Maroc – CEDEAO : où en est la demande d’adhésion ?
Le 24 février 2017, le ministère marocain des Affaires étrangères et de la Coopération internationale formulait une demande d’adhésion à la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) dans un communiqué envoyé à Ellen Johnson Sirleaf, présidente en exercice de l’organisation.
Cette décision était surprenante, mais légitime : surprenante car c’est la première fois que la CEDEAO est confrontée à ce type de demande (l’éventualité de l’élargissement de la communauté n’a jamais été envisagée dans le texte fondateur).
Légitime, dans la mesure le Maroc était déjà membre observateur de l’organisation depuis 2005, et que c’est avec les pays ouest-africains que le royaume a le plus développé ses relations depuis la genèse de sa nouvelle politique africaine.
Comment et pourquoi admettre un nouveau membre à la CEDEAO ?
Dans un premier temps, la CEDEAO s’est prononcée en faveur de cette adhésion, en donnant son « accord de principe » en juin 2017, avant de marquer un arrêt au processus, six mois plus tard, en décembre 2017, lors du sommet des chefs d’État et de gouvernement d’Abuja.
Plusieurs interrogations de forme et de fond ont dès lors émergé : quelles sont les intentions du Maroc ? Les pays membres vont-ils bénéficier d’une telle adhésion ? Si oui, comment ? Quels sont les risques ou les limites ?
Le secteur privé marocain est redouté pour sa capacité à concurrencer le secteur privé ouest-africain
Par la suite, des questions plus fondamentales, touchant à l’identité même de la CEDEAO, ont été formulées : comment admettre un nouveau membre ? L’adhésion du Maroc affecterait-elle les principes et fondements de l’institution ? Le Maroc fait-il partie de l’Afrique de l’Ouest ?
Ce frein au processus a de fait suscité l’ouverture de débats publics en Afrique de l’Ouest. Ces débats ont révélé une représentation négative du Maroc que se faisait une partie des acteurs ouest-africains : celle d’une puissance régionale menaçante.
Le secteur privé marocain est redouté pour sa capacité à concurrencer le secteur privé ouest-africain, si le Royaume venait à être intégré au sein de l’espace ouest-africain de libre-échange.
Une partie de ces acteurs craint un déferlement des produits marocains.
Une autre partie est au contraire séduite et favorable à une intégration du Maroc dans l’espace ouest-africain, voyant une véritable opportunité de coopération au développement.
Parmi ces derniers, le Royaume est perçu positivement comme une puissance émergente africaine, dans son identité comme dans son espace d’engagement, une puissance stable et coopérative, capable au contraire d’engager des investissements économiques bénéfiques aux populations ainsi que des synergies bénéfiques aux entreprises.
Et pourquoi pas ?
Un groupe de cinq États (Nigeria, Côte d’Ivoire, Ghana, Guinée, Togo) fut dès lors chargé de mener une étude d’impact approfondie, afin de dégager les idées reçues des véritables risques et avantages, tandis que la commission devait définir les « prérequis et les préconditions » de l’adhésion de tout nouveau membre, ainsi que d’élaborer un projet d’acte communautaire « qui définira le processus de prise de décision ».
Après une période durant laquelle l’étude d’impact devait être conduite par un organisme extérieur (de type think tank), la CEDEAO a finalement décidé qu’il serait plus pertinent et plus sûr de confier l’étude aux représentants de sa propre organisation.
Dialoguer avec les acteurs non étatiques
Dans l’attente de la réalisation de l’étude par la CEDEAO, le royaume s’est efforcé de préciser son engagement. « Le Maroc n’est pas pressé » : déclarent, depuis une année, les dirigeants.
Plutôt que de vouloir forcer le passage, le ministère des Affaires étrangères choisira d’accompagner positivement le processus à travers une diplomatie parallèle destinée à entrer en dialogue avec les acteurs non étatiques ouest-africains, afin de comprendre leurs représentations et écouter leurs avis.
« Le Maroc n’est pas pressé », déclarent, depuis une année, les dirigeants
Dans cette perspective, l’Institut Amadeus, soutenu par la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), a organisé en avril et mai 2018 une tournée ouest-africaine (au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Ghana) afin de promouvoir l’adhésion, mais aussi et surtout d’ouvrir le débat aux différents arguments et faire rencontrer les différentes parties concernées de la société civile et politique.
Cette tournée a constitué un moment important du processus. Du côté marocain, elle a consolidé, parmi l’élite invitée, la maîtrise des enjeux de l’adhésion et favorisé leur potentiel soutien à l’État dans cet effort.
Du côté des États hôtes, elle a suscité le débat et la remise en question des idées reçues. Plus généralement, cette série de tables rondes a permis de maintenir le sujet vivant, à la fois dans la presse et auprès des acteurs susceptibles d’appuyer l’adhésion.
Le Maroc en attente
À ce stade, au sein de la CEDEAO, le traitement de cette question est sans cesse repoussé en raison de « préoccupations sécuritaires plus pressantes », dit-on désormais à Abuja.
Or les délais d’attente induits par la conduite de l’étude d’impact ont permis au doute de s’exprimer, désormais, dans l’espace public. La CEDEAO est un espace de libre circulation des biens, mais aussi des personnes. Le Maroc est-il prêt à ouvrir ses frontières aux quinze membres ?
La CEDEAO est un espace de libre circulation des biens, mais aussi des personnes. Le Maroc est-il prêt à ouvrir ses frontières aux quinze membres ?
La CEDEAO est composée d’États reconnaissant la liberté de conscience par rapport à la religion. Le Maroc pourrait-il l’envisager ?
La CEDEAO est une organisation qui prévoit l’établissement d’une monnaie commune. Le Maroc accepterait-il à terme de supprimer le dirham au profit d’une nouvelle monnaie ouest-africaine ?
Bien que ces aspects semblent négociables ou bien lointains (en particulier la monnaie commune), ce sont les arguments les plus susceptibles de fragiliser la cohérence de la demande marocaine de l’intérieur, et donc sa force.
Les bénéfices de l’adhésion
Pourtant, cette adhésion, diplomatiquement stratégique, comporterait de nombreux bénéfices pour le Royaume. Sur le plan géopolitique, elle permettrait de de conforter la diplomatie africaine du Maroc par une intégration régionale institutionnalisée.
Sur le plan culturel, elle permettrait la construction d’un espace d’identité collective (au sens donné par Alexander Wendt, 1992), certainement enrichissant pour la société marocaine.
Au niveau économique, l’ouverture des discussions sur les modalités et les règles de l’adhésion peut déboucher sur des gains absolus plutôt que relatifs, à savoir des arrangements qui peuvent bénéficier à toutes les parties prenantes.
Qu’elle soit à ce stade discursive ou effective, le soutien apporté par le Maroc à la réalisation de l’Agenda 2063 de l’Union africaine (UA) devrait pouvoir soutenir sa demande d’intégrer la CEDEAO.
De plus, le royaume continue de donner les signes de sa volonté d’intégration dans l’espace ouest-africain, sur les plans identitaire, institutionnel et politique
Par ailleurs, depuis que le Roi a reconnu le malheureux échec de l’Union du Maghreb arabe (UMA) dans un discours (novembre 2017), et surtout, depuis que l'ex-président Bouteflika a refusé sa proposition de dialogue bilatéral, le Maroc n’assiste plus aux réunions de l’organisation maghrébine.
La sortie, sinon institutionnelle, du moins politique, de l’UMA, conforte cette réorientation géopolitique vers l’Afrique de l’Ouest et porte indirectement un message : celui que, pour le moment, l’UMA ne fonctionne pas, tandis que la CEDEAO, malgré toutes ses fragilités, demeure le modèle d’intégration le plus abouti à l’échelle du continent.
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