Inquiétude des pays arabes après des suspicions d’incidents nucléaires en Russie
Plusieurs incidents et explosions ont eu lieu la même semaine en Russie, provocant la stupeur et la crainte de l’opinion publique internationale, surtout après la diffusion des images impressionnantes de l’accident du 5 août à Atchinsk, dans la région de Krasnoïarsk en Sibérie, à 4 000 kilomètres à l’est de Moscou.
L’explosion d’un immense dépôt de munitions a fait un mort et onze blessés. Il a fallu plusieurs jours aux pompiers, qui ont eu recours à des engins blindés et à des avions bombardiers d’eau, pour circonscrire l’incendie qui risquait de s’étendre à l’immense forêt avoisinante.
Les autorités ont évacué plus de 10 000 habitants de la région et ont envoyé des équipes de sapeurs-pompiers pour neutraliser les munitions non explosées éparpillées dans le secteur de l’explosion. Bien qu’impressionnant, l’incident n’a pas impliqué de matériaux nucléaires ou chimiques et n’a pas provoqué de pollution.
Panique
Trois jours plus tard, le 8 août, à 4 000 kilomètres de là, à Nyonoska, près de la ville d’Arkhangelsk, sur les rivages de la mer de Barents, une autre explosion est survenue.
Celle-ci n’a pas été filmée et les rares documents, vidéos et photos de l’incident ne montrent qu’un épais panache de fumée se dégageant du site de test de missiles. Cet accident, bien moins visible que le précédent, a néanmoins provoqué une panique dans la région à cause de l’annonce de la dispersion d’éléments radioactifs dans l’atmosphère.
Le bilan de l’explosion est lourd : cinq experts de l’agence atomique russe Rosatom ont été tués selon un communiqué officiel. D’autres sources évoquent sept morts.
Traduction : « Cinq membres du personnel de Rosatom sont morts et trois autres ont été blessés dans un tragique accident lors d’essais de systèmes de propulsion liquides impliquant des isotopes dans une installation militaire de la région d’Arkhangelsk. Nous présentons nos plus sincères condoléances et tout le soutien possible à leurs familles et amis »
Rosatom ainsi que quatre autres agences régionales et gouvernementales russes ont confirmé la présence d’un pic de radioactivité juste après l’explosion mais ont ajouté que les choses étaient revenues à la normale plus tard dans la journée.
Très vite, des spéculations ont évoqué l’explosion du moteur du missile de croisière nucléaire expérimental Burevestnik (Skyfall en anglais), étant donné que l’incident a eu lieu dans une zone de tests de missiles et qu’il contenait des composants radioactifs hautement contaminants.
Ce missile, construit dans une installation secrète et très isolée en Nouvelle-Zemble, archipel russe des mers de Barents et de Kara, fait partie des armes secrètes annoncées par Vladimir Poutine en 2018. Il s’agit d’un missile de croisière à propulsion en partie nucléaire pouvant toucher n’importe quelle cible dans le monde.
Le missile Burevestnik fait partie des armes secrètes annoncées par Vladimir Poutine en 2018
Les tests de ce missile avaient débuté par un échec en février 2019 et un vol de quelques dizaines de kilomètres avant un crash.
Dans le cas de l’incident de Nyonoska, il se pourrait que le Burevestnik ne soit pas en cause, simplement en raison de la trop grande proximité du site avec les installations civiles et les agglomérations, et avec une route maritime assez fréquentée.
Des journalistes du quotidien russe Izvestia qui ont conduit l’enquête sur l’accident sont catégoriques : il ne s’agit pas du Skyfall, mais du test d’une batterie nucléaire expérimentale qui fournirait de l’énergie aux futurs missiles stratégiques russes.
Ce type de batteries remplacerait, selon les scientifiques interrogés par Izvestia, les carburants liquides des missiles stratégiques, qui sont hautement corrosifs, toxiques et explosifs et qui nécessitent des temps de chargement trop longs.
Technologie post-Fukushima
Avec la mise sur le marché de sa dernière technologie post-Fukushima (VVER), l’agence nucléaire russe Rosatom a séduit de nombreux pays par la robustesse et le rendement d’un nouveau type de centrales.
Parmi les clients du VVER russe : la Turquie et la centrale d’Akkuyu, dans la région de Mersin au Sud d’Ankara. Le contrat, de vingt milliards de dollars pour quatre turbines, est un des plus importants pour Rosatom.
La Turquie a fait bénéficier plus de 700 ingénieurs nucléaires de formations au célèbre institut de physique atomique moscovite MEPhI. Le rapprochement après 2017 entre Moscou et Ankara a grandement contribué à l’accélération du chantier.
L’autre pays à suivre les incidents nucléaires russes avec grande attention, c’est l’Égypte, engagée dans le projet surmédiatisé et très critiqué de centrale nucléaire à El-Dabaa, à l’ouest d’Alexandrie.
Le projet consiste en la construction de quatre réacteurs VVER-1200, d’une puissance totale de 4 800 mégawatts, pour une valeur de presque 30 milliards de dollars, financé par un prêt russe de 25 milliards de dollars après la signature de l’accord de coopération entre Abdelfattah al-Sissi et Vladimir Poutine.
La Jordanie avait quant à elle abandonné ses ambitions nucléaires en mai 2018 malgré la signature d’un contrat de dix milliards de dollars pour la fourniture de centrales par Rosatom en 2015.
Ces derniers incidents auront-ils un impact sur les opportunités de l’agence russe en Arabie saoudite ? La presse saoudienne a largement fait écho et relayé les incidents qui ont eu lieu en Russie. De nombreux projets de coopération dans le domaine du nucléaire sont sur les rails depuis la signature d’un accord en 2017 entre les deux pays.
D’ailleurs, Rosatom a ouvert un bureau à Riyad en juin dernier pour développer sa coopération. L’Arabie saoudite est très intéressée par l’offre russe dans le cadre de son programme nucléaire civil.
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