Washington doit accepter que la stabilisation du Moyen-Orient ne puisse se faire qu’avec la coopération de l’Iran
Cet article est le second d’une série sur le thème : « Pourquoi il faut créer une architecture de sécurité au Moyen-Orient »
Le risque que les tensions dans le Golfe dégénèrent en conflit régional majeur a rendu essentiel la création d’une architecture de sécurité au Moyen-Orient : elle serait la meilleure réponse possible à une autre structure, plus menaçante, l’Alliance stratégique pour le Moyen-Orient, également connue sous le nom d’« OTAN arabe ».
Cette dernière appellation est l’expression la plus utilisée pour désigner le groupe informel rassemblant les États-Unis, Israël et certains États arabes, engagés à promouvoir « la paix et la stabilité » au Moyen-Orient en faisant pression sur l’Iran et ses alliés et à « résoudre » la question palestinienne au moyen de l’« accord du siècle ». Cette stratégie risque toutefois de déclencher un conflit régional majeur.
Un meilleur accord aurait-il pu être conclu ? Peut-être, mais l’accord sur le nucléaire était un compromis, pas la panacée
L’architecture de sécurité au Moyen-Orient devrait avoir pour objectif d’éviter cela, en abordant l’ensemble des griefs existants à travers la région.
Tout d’abord, il faut clarifier l’objectif supposé des négociations avec l’Iran, dont le point culminant a été l’accord sur le nucléaire de 2015. Deuxièmement, tous les acteurs doivent être prêts à renoncer à certaines de leurs ambitions, intérêts, obsessions et opinions déformées. Cet interminable jeu à somme nulle doit être laissé de côté.
L’accord sur le nucléaire iranien n’avait pas vocation à s’attaquer au comportement régional de l’Iran ni à son programme militaire conventionnel, mais plutôt d’empêcher une éventuelle évolution militaire du programme nucléaire civil légitime de Téhéran.
L’accord, négocié en détail pendant des années par de grands diplomates et spécialistes, n’avait imposé à l’Iran aucun engagement autre que ceux auxquels Téhéran se conformait scrupuleusement jusqu’au mois dernier, comme l’a maintes fois confirmé l’AIEA.
Maintenant que l’Iran a commencé à moins se conformer à l’accord, un an après le retrait des États-Unis, il le fait en respectant le cadre juridique de l’accord, notamment les articles 26 et 36. L’accord ne visait pas à changer les alliances politiques de l’Iran dans la région ou à modifier ses opinions et sa politique concernant l’Irak, le Yémen, la Syrie, le Liban ou Israël-Palestine.
Ambitions nucléaires
L’objectif principal de l’accord, du moins du point de vue occidental, était de répondre aux préoccupations d’Israël et de certains pays arabes au sujet d’un Iran potentiellement doté de l’arme nucléaire. Contrairement aux déclarations des États-Unis et d’Israël, l’accord de 2015 est parvenu à ce résultat. Certains experts en sécurité israéliens reconnaissent même la valeur de l’accord en matière de non-prolifération.
Un meilleur accord aurait-il pu être conclu ? Peut-être, mais l’accord sur le nucléaire était un compromis, pas la panacée. Et dans un compromis, les deux parties doivent renoncer à certaines de leurs aspirations. L’alternative est la guerre ou le diktat : pour aboutir à ces deux résultats, aucune négociation n’est requise.
Si l’objectif actuel est de s’attaquer au comportement régional et au programme de missiles de l’Iran, un processus de négociation beaucoup plus complet et complexe est nécessaire. il aborderait les crises multiformes dans différents domaines en sachant qu’elles sont toutes inextricablement liées et doivent être traitées simultanément et non de manière séquentielle.
La ligne devrait être le fameux « rien n’est convenu jusqu’à ce que tout soit convenu », pour empêcher que les nombreux détracteurs des deux côtés aient la moindre chance de perturber les négociations.
Si un accord juste et durable est recherché, il ne devrait y avoir de part et d’autre aucune place pour les deux poids deux mesures, les autoproclamations célébrant supériorité morale, exceptionnalisme ou « Destinée manifeste » (idéologie selon laquelle la nation américaine avait pour mission divine l’expansion de la « civilisation » vers l’ouest).
Politique d’externalisation
Les États-Unis doivent se décider sur ce qu’ils cherchent à réaliser dans la région et cesser d’externaliser à Israël et à l’Arabie saoudite les postulats de leur politique régionale. La paix, la stabilité et la sécurité, ainsi que les véritables intérêts des États-Unis, ne seront ni promus ni préservés si Washington continue d’accorder un soutien indéfectible aux politiques israélienne et saoudienne qui sont détachées de la réalité.
L’administration américaine doit, le plus tôt possible, se faire à l’idée que ses hard et soft powers, déclinent lentement quelles que soient les ambitions du président Donald Trump de « make America great again ».
Washington doit aussi enfin accepter la révolution iranienne de 1979 et ses conséquences. Il ne sera possible de parvenir à la stabilisation du Moyen-Orient qu’avec la coopération de l’Iran.
De plus, l’establishment américain devrait s’appuyer davantage sur les opinions publiques arabes et moins sur les tribunaux arabes s’il souhaite obtenir une image réaliste de l’atmosphère régionale et ajuster ses politiques en conséquence.
Si Trump est réélu, ce qui se passe au Moyen-Orient déterminera le succès de la stratégie « make America great again », compte tenu du nombre de bévues américaines dans la région qui ont contribué à la perception d’un déclin de la puissance du pays.
En définitive, l’héritage de Trump pourrait également être défini par sa capacité à épargner à son pays sa troisième guerre régionale en moins de trois décennies, qu’elle soit accidentelle ou organisée par ses alliés régionaux.
Le meilleur antidote à un tel risque est une efficace architecture de sécurité au Moyen-Orient.
Menaces existentielles
De son côté, Israël ne peut prétendre supprimer la cause palestinienne au moyen de l’« accord du siècle » américain, faire pression pour un changement de régime en Iran comme le souhaite le conseiller américain à la Sécurité nationale, John Bolton, tout en maintenant la paix et la sécurité pour son propre peuple dans un État juif. Cela s’apparente à de l’orgueil démesuré, pas à une politique sensée.
Bien que le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou ait brillamment réussi à enrôler les chrétiens évangéliques américains et certains dirigeants arabes musulmans en faveur du projet sioniste, cela ne pourrait suffire à lui permettre de réaliser son rêve et les coûts pourraient être astronomiques.
Bien que les chrétiens évangéliques comptent des dizaines de millions d’électeurs qui peuvent influer sur une élection présidentielle américaine, les alliés arabes d’Israël constituent un groupe restreint d’élites gouvernant des États dans lesquels ils ne reflètent pas nécessairement la volonté de leur peuple – et pourraient même être confrontés à l’avenir à des menaces existentielles plus inquiétantes que celles posées par l’Iran. Les stratèges israéliens ne doivent pas sous-estimer cette éventualité.
- Marco Carnelos est un ancien diplomate italien. Il a été en poste en Somalie, en Australie et aux Nations unies. Il a fait partie du personnel de la politique étrangère de trois Premiers ministres italiens entre 1995 et 2011. Plus récemment, il a été l’envoyé spécial coordonnateur du processus de paix au Moyen-Orient pour la Syrie du gouvernement italien et, jusqu’en novembre 2017, ambassadeur d’Italie en Irak.
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Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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