Les muqarnas : ces structures architecturales alvéolaires qui effleurent les cieux
De l’Alhambra en Espagne à la mosquée de Gazi Husrev-beg en Bosnie en passant par le palais Hacht-Behecht en Iran, les dômes intérieurs de nombreuses mosquées et palais à travers le Moyen-Orient et au-delà comportent des « voûtes en nid-d’abeilles » : ce motif exclusif porte un nom – muqarnas.
Ce style pluriséculaire de grandeur architecturale peut orner un bâtiment pour des raisons purement esthétiques, créant une zone décorative fluide qui fait la transition entre les murs nus et le plafond, ou revêtir une fonction structurelle en tant que formations porteuses, dont on trouve les premiers exemples en Mésopotamie.
Historiquement, les muqarnas ont pris une importance décorative vers le XIIe siècle – âge d’or de l’islam –, période durant laquelle les musulmans ont fait des progrès significatifs en architecture, en mathématiques, en sciences et dans les arts.
Ces structures concaves ne servent pas qu’à asseoir des dômes. On les trouve également pour embellir les entrées en forme de demi-dôme ainsi que les iwans (salle rectangulaire qui sert d’entrée à la mosquée depuis la cour) et les mihrabs (dans une mosquée, niche creusée dans le mur indiquant la direction vers laquelle les musulmans doivent se tourner pour prier).
Différences structurelles
Il existe deux formes distinctes de structures : celles d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, et celles de Perse où les muqarnas sont connus sous le nom d’ahoopay. Parmi ces formes, il existe de nombreux styles reposant sur des carrés, des triangles ou des assemblages de panneaux décorés en surface ressemblant à des modèles de coordonnées polaires.
Leur origine est encore débattue, mais la plupart des sources estiment que les muqarnas sont une évolution des trompes – un encorbellement au niveau des angles supérieurs d’un plan carré permettant d’asseoir une coupole. Le premier exemple a été retrouvé dans l’ancienne Perse sous l’empire sassanide (224 à 651 après J.-C.).
Les premiers muqarnas reconnaissables ont été découverts dans l’architecture du Xe siècle près de la ville de Nishapur, dans le nord-est de l’Iran, et également à Samarkand, qui se situe en Ouzbékistan moderne.
Alors que les routes commerciales se développaient et que l’islam prospérait, il en a été de même avec la diffusion des idées – y compris architecturales. On retrouve aujourd’hui des muqarnas dans de nombreux bâtiments historiques et certains bâtiments modernes.
Ils peuvent soit être sculptés dans la structure d’un mur ou d’un plafond, soit être ajoutés et suspendus dans un seul but décoratif. Il est souvent difficile pour un œil non averti de voir la différence.
L’aspect des muqarnas dépend de leur situation géographique
+ Show - HideLes murqarnas peuvent être en brique, en pierre, en stuc ou en bois et sont parfois recouverts de carreaux ou de plâtre. Leur taille, leur forme, leur composition et leur utilisation dépendent fortement de leur situation géographique :
Les muqarnas trouvés en Occident sont souvent plus complexes et créatifs car ils se sont développés à une époque où les règles étaient moins rigoureuses. Ils sont souvent en stuc en raison d’une abondance d’argile naturelle dans la région.
En Syrie et en Turquie, les muqarnas se sont développés selon des règles plus strictes et sont également principalement faits de marbre et de pierre, ils ont donc tendance à être plus grands et moins complexes.
La pierre est populaire en Égypte, car le temps chaud et les vents violents du désert peuvent considérablement user les matériaux moins robustes comme le stuc.
Dans d’autres régions d’Afrique du Nord, ainsi qu’en Iran, en Irak et au Pakistan, les muqarnas sont faits de briques ou recouverts de plâtre et peints de couleurs vives avec des motifs décoratifs.
La forme la plus distinctive des muqarnas est la structure en nid-d’abeilles, qui peut sembler incroyablement complexe ou simple en apparence – résultat d’une habile combinaison des mathématiques et de l’art.
Middle East Eye a rassemblé des images de certaines de ces structures appartenant à l’architecture tant ancienne que moderne.
Palais de l’Alhambra
Lieu : Grenade, Espagne
Date d’achèvement : milieu du XIIIe siècle (époque de la dynastie nasride), mais rénové plusieurs fois depuis
Décrit par les poètes maures comme « des perles serties d’émeraudes », l’Alhambra fut le palais royal de diverses dynasties musulmanes en Espagne islamique et se situait au sommet d’une colline entourée de forêts.
Le palais et la forteresse sont ornés de motifs géométriques au milieu d’arabesques avec de beaux muqarnas détaillés incorporant des versets coraniques et des noms de sultans. Fait intéressant, du pseudo-arabe – des caractères arabes inintelligibles conçus pour imiter le texte arabe – a également été ajouté comme décoration sur certaines parties du palais lors de ses nombreuses rénovations.
Porte sur le vieux Caire
Lieu : Le Caire, Égypte
Date d’achèvement : XIIe siècle (ère des Baharites, première dynastie mamelouke)
Le vieux Caire était autrefois une ville fortifiée avec de nombreuses entrées et points de sortie, des portes plus petites séparant les quartiers entre les zones. Les muqarnas en pierre qu’on voit au-dessus des portes sont aujourd’hui qualifiés de « style cairote » et sont une caractéristique importante dans la plupart des travaux post-fatimides, en particulier ceux employés par les Mamelouks, une dynastie dirigée par des esclaves qui se sont convertis à l’islam et sont devenus rois au XIIe siècle.
Contrairement à leurs homologues persans élégants et plus fins, les muqarnas de style cairote sont beaucoup plus grands, généralement en pierre et concentrés dans un espace limité. Ils font aisément le lien avec les murs qui les entourent, ce qui renforce la structure dans cette région du monde sujette aux tremblements de terre.
Mosquée al-Rifa’i
Lieu : Le Caire, Égypte
Date d’achèvement : 1912 (époque ottomane)
La mosquée al-Rifa’i est un édifice moderne qui a été construit en 1912 et se trouve à côté de la mosquée-madrassa historique du sultan Hassan. La ressemblance des deux mosquées en style et en splendeur était une tentative des dirigeants égyptiens de l’époque de s’associer à la gloire de la dynastie mamelouke.
Il convient également de remarquer, bien que ce soit difficilement visible, que les muqarnas ont des stalactites – des ornements arrondis suspendus –, une caractéristique généralement observée dans l’architecture ottomane, mais également présente en Égypte comme un vestige des 300 ans de règne ottoman.
Jomhoori Eslami, mausolée de l’imam Reza
Lieu : Machhad, Iran
Date d’achèvement : 821 (époque tahiride)
Le Jomhoori Eslami présente deux caractéristiques distinctives du style perse - les muqarnas et les rasmi-bandi.
Une partie de l’iwan (salle ou espace rectangulaire) présente des muqarnas, le reste étant composé de rasmi-bandi, des structures similaires aux toits à roues à rayons. Ces formes démontrent les compétences en géométrie nécessaires pour pouvoir remplir l’espace.
Il est très inhabituel, sinon presque impossible, de trouver des techniques traditionnelles de coupe de carreaux dans la construction de muqarnas modernes en Iran. La plupart sont conçus par ordinateur et découpés au laser pour obtenir l’ajustement parfait, mais ils continuent d’impressionner les visiteurs et les fidèles, l’architecture perse ayant évolué sans s’écarter du génie de la conception des mosquées.
Mosquée Goharshad
Lieu : Machhad, Iran
Date d’achèvement : 1418 (époque de la dynastie timouride)
Influencée par l’architecture de Samarkand, de nombreuses parties de la mosquée elle-même ont été reconstruites entre les années 1950 et 1970.
Les muqarnas derrière et au-dessus du mihrab central sont incroyablement complexes. Ils ne se reflètent pas et rapetissent progressivement à mesure qu’ils se rapprochent du plafond. Fabriqués en plâtre, ils sont recouverts de motifs floraux peints en bleu marine, or et turquoise. Compte tenu des travaux de restauration, il est très peu probable que ces muqarnas soient d’origine timouride.
Aujourd’hui, la mosquée fait partie du complexe élargi du mausolée de l’imam Reza à Machhad et est l’un des lieux centraux où sont conduites les prières collectives.
Palais Hacht-Behecht
Lieu : Ispahan, Iran
Date d’achèvement : 1669 (époque safavide)
Datant du XVIIe siècle, ce pavillon privé a été construit par Soleiman Ier, huitième shah de l’empire safavide. Les Safavides étaient réputés pour parrainer les arts et le développement d’un style architectural riche qui est aujourd’hui considéré comme le meilleur exemple de l’art perse et islamique.
Contrairement à la plupart des structures architecturales perses, où les muqarnas se trouvent à l’entrée d’un bâtiment, ils prennent ici un style « coordonnées polaires » pour remplir l’espace vide sous le dôme. La large base plate des muqarnas externes est décorée de motifs floraux et d’arabesques, un thème de référence et répété dans l’art perse faisant allusion au plus haut des cieux.
Mosquée de Gazi Husrev-bey
Lieu : Sarajevo, Bosnie-Herzégovine
Date d’achèvement : 1530 (époque ottomane)
Construite et conçue au XVIe siècle par Adzem Esir Ali, un Perse originaire de Tabriz qui fut l’architecte en chef de l’Empire ottoman, la mosquée de Gazi Husrev-bey est la plus grande mosquée de Bosnie-Herzégovine et est considérée comme l’élément architectural le plus important de la domination ottomane dans les Balkans.
L’entrée principale est ornée de muqarnas de style semblable au « style Sinan », d’après l’architecte ottoman Mimar Sinan (1490-1588).
La mosquée a été endommagée pendant le siège de Sarajevo en 1996, mais les travaux de reconstruction ont commencé immédiatement après la fin de la guerre, montrant l’importance de ce centre de prière.
Mosquée Badshahi
Lieu : Lahore, Pakistan
Date d’achèvement : 1671 (époque moghole)
La mosquée Badshahi, ou « mosquée impériale », est un édifice de l’époque moghole situé à Lahore, capitale de la province du Pendjab, au Pakistan. Construite par l’empereur Aurangzeb en 1671, elle serait la mosquée la plus emblématique du pays.
Lahore était autrefois une porte vers la Perse et a commencé à incarner le style distinct de la région dans sa propre architecture. La mosquée Badshahi est faite de grès rouge avec des incrustations de marbre blanc et présente également des muqarnas de style « coordonnées polaires » qui sont presque identiques à ceux trouvés dans les mosquées et les maisons traditionnelles de Kashan, en Iran.
Bien qu’aucune œuvre d’art originelle de la mosquée n’ait survécu, des restaurations récentes en 2008 ont importé de la pierre rouge de l’État indien du Rajasthan, la source moghole d’origine de ce matériau coloré.
Mosquée de Wazir-Khan
Lieu : Lahore, Pakistan
Date d’achèvement : 1641 (époque moghole)
La mosquée de Wazir-Khan est la cousine la moins connue du Taj Mahal, mais son architecture est tout aussi éblouissante. L’empereur moghol Shah Jahan est mort à Agra, où il a construit le Taj Mahal pour immortaliser sa femme, Mumtaz Mahal, mais c’est à Lahore, sa ville natale, qu’il a commandé la mosquée de Wazir-Khan.
Celle-ci présente des muqarnas en briques dans la plupart de ses iwans et comporte un treillage carré et orné des noms des quatre premiers califes de l’islam sunnite : Abou Bakr, Omar, Othman et Ali.
Terminologie relative aux muqarnas
+ Show - HideIwan – salle rectangulaire qui sert d’entrée à la mosquée depuis la cour
Mihrab – dans une mosquée, niche creusée dans le mur indiquant la direction vers laquelle les musulmans doivent se tourner pour prier
Trompe – encorbellement au niveau des angles supérieurs d’un plan carré permettant d’asseoir une coupole
Fresque – type de peinture murale appliquée sur un enduit frais ; lorsque l’enduit sèche, la peinture fait de même
Ablaq – style architectural qui alterne des rangées ou bandes de pierre de couleur foncée et de couleur claire, courant au Caire et à Damas
Kashi-kari - originaire de Kashan, en Iran, forme traditionnelle de mosaïque aux carreaux émaillés décorés
Rasmi-bandi - motifs perses caractéristiques et originaux qui couvrent les plafonds dans l’architecture traditionnelle
Pendentifs – structures triangulaires qui se rejoignent pour former une base circulaire
Treillage – bandes d’un matériau qui s’entrecroisent formant un treillis
Arabesque – motif décoratif constitué de lignes fluides
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Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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