date du 30 mars 2019, j’y écris que Maya est diabétique depuis l’âge de 9 ans et que cette pathologie l’expose à un risque de mort. Ensuite, j’ai écrit au ministère des Affaires étrangères et à l’Élysée des dizaines de fois. Depuis près de trois ans, j’alertais les autorités françaises en leur expliquant que cette femme allait mourir.
J’ai transmis des photos des marques sur son corps, des clichés que j’avais montrés à un médecin en France et qui m’avait dit qu’elle avait un grave problème de coagulation. Maya n’avait parfois même plus la force de bouger, son quotidien, depuis trois ans, c’était de dépérir…
Je ne pouvais pas imaginer que mon pays, en étant parfaitement conscient de la situation, allait assumer sa mort et fabriquer une orpheline
Je n’ai jamais eu aucune réponse. C’est encore moi qui ai informé les autorités françaises du décès de Maya. Je leur ai donné le numéro de sa famille en France. Ils n’ont pas été contactés pour le moment.
Très sincèrement, je ne pensais pas qu’ils allaient attendre sa mort. Quand les autres femmes détenues dans ce camp nous disaient « Ils vont la laisser mourir », je répondais « Non, ça n’est pas possible ». Et en fait, oui c’est possible.
On n’est pas face à un accident, quand on écrit dix fois, vingt fois, « elle va mourir », et qu’on ne me répond pas. Je me disais : la France doit être mieux informée que moi, ils ont d’autres informations rassurantes données par des médecins kurdes sur place. Je ne pouvais pas imaginer que mon pays, en étant parfaitement conscient de la situation, allait assumer sa mort et fabriquer une orpheline. Ça, je ne pouvais pas l’imaginer.
MEE : Vous dites « fabriquer une orpheline » ?
MD : Évidemment. J’ai demandé dix fois, vingt fois… à ce qu’on rapatrie Maya et Sarah, sa fille de 6 ans. Cette fillette française a assisté à l’agonie de sa mère pendant trois ans. Qui a fabriqué cette orpheline ?
Aujourd’hui, Sarah est complètement traumatisée. Elle doit être rapatriée au plus vite. Pour l’instant, elle est prise en charge par des femmes françaises du camp qu’elle connaît. Elle a passé la moitié de sa vie sous une tente à Roj. Elle est née au cœur de Daech [l’EI], elle a survécu à Baghouz, elle a vu sa mère mourir, qui a été enterrée ensuite en trois heures.
Moi, je me dis : qu’est-ce qu’on va raconter à Sarah quand elle aura 15 ans ? Comment va-t-on lui expliquer que pendant trois ans, la France a laissé mourir sa mère là-bas ? Quelle va être l’histoire de France de cet enfant…
MEE : Selon les derniers chiffres des autorités françaises, 80 femmes sont détenues dans les camps sous contrôle des Kurdes dans le nord-est de la Syrie. Avec elles, environ 250 enfants. Quelle est la politique de la France vis-à-vis de ses ressortissants arrêtés à la chute territoriale de l’EI en mars 2019 ?
MD : La politique française est décrite comme celle du « cas par cas ». Au départ, c’était : on ne rapatrie que les orphelins, puis les enfants français en situation de vulnérabilité. Mais en réalité, la France a également ramené des fillettes et des garçons dont les mères avaient accepté de se séparer d’eux [35 au total]. On a donc arraché des enfants à leurs mères et ajouté du traumatisme.
On est dans la plus grande opacité, on est davantage dans la communication qu’autre chose. Depuis janvier 2021, il n’y a pas eu d’autres rapatriements, et certains enfants sont dans une grande souffrance
Cette politique du cas par cas est le fait du prince, qui tend à choisir les enfants qu’on rapatrie, tout en évitant soigneusement de rapatrier les adultes. Cela n’a pas de sens. Des orphelins français vivent toujours, et sont livrés à eux même, dans le camp de Roj. Je suis, par exemple, l’avocate d’une orpheline, mais aussi d’une fratrie de quatre enfants eux également orphelins. Il y a aussi un garçon qui est dans un centre de rééducation kurde, et la France refuse d’aller les chercher, donc en réalité, il n’y a pas de critères.
On est dans la plus grande opacité, on est davantage dans la communication qu’autre chose. Depuis janvier 2021, il n’y a pas eu d’autres rapatriements, et certains enfants sont dans une grande souffrance.
Les autorités françaises ont parfaitement conscience qu’elles prennent un risque, pour notre sécurité d’abord, et elles jouent également la carte de l’inhumanité parce que ces enfants sont innocents. C’est un choix politicien et pas politique !
MEE : Envisagez-vous de lancer une nouvelle procédure judiciaire devant la justice européenne ou française ?
MD : Je vais évidemment réfléchir à porter ce drame devant la justice, parce que j’ai foi en notre État de droit. J’ai beaucoup de mal à supporter l’idée que tout cela puisse se terminer sans que l’histoire judiciaire ne s’en empare.
* Le prénom a été changé à la demande de la famille.
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