« Pas d’alternative » : des électeurs de Téhéran optent pour un boycott du scrutin dans un contexte de répression
Alors que l’Iran se prépare pour les élections législatives prévues plus tard ce mois-ci, les forces de sécurité répriment les détracteurs, procèdent à des descentes au domicile de journalistes et condamnent les opposants à de longues peines de prison.
Ces mesures interviennent après que le Conseil des gardiens de la Constitution, un organe favorable à la ligne dure, composé de douze membres et supervisé par le guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, a interdit aux réformistes de se présenter aux élections prévues le 21 février.
« Rohani et les députés réformistes n’ont rien pu faire et se sont heurtés à de gros obstacles : Khamenei et sa soif de pouvoir absolu »
– Ahmad-Reza, doctorant
En revanche, la grande majorité des candidats favorables à la ligne dure et conservateurs ont été autorisés à se présenter.
L’Iran a toujours appliqué un processus électoral rigoureux, mais le retrait des réformistes – dont le parti détient actuellement la majorité des 290 sièges du Parlement iranien – signifie que Khamenei est proche de consolider son pouvoir au Parlement et au gouvernement.
Face à la répression, les réformistes et leurs partisans ont déclaré à Middle East Eye qu’ils avaient de toute façon abandonné tout espoir d’être une force efficace au Parlement et qu’ils cherchaient désormais à boycotter officieusement la course aux sièges.
« Il y a quatre ans, nous avions de l’espoir lorsque nous avons voté pour [Hassan] Rohani et les réformistes lors des élections présidentielles et législatives », confie Ahmad-Reza, un étudiant en doctorat à l’Université de Téhéran qui gagne sa vie en rédigeant des articles pour d’autres étudiants, une activité illégale mais très répandue. Il a refusé de donner son nom de famille pour protéger son identité.
« Mais Rohani et les députés réformistes n’ont rien pu faire et se sont heurtés à de gros obstacles : Khamenei et sa soif de pouvoir absolu. En réalité, Khamenei a défait tout ce qu’ils ont fait de bien. »
Par conséquent, Ahmad-Reza affirme qu’il ne votera pas aux élections. « Je suis convaincu que Khamenei ne laissera pas mes candidats et députés préférés satisfaire leurs promesses. Nous ne voulons plus donner de légitimité à Khamenei. »
« Fermer leur bouche »
Le 2 février, un tribunal de Machhad a condamné huit activistes politiques à de longues peines de prison après la publication d’une lettre ouverte qu’ils avaient écrite l’an dernier pour demander à Khamenei de démissionner et de modifier la Constitution iranienne.
Dans le même temps, les forces du corps des Gardiens de la révolution islamique (GRI) ont effectué des descentes au domicile de plus d’une douzaine de journalistes et saisi leurs téléphones et ordinateurs portables. D’autres ont été convoqués par les autorités et menacés en raison de leur couverture des élections, ont rapporté des médias réformistes.
« Pourquoi le processus électoral est-il sain lorsqu’il débouche sur leur victoire mais jugé défectueux lorsqu’il ne leur est pas favorable ? »
– L’ayatollah Ali Khamenei
Employant des termes d’une force sans précédent, Rohani a fustigé la purge des réformistes, décrivant dans un tweet le mois dernier une « course […] manigancée ». Khamenei et ses partisans ont réagi en remettant leur logique en question.
« Pourquoi le processus électoral est-il sain lorsqu’il débouche sur leur victoire mais jugé défectueux lorsqu’il ne leur est pas favorable ? », a déclaré Khamenei le 5 février.
Le lendemain, le chef du pouvoir judiciaire iranien, Ebrahim Raïssi, a menacé les détracteurs, affirmant que ceux qui « remett[aient] en question » le scrutin appartenaient au « camp ennemi ».
Selon un analyste politique basé en Iran qui s’est exprimé sous couvert d’anonymat, ces propos « servent d’avertissement à l’attention des journalistes et des activistes afin qu’ils ferment leur bouche ».
« Chaque fois que la République islamique est confrontée à un échec de gouvernance et que des protestations éclatent à travers le pays, les radicaux et la classe dirigeante commencent à faire taire les détracteurs en les emprisonnant et en les intimidant afin de sécuritiser l’atmosphère politique », explique-t-il à MEE en référence aux manifestations qui ont secoué le pays en 2019.
« Cependant, je suis heureux que désormais, avec les progrès de la technologie et des réseaux sociaux, Khamenei, qui est loin d’être musulman, soit démasqué et qu’il ne puisse plus se cacher derrière un rideau en prétendant qu’il n’a pas conscience des problèmes et de l’oppression.
« Actuellement, les gens peuvent facilement comprendre qui écrase leur vie et leurs rêves, main dans la main avec Trump. »
Une chute de popularité
Mais le président Hassan Rohani a également souffert de la situation économique désastreuse de l’Iran, après que l’administration du président américain Donald Trump s’est retirée de l’accord sur le nucléaire de 2015 et a lancé une stratégie de « pression maximale » contre le pays.
En novembre, sa popularité était tombée à moins de 10 %, selon un sondage d’opinion réalisé par le gouvernement.
S’exprimant sous couvert d’anonymat pour des raisons de sécurité, un activiste réformiste indique à MEE que l’accord sur le nucléaire, qui était le principal accomplissement de Rohani et des réformistes, a désormais « presque disparu », une issue qu’il attribue à la « coopération indirecte » entre Khamenei et Trump.
« D’une part, Khamenei et les GRI ont mené des actions délibérées pour compromettre la politique étrangère de Rohani », explique-t-il.
« D’autre part, une bête curieuse a remporté les élections aux États-Unis, déchiré l’accord sur le nucléaire de 2015 et fait jubiler Khamenei et les GRI, qui voyaient ainsi leur rival commencer à fléchir sérieusement. »
« Nous n’avons pas d’alternative »
L’échec de Rohani et la répression orchestrée par Khamenei ont poussé de nombreux Iraniens – au moins à Téhéran – à boycotter le scrutin pour manifester leur colère, selon un sondage de l’Iranian Student Polling Agency réalisé le mois dernier.
Farhad, un chauffeur de taxi travaillant principalement dans le centre-ville, confie à MEE que lorsqu’il a voté pour Rohani et les autres réformistes il y a quatre ans, il espérait qu’ils relanceraient l’économie iranienne en se réconciliant avec l’Occident.
« Ils ont réussi dans une certaine mesure, mais Khamenei a empêché la reprise complète de l’économie », déplore-t-il.
« Un faible taux de participation pourrait inciter les États-Unis, l’Arabie saoudite et Israël à adopter une posture effrontée et à mener des actions dangereuses contre nous »
- Ahmad-Reza, doctorant
« La malchance poursuit les Iraniens. Nous n’avons pas d’alternative. L’opposition à la République islamique, incarnée par exemple par [l’ancien prince héritier] Reza Pahlavi, est de toute évidence encore plus incompétente et pire que la classe dirigeante actuelle. »
Désormais, Farhad affirme en avoir assez de voter. « Je ne commettrai plus cette erreur à moins qu’un miracle ne se produise », confie-t-il.
Ahmad-Reza, le doctorant de l’Université de Téhéran qui affirme qu’il ne participera pas au vote, se dit néanmoins inquiets des conséquences de l’absence d’électeurs comme lui.
« Nous sommes de plus en plus préoccupés par les complots des États-Unis, de l’Arabie saoudite et d’Israël car on sait parfaitement qu’ils veulent désintégrer notre cher pays », soutient-il.
« Un faible taux de participation pourrait inciter ces pays à adopter une posture effrontée et à mener des actions dangereuses contre nous. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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