Au Sahara occidental, le Maroc poursuit sa diplomatie pyromane
L’année 2019 a été marqué en Afrique du Nord par deux faits marquants : le hirak en Algérie entamé le 22 février de cette même année et la grave crise libyenne qui s’éternise, opposant le Gouvernement d’union nationale (GNA) de Tripoli, reconnu par la « communauté internationale » avec à sa tête Fayez al-Sarraj, aux forces armées du maréchal Haftar basé à Benghazi.
Pourtant, un autre pays, un autre peuple mérite que les médias s’attardent aussi sur lui, évitant ainsi que de nombreuses importantes décisions et événements ne passent sous les radars dans leurs globalités. Une succession d’événements qui en s’accumulant, pourraient bien rendre la région du Maghreb encore plus explosive qu’elle ne l’est actuellement.
Ces décisions pourraient dans un avenir plus ou moins proche, déstabiliser toute la région de l’Afrique du Nord et par ricochet, les voisins sahéliens déjà dans un état de déliquescence avancé
Les dernières décisions qui suivent pourraient en effet et dans un avenir plus ou moins proche, déstabiliser toute la région de l’Afrique du Nord et par ricochet, les voisins sahéliens déjà dans un état de déliquescence avancé.
Depuis le mois de décembre 2019, deux faits majeurs se sont en effet produits au Sahara occidental, territoire occupé par le Maroc depuis 45 longues années.
En l’espace de quelques semaines, et à l’image des États-Unis et du Guatemala, qui ont transféré leur ambassade à Jérusalem, ignorant ainsi le droit international et le statut juridique de cette ville sainte, quatre pays africains, les Comores, la Gambie, le Gabon et la Guinée ont décidé d’ouvrir leur représentation consulaire respective dans les villes occupées de Laâyoune et Dakhla. Quatre États, membres de l’Union africaine !
Ce sont les Comores qui ont ouvert le bal en décembre, en inaugurant contre toute logique rationnelle, leur consulat général à Laâyoune. Cette décision des autorités comoriennes a été très fortement critiquée au sein même du pays et par l’opposition. Le Conseil national de transition (CNT), a par exemple exprimé ses « vifs regrets suite à la décision prise par le colonel Azali Assoumani d’ouvrir un consulat général de l’Union des Comores au Maroc à Laâyoune ».
Pour le CNT, « aucun Comorien ne réside sur ce territoire et ne présente donc aucun intérêt diplomatique ou consulaire ». Le CNT va encore plus loin en « condamnant cette provocation, en ce qu’elle est non conforme au droit international ».
La Gambie suivait aussitôt en procédant à l’inauguration officielle de sa représentation consulaire à Dakhla, le 7 janvier 2020, ignorant elle aussi le droit international ainsi que la résolution 1514 des Nations unies qui stipule que « tous les peuples ont le droit à l’autodétermination ».
Enfin, ce 16 janvier, c’était au tour de la Guinée et du Gabon d’emboîter le pas aux Comoriens et aux Gambiens, en inaugurant eux aussi un consulat général à Laâyoune pour le Gabon et à Dakhla, grand port de pêche du Sahara occidental situé sur l’Atlantique, pour la Guinée.
Il va de soi que l’Union africaine ne peut rester silencieuse devant de tels agissements de la part de ses États membres et se doit donc d’agir en conséquence lors du prochain sommet de l’UA qui aura lieu à Addis-Abeba du 6 au 10 février.
« Prôner la division au sein de la famille de la CAF »
Un autre fait marquant concernant l’occupation du Sahara occidental a eu lieu ces derniers jours avec l’annonce de l’Afrique du Sud de ne pas participer à la Coupe d’Afrique des nations de futsal, organisée par le Maroc dans la ville sahraouie de Laâyoune du 28 janvier au 7 février et qui sert aussi de tournoi de qualifications à la prochaine coupe du monde de futsal organisée en Lituanie du 12 septembre au 4 octobre 2020.
En effet, et au risque d’être sanctionnée par la Confédération africaine de football (CAF), la Fédération sud-africaine de football (SAFA) a décidé de se retirer de la compétition. Selon la SAFA, sa décision est motivée par la volonté du Maroc d’organiser cet événement sportif à Laâyoune, ville du Sahara occidental.
Ces décisions irresponsables de la part des autorités marocaines, mais aussi de leurs alliés africains, ne sont aussi rien d’autres que des provocations visant à saper le processus de règlement de la question du Sahara occidental
Cette décision de la SAFA est par ailleurs soutenue par la confédération et le comité olympique sportif d’Afrique du Sud pour qui, « l’Afrique du Sud n’a aucun problème pour jouer au Maroc mais afin d’être en concordance avec le gouvernement sud-africain et les résolutions de l’Union africaine ne jouera pas au Sahara occidental ».
À travers un communiqué, la Fédération algérienne de football (FAF) a, elle aussi, condamné l’organisation de cet événement sportif, adressant une lettre au président de la CAF dans laquelle elle « dénonce et s’oppose à la domiciliation de la Coupe d’Afrique des nations de futsal 2020 par le Maroc dans la ville occupée de Laâyoune ».
La FAF rappelant dans ce même communiqué que cette ville « relève du territoire de la République arabe sahraouie démocratique [RASD] ».
Pour la FAF, « la CAF a toujours été aux avant-postes des valeurs universelles et avait vaillamment lutté contre toute forme de colonisation, à commencer par le régime de l’apartheid en Afrique du Sud ». Elle considère ainsi que cette décision d’organiser cet événement sportif « à connotation politique » ne peut que « prôner la division au sein de la famille de la CAF ».
Menaçant de ne pas prendre part « aux festivités du 63e anniversaire [le 8 février prochain] de la CAF si elle était invitée en marge de la tenue de la réunion du Comité exécutif de l’instance du football africain, la FAF a donc appelé la CAF à ce que « la domiciliation des événements cités précédemment dans la ville occupée de Laâyoune soit reconsidérée, pour ne pas cautionner la politique du fait accompli ».
À l’image de la politique israélienne d’implantations de colonies illégales dans les territoires occupées, les autorités marocaines persistent donc dans leur politique du fait accompli.
La toile d’araignée géostratégique marocaine aidée par la diplomatie du portefeuille s’étend tout doucement à travers le Sahara occidental au détriment du peuple sahraoui et en violation flagrante du droit international.
Toutefois, ces décisions irresponsables de la part des autorités marocaines mais aussi de leurs alliés africains, ne sont aussi rien d’autres que des provocations visant in fine, à saper le processus de règlement de la question du Sahara occidental mené sous l’égide des Nations unies, transgressant ainsi le droit imprescriptible du peuple sahraoui à l’autodétermination.
Question récurrente des droits de l’homme
À cela s’ajoute la question récurrente des droits de l’homme constamment bafoués par les autorités marocaines. À cet égard, des organisations des droits de l’homme, telles que le Robert F. Kennedy Centre for Justice and Human Rights, tirent régulièrement la sonnette d’alarme sur la situation des Sahraouis vivant au Sahara occidental.
Les jeunes Sahraouis pourraient bien finir par perdre patience et prendre les armes contre l’occupant marocain, comme ils menacent de le faire régulièrement dans leurs profonds moments de désespoir
Leurs différents rapports sur la politique marocaine sont unanimes, citant de nombreux exemples d’exécutions sommaires, de disparitions, de tortures, d’intimidations ainsi que d’arrestations arbitraires.
Ceci dit, la politique d’occupation et de violations des droits de l’homme conduite par Rabat depuis 1975 est due à une parfaite maîtrise des outils de communication du Makhzen, complétée par un lobbying efficace, comme l’indiquent ces dernières inaugurations consulaires ainsi que la Coupe des nations de futsal.
Mais elle est surtout rendue possible grâce au support indéfectible franco-américain, qui s’explique par le fait que le Maroc a toujours été considéré comme un allié privilégié des Occidentaux.
Les différents présidents français ne manquent d’ailleurs aucune occasion de rappeler les liens très étroits qui lient la France et le Maroc, qui selon l’ancien président François Hollande, est un « pays de stabilité et de sérénité », ce qui a permis de nouer une « amitié d’une qualité rare pour ne pas dire exceptionnelle entre les deux pays ». Ce que cette « diplomatie de connivence » comme souligné par le professeur français Bertrand Badie, fit dire un jour à Philippe Bolopion, directeur adjoint de Global Advocacy de Human Rights Watch, « entre Paris et Rabat, c’est business as usual ».
En cette période de très grands risques d’instabilité pour toute la région du Maghreb, ces différentes décisions pyromanes émanant du royaume chérifien ne peuvent qu’attiser la colère des plus impatients au sein de la population sahraouie, fatigués d’attendre depuis 45 ans pour les plus anciens, et depuis leur naissance pour les plus jeunes, leur droit à se prononcer sur leur devenir.
Pourtant, ces derniers pourraient bien finir par perdre patience et prendre les armes contre l’occupant marocain, comme ils menacent de le faire régulièrement dans leurs profonds moments de désespoir.
Ces ouvertures de bureaux consulaires ainsi que l’organisation de la Coupe des nations de futsal risquent en effet de lancer un signal négatif supplémentaire à la population sahraouie, en particulier les jeunes, de plus en plus radicalisés et sans espoir d’une solution pacifique.
Les affrontements réguliers avec les forces de l’ordre marocaines dans différentes villes du Sahara occidental occupé ne sont qu’un prélude, et Mohammed VI serait bien avisé d’y réfléchir enfin.
Il est donc primordial de rappeler que l’occupation du Sahara occidental par le Maroc est en totale infraction des lois internationales et la résolution 1514 des Nations unies qui stipule que « tous les peuples ont le droit à l’autodétermination ».
Ce dossier demeure donc une question de décolonisation inachevée
Cette résolution 1514 est également soutenue par la Cour internationale de justice (CIJ) qui, en octobre 1975, déclarait que le Sahara occidental n’était pas un territoire sans maître (terra nullius, signifiant qui peut être habité mais qui ne relève pas d’un État) au moment de sa colonisation par l’Espagne.
Pour la CIJ, Rabat n’a donc pas de revendications valides sur le Sahara occidental basées sur une quelconque historicité, les lois internationales contemporaines accordant la priorité d’autodétermination aux Sahraouis.
Ce dossier demeure donc une question de décolonisation inachevée. Et toute activité économique, politique, ou sportive relève in fine de l’illégalité et du non-respect du droit international.
Dans l’intervalle, les Sahraouis attendent toujours que soit organisé le référendum pour l’autodétermination prévue pour 1992, mais qui, à ce jour, n’a toujours pas eu lieu.
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