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Arrêtée pour avortement, la journaliste marocaine Hajar Raissouni paie le prix de son engagement professionnel

Alors que la presse à sensation la présente comme étant au cœur d’un scandale de « mœurs », la journaliste Hajar Raissouni fait les frais, pour ses défenseurs, de son ton critique et de sa parenté avec un opposant islamiste
Hajar Raissouni posant avec Ahmed et Zoulikha Zefzafi, les parents du leader du hirak rifain, Nacer Zefzafi (Facebook/Hajar Raissouni)

Hajar Raissouni, journaliste marocaine, est en détention depuis samedi 31 août et risque deux ans de prison ferme pour « avortement illégal ».

L’accusation a été portée contre elle « alors même que le rapport médical ordonné par la police durant sa garde à vue établit clairement que Hajar Raissouni n’a pas subi d’avortement », affirme à Middle East Eye l’avocat de la journaliste, Maître Saad Sahli.

Hajar Raissouni, 28 ans, est reporter au quotidien Akhbar el Youm, décrit par l’organisation Human Rights Watch (HRW) comme « l’un des derniers journaux de l’opposition au Maroc ». 

Traduction : « La journaliste Hajar Raissouni est incarcérée dans une prison marocaine. Elle est accusée d’avortement et de relations sexuelles hors mariage. Elle nie tout, mais qui se soucie de la vérité ? L’adultère et les avortements devraient être dépénalisés. La publication de révélations qui ne respectent pas sa vie privée ressemble à de la manipulation politique. »

Les écrits de Raissouni « sont connus par tous dans le milieu de la presse marocaine pour leur mordant, c’est une plume très critique », affirme encore Me Sahli, pour qui « tout le monde ici [au Maroc] pense que c’est une arrestation politique ».

Connue pour ses écrits en faveur du hirak rifain

L’information de l’arrestation de la journaliste a été rendue publique, de manière sensationnaliste et sans trop s’embarrasser de présomption d’innocence, par la web-télévision marocaine Chouf TV, citant des sources anonymes selon lesquelles « des éléments de la police ont pu procéder à l’arrestation de la journaliste Hajar Raissouni, à l’intérieur du cabinet médical d’un gynécologue à Rabat ».

« La journaliste a comparu devant le juge le lundi 2 septembre en compagnie du gynécologue, d’une infirmière, d’un anesthésiste et de son compagnon de nationalité soudanaise », précise le média.

Chouf TV n’a pas manqué de souligner la parenté de la journaliste avec un opposant islamiste, le président de l’Union internationale des oulémas musulmans, Ahmed Raissouni, dont elle est la nièce.

Annoncée telle l’arrestation spectaculaire d’un gang de malfrats, l’information a suscité la stupeur auprès de nombreux confrères et consœurs marocains de Hajar Raissouni, qui se sont empressés d’exprimer leur solidarité avec la journaliste mais aussi de rappeler son travail critique de reporter, notamment sa couverture des événements liés au hirak du Rif marocain.

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La journaliste Hajar Raissouni en photo avec le père et la mère du leader du hirak rifain, Nacer Zefzafi, emprisonné depuis 2017, Ahmed et Zoulikha Zefzafi. Raissouni commente la photo en ces termes : « L’amour, la vérité, la résilience habitent cette demeure » 

Pour le site marocain Le Desk, l’affaire Raissouni est « une nouvelle machination politico-médiatique ». « Orchestrée par la presse semi-officielle », l’affaire Raissouni, écrit le site d’informations, « est un nouvel épisode de l’utilisation symptomatique par les appareils de l’État de la vie privée dans de sombres règlements de comptes politiques ».

Devant le juge, selon le site Alyaoum 24, la journaliste a nié avoir été arrêtée à l’intérieur du cabinet médical et a affirmé avoir été encerclée devant l’immeuble du médecin « par six policiers en civil dont certains portant des caméras ». 

« [Hajar Raissouni] est choquée de se retrouver en prison mais elle garde le moral »

- Saad Sahli, avocat de la journaliste

Toujours selon les déclarations de la journaliste au juge, rapportées par Alyaoum 24, les policiers qui filmaient la scène ont commencé à lui poser des questions sur les raisons de sa présence dans ce quartier puis l’ont forcée à entrer dans l’immeuble.

Une fois à l’intérieur du cabinet médical, ils ont ordonné à l’assistante du médecin gynécologue, absent des lieux, de l’appeler et de lui transmettre l’ordre de la police de se rendre immédiatement à la clinique.

L’avocat de la journaliste a également affirmé à MEE qu’il n’a pu voir Hajar Raissouni que mardi 3 septembre « pendant près de deux heures ». 

L’avortement au Maroc : un débat délicat
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Selon lui, la journaliste « est choquée de se retrouver en prison mais elle garde le moral ». Me Saad Sahli affirme également être optimiste quant au déroulement de son audience au tribunal qui aura lieu le 9 septembre. « L’avortement est un acte médical et il existe un rapport médical, dans le dossier même, qui établit qu’il n’y a pas eu d’avortement », insiste-t-il.

Hajar Raissouni est également accusée d’avoir eu des « relations sexuelles hors mariage » ce qui, pénalement au Maroc, peut être puni d’une peine allant jusqu’à un an de prison, ajoute Me Sahli, pour qui « cette accusation ne tient pas la route ».

https://twitter.com/MALImaroc/status/1168867568632942594

« Hajar Raissouni n’a pas été arrêtée à domicile, comment prouver une telle chose ? », interroge-t-il.

C’est souvent en niant ainsi les accusations portées contre la journaliste que de nombreuses personnes parmi celles qui la soutiennent, y compris son oncle ouléma, ont choisi d’exprimer leur solidarité. 

Les écrits et… le corps de la femme journaliste

Des militantes féministes marocaines, elles, vont plus loin et affirment que la loi sur l’avortement au Maroc doit changer, comme le déclare à MEE la militante des droits des femmes Amina Kadiri : « Nous voulons que la loi pénale change pour tout le monde, ce qui empêchera les manipulations contre les femmes en politique ».

Pour Amina Kadiri, cette affaire « est fabriquée » : « Il y a des éléments qui poussent à le croire et le déroulement du procès nous éclairera. Au Maroc, il y a près de 600 cas d’avortements clandestins par jour, selon les statistiques publiées par une association spécialisée, pourquoi arrête-t-on Hajar Raissouni spécialement ? » 

https://twitter.com/MajdaAvrami/status/1168994648985145344

« Elle était sujette à surveillance par la police qui l’a arrêtée pour deux raisons : ses positions journalistiques et le fait qu’elle soit la nièce de l'islamiste obscurantiste Ahmed Raissouni, connu pour ses positions opposées aux libertés individuelles », ajoute-t-elle. 

C’est donc aussi pour porter un coup à l’oncle, affirme encore Kadiri, que la jeune femme se retrouve au cœur d’un scandale aux relents sordides. C’est également là la lecture du site Le Desk, qui soutient : 

« Comme pour les affaires précédentes, celle de Raissouni, manifestement montée, est étalée sur la place publique pour démontrer l’incapacité des tenants de l’islam politique à se conformer à une vision claire de ce qu’ils entendent par ‘’référentiel islamique’’. »

Sur sa page Facebook, la jeune femme ne poste pas seulement ses articles (parmi les plus récents, un long entretien avec Moncef Marzouki, candidat à l’élection présidentielle tunisienne). Elle révèle aussi à ceux qui la suivent sur les réseaux sociaux le visage d’une poétesse douée, sensible et intelligente.

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