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Le retrait émirati au Yémen rend l’Arabie saoudite vulnérable

Privée de l’intervention militaire directe d’Abou Dabi dans la lutte contre les Houthis, l’Arabie saoudite doit composer avec son propre bilan au Yémen, marqué par d’innombrables erreurs
Des combattants émiratis embarquent à bord d’un hélicoptère sur une base militaire à Khokha (Yémen), en janvier (AFP)

Lorsque l’Arabie saoudite et quelques-uns de ses partenaires arabes et africains ont lancé l’opération Tempête décisive en mars 2015 pour écraser les Houthis au Yémen, les Émirats arabes unis (EAU) étaient le principal allié de Riyad dans la coalition.

Au cours des quatre dernières années, l’Arabie saoudite s’est beaucoup appuyée sur les Émirats arabes unis pour les campagnes aériennes, la collecte de renseignements, les opérations sur le terrain et la formation de combattants contre les Houthis au Yémen. 

Mais fin juin, les Émiratis ont commencé à retirer des chars et des hélicoptères d’attaque du Yémen, ainsi que plusieurs centaines de soldats émiratis du littoral de la mer Rouge.

Bien que les Émirats arabes unis n’entendent pas retirer l’intégralité de leurs forces, la nouvelle du retrait massif a donné lieu à de nombreux débats spéculatifs dans les cercles occidentaux sur les plans d’Abou Dabi pour le Yémen. 

Des tensions croissantes

Le retrait a commencé alors que les tensions entre les États-Unis et l’Iran s’intensifiaient, ce qui rendait les Émirats arabes unis plus vulnérables à un scénario susceptible de transformer le pays en champ de bataille dans un conflit régional plus vaste.

Cette décision soulève également d’importantes questions quant à l’avenir de la coopération saoudo-émiratie au Yémen et aux conséquences pour la capacité de la coalition arabe à maintenir un semblant de cohésion. 

Certains experts soutiennent que le retrait des Émirats est davantage une illusion visant à protéger l’image d’Abou Dabi en Occident.

Dans un contexte où les législateurs américains ont répudié la campagne militaire menée par les Saoudiens et les Émiratis au Yémen, les efforts déployés par les Émirats arabes unis pour se distancier de retombées politiques négatives sont pragmatiques, en particulier compte tenu du spectre d’une défaite du président Donald Trump face à un adversaire démocrate lors de la campagne électorale de l’an prochain. 

Sans l’ombre d’un doute, les Émirats arabes unis craignent un retour de flamme en provenance des États-Unis à cause du rôle joué par le pays au Yémen

Bien qu’une grande partie des critiques sur les ventes d’armes des États-Unis aux États arabes se rapportent à l’Arabie saoudite, les accords conclus avec les Émirats arabes unis sont également étudiés de plus près.

Le sénateur démocrate Bob Menendez, membre haut placé de la commission des Affaires étrangères du Sénat américain, a récemment menacé de geler les ventes d’armes américaines aux Émirats arabes unis à la suite de rapports décrivant le transfert par Abou Dabi de missiles de fabrication américaine aux forces du commandant libyen Khalifa Haftar, en violation du droit américain et international. 

Sans l’ombre d’un doute, les Émirats arabes unis craignent un retour de flamme en provenance des États-Unis à cause du rôle joué par le pays au Yémen ainsi qu’en Libye. Même si Washington n’annule pas les ventes d’armes à Abou Dabi, ces regards négatifs contribuent à salir la réputation des Émirats arabes unis à Washington.

Une guerre malavisée

Le recul croissant de Londres vis-à-vis de la guerre au Yémen est également un facteur. En juin, la Cour suprême du Royaume-Uni a jugé « illégales » les licences d’armes britanniques octroyées à Riyad, ce qui a des conséquences majeures pour les autres capitales impliquées dans la coalition arabe, notamment Abou Dabi.

Dans le cas des relations entre les Émirats arabes unis et le Royaume-Uni, la saga Matthew Hedges reste un autre point de discorde qui a entaché la réputation d’Abou Dabi à Londres.

Le concept de plus en plus établi parmi les législateurs américains est que même si les États-Unis et leurs alliés doivent continuer de lutter contre al-Qaïda et le groupe État islamique (EI) au Yémen, la guerre de la coalition arabe contre les Houthis soutenue par les États-Unis est malavisée.

Ainsi, alors que les Émiratis ont exprimé leur ferme volonté de poursuivre la campagne controversée contre al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA), le changement de cap d’Abou Dabi pourrait lui attirer les faveurs d’une partie de l’establishment de la politique étrangère de Washington. 

Des combattants yéménites affrontent les forces houthies à Ta'izz, le 30 mai (AFP)

Les Émirats arabes unis sont déterminés à rester un acteur majeur au Yémen, à combattre leurs ennemis et à consolider leur influence via des intermédiaires. Même avec le retrait de la plupart de leurs troupes , il restera 90 000 combattants yéménites alliés/formés par les Émirats arabes unis.

Ces intermédiaires – notamment des membres de tribus, d’anciens membres des forces de sécurité et des séparatistes du sud – continueront de recevoir des armes et de l’argent des Émiratis, qui restent attachés à leur ambition de contrôler dans les faits les infrastructures portuaires clés au Yémen.

Comme l’a écrit l’éminent politologue émirati Abdulkhaleq Abdulla, « la considération finale qui incite les Émirats arabes unis à réduire leurs forces au Yémen est qu’ils font confiance aux forces locales yéménites pour continuer d’affronter les Houthis par leurs propres moyens. Les Émirats arabes unis ont déjà formé au total 90 000 soldats yéménites capables de combler le vide et de soutenir le gouvernement yéménite légitime. Ils peuvent faire le boulot et sont bien entraînés, bien équipés et éprouvés au combat. »

L’indignation internationale

Dans quelle position l’évolution de la politique émiratie au Yémen laisse-t-elle l’Arabie saoudite ? Bien que Riyad et Abou Dabi soient des alliés extrêmement proches, leurs divergences vis-à-vis du Yémen ne sont pas un secret. 

Depuis plusieurs années, les Émiratis parrainent les séparatistes du sud qui rejettent la légitimité du président yéménite reconnu par l’ONU, Abd Rabbo Mansour Hadi, qui, comme Riyad, cherche à préserver l’unité nord-sud du Yémen. En dépit des spéculations selon lesquelles ces programmes contradictoires pouvaient donner lieu à une fissure majeure de la coalition arabe, celle-ci ne s’est pas produite – du moins en public.

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Néanmoins, il n’est pas difficile d’imaginer que les autorités saoudiennes soient de plus en plus frustrées par le changement d’approche des Émirats arabes unis vis-à-vis de la guerre au Yémen.

Le retrait par Abou Dabi de la plupart de ses forces attirera directement l’attention internationale sur l’Arabie saoudite quant au massacre de civils mené par la coalition. 

Tant que Riyad s’en tiendra à son programme de lutte contre les Houthis, le royaume sera l’unique cible de l’indignation internationale tandis que la pire crise humanitaire dans le monde se poursuit. Maintenant que les Émirats arabes unis se concentrent désormais davantage sur la lutte contre AQPA, le fardeau de la guerre sera encore plus lourd pour l’Arabie saoudite alors que son armée continue de lutter contre les Houthis. 

En effet, début juillet, les Saoudiens ont pris les commandes de Mocha et de Khokha, deux ports de la mer Rouge utilisés jusqu’à récemment par les Émirats arabes unis pour surveiller les côtes du Yémen et pour la campagne de reconquête de Hodeida.

Il reste à voir comment l’armée saoudienne saura relever les nouveaux défis au Yémen, où elle a déployé beaucoup moins de forces terrestres que les Émirats arabes unis depuis 2015.

Une coalition faible et divisée

L’Iran et les Houthis exploiteront probablement davantage le retrait des Émirats arabes unis à des fins de propagande. Après plusieurs mois de démonstration par les Houthis de leurs avancées en matière de technologies de drones et de missiles, prouvées par leurs attaques contre des cibles saoudiennes stratégiques, les Iraniens et les Houthis chercheront à présenter le retrait émirati comme un signe d’une coalition arabe faible et divisée.

Alors que les Houthis ont promis de frapper les Émirats arabes unis s’ils continuaient de les combattre au Yémen, de véritables préoccupations en matière de sécurité ont peut-être amené Abou Dabi à revoir son approche.

En fin de compte, le retrait des Émirats arabes unis est révélateur des divisions sous-jacentes qui existent au sein de la coalition arabe depuis le début. Pour Abou Dabi, la mise en place d’une administration favorable aux Émiratis à Aden s’est avérée plus importante que la question du nord du Yémen sous contrôle houthi. 

Avec le retrait de la plupart des forces émiraties du Yémen, Abou Dabi laisse Riyad face à un dilemme majeur

Mais pour l’Arabie saoudite, l’idée d’une consolidation du pouvoir des Houthis dans le nord du Yémen a des conséquences directes sur la sécurité aux frontières du royaume, bien plus que pour les Émirats arabes unis.

Les Émiratis ont également combattu au Yémen pour contrer les forces de l’islam politique, en l’occurrence la filiale locale des Frères musulmans, al-Islah, qui a reçu le soutien de Riyad malgré les efforts antérieurs déployés par les Émirats pour convaincre les dirigeants saoudiens d’abandonner le groupe. 

Pour les Émirats arabes unis, la consolidation de leur rôle dans le sud du Yémen et dans la mer Rouge est une priorité absolue. Depuis cette partie du Yémen, Abou Dabi peut continuer d’affirmer son influence dans le reste du Yémen, dans la Corne de l’Afrique et dans le détroit de Bab-el-Mandeb. 

Mais avec le retrait de la plupart des forces émiraties du Yémen, Abou Dabi laisse Riyad face à un dilemme majeur. La sécurité nationale de l’Arabie saoudite est véritablement menacée par les Houthis et ce danger ne fera que croître à mesure que les insurgés alliés à l’Iran amélioreront leurs capacités en matière de drones et de missiles.

Privé de l’intervention militaire directe d’Abou Dabi dans la lutte contre les Houthis, Riyad doit composer avec son bilan au Yémen, marqué par d’innombrables erreurs qui ont rendu l’Arabie saoudite plus isolée dans un conflit désormais entièrement entre les mains de Mohammed ben Salmane. 

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Ali Hussein Bakeer est analyste en relations internationales et conseiller politique. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @AliBakeer

Giorgio Cafiero est le PDG de Gulf State Analytics (@GulfStateAnalyt), une société de conseil en risques géopolitiques basée à Washington. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @GiorgioCafiero

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Ali Bakir is a research assistant professor at Ibn Khaldun Center for Humanities and Social Sciences. He is following geopolitical and security trends in the Middle East, great power politics, small states' behaviour, emerging unconventional risks and threats, with a special focus on Turkey’s foreign and defence policies, Turkey-Arab and Turkey-Gulf relations. He tweets @AliBakeer
Giorgio Cafiero is the CEO of Gulf State Analytics (@GulfStateAnalyt), a Washington-based geopolitical risk consultancy. You can follow him on Twitter @GiorgioCafiero
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