Sahara occidental : si Biden ne revient pas sur la décision de Trump, le Front Polisario promet de « poursuivre la guerre »
L’annonce faite la semaine dernière par le président américain Donald Trump selon laquelle les États-Unis reconnaissent la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental a été un coup de poing dans le ventre pour le mouvement indépendantiste sahraoui.
Mais le Front Polisario, l’organisation qui mène la lutte physique et diplomatique pour l’indépendance du Sahara occidental depuis plusieurs décennies, fonde ses espoirs sur la nouvelle administration Biden, dont il attend qu’elle revienne sur cette décision.
Dans le cas contraire, comme préviennent ses responsables, il y a toujours la perspective d’une lutte armée.
Comme à l’accoutumée, la décision de Trump a été annoncée dans une série de tweets grandiloquents. Le président sortant a lié ce décret présidentiel à la normalisation des relations du Maroc avec Israël et à la reconnaissance des États-Unis par le royaume en 1777.
Ses tweets ont bouleversé en un instant des années de stratégie américaine, suscitant des condamnations de la part des deux parties ainsi que les habituels éloges des républicains loyaux.
Pour le républicain Jim Inhofe, président du Comité des forces armées du Sénat, Trump a été « mal conseillé par son équipe » et « aurait pu conclure l’accord sans monnayer les droits d’un peuple sans voix ».
Le démocrate Eliot Engel, président de la commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants, partage ce sentiment.
« Je crains que cette annonce ne vienne bouleverser un processus crédible initié par l’ONU et soutenu par la communauté internationale pour régler le différend territorial sur le Sahara occidental, que les administrations successives des deux parties ont soutenu », a-t-il déclaré.
À Washington, le représentant du Front Polisario, Mouloud Saïd, s’en tient principalement à un unique argument : le tweet de Trump entre en contradiction avec le droit international.
« La déclaration de Trump est tout d’abord une violation flagrante du droit international dans le cas du Sahara occidental. La déclaration ne mentionne aucune base juridique pour une telle décision étant donné qu’elle enfreint le droit international », explique Mouloud Saïd à Middle East Eye.
Ressentiment durable
Le 45e président des États-Unis n’est pas connu pour son profond respect des lois. Actuellement, il tente de renverser sa défaite électorale par le biais d’une série d’accusations infondées de fraude dans le cadre d’actions en justice rejetées par les tribunaux plus vite qu’elles ne sont préparées.
Et en matière de droit international, Trump n’a guère rencontré de résistance lorsqu’en mars 2019, il a reconnu unilatéralement la souveraineté israélienne sur le plateau du Golan syrien occupé.
Contrairement à d’autres initiatives unilatérales et accords employant la méthode forte en faveur d’Israël, la reconnaissance du Sahara occidental par Trump semble avoir fait grincer des dents au niveau national.
Certaines voix à Washington qui ont précédemment soutenu les accords de normalisation des relations avec Israël négociés cette année par les États-Unis avec les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Soudan, appelés « accords d’Abraham », ont déploré ce dernier accord en raison de ses implications pour le Sahara occidental.
Ce territoire désertique faiblement peuplé, qui renfermerait d’importantes ressources naturelles, est revendiqué par Rabat depuis 1957. L’armée marocaine s’y est installée après le départ de la puissance coloniale espagnole en 1975.
Les Sahraouis réclament toutefois leur indépendance et luttent pour l’obtenir. Actuellement, les deux tiers du territoire contesté sont contrôlés par le Maroc et le reste par la République sahraouie.
Depuis un accord de cessez-le-feu conclu en 1991, le Front Polisario est passé d’une lutte armée à une lutte diplomatique, tentant de rallier un soutien en faveur d’un référendum sur l’indépendance, une cause pour laquelle il a gagné des alliés à Washington et ailleurs.
C’est la nature transactionnelle du dernier accord négocié par Trump, qui tire parti d’un peuple sans rapport avec ce dernier et d’un territoire situé à des milliers de kilomètres d’Israël, qui pourrait provoquer un ressentiment durable à Washington et peut-être même entraîner l’annulation de l’accord.
James Baker, ancien secrétaire d’État américain et ex-envoyé spécial des Nations unies au Sahara occidental, a fait part de ces préoccupations après les tweets du 10 décembre.
« Bien que je soutienne fermement les accords d’Abraham, la bonne façon de les mettre en œuvre est celle qui a été employée avec les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Soudan, contrairement au fait de sacrifier cyniquement les droits à l’autodétermination du peuple du Sahara occidental », a-t-il déclaré dans un communiqué.
« Il semblerait que les États-Unis d’Amérique, qui ont été fondés avant toute chose sur le principe de l’autodétermination, se soient écartés de ce principe en ce qui concerne le peuple du Sahara occidental. C’est très regrettable. »
Le Front Polisario espère que ce sentiment prévaudra à Washington lorsque Joe Biden entrera à la Maison-Blanche le 20 janvier. Mais Mouloud Saïd insiste sur le fait que rien de ce que Trump a dit ne changera la réalité sur le terrain pour les Sahraouis.
« La République sahraouie est une réalité irréversible. C’est un État membre à part entière de l’Union africaine », affirme-t-il. Pour lui, la seule option consiste à « continuer de propager la juste cause sahraouie, avec la conviction que la République sahraouie imposera sa souveraineté sur tout son territoire ».
« L’époque où les puissances étrangères pouvaient modifier les frontières en Afrique est révolue », ajoute Mouloud Saïd.
Cela dit, l’ambassade américaine à Rabat, encouragée par la décision de Trump, a rapidement modifié la carte officiellement reconnue du Maroc pour y inclure le Sahara occidental.
Vide diplomatique
L’administration Trump est à son crépuscule et tous les Sahraouis scrutent des signaux sur la façon dont l’équipe de Biden gérera la situation.
À ces tensions s’ajoute la désintégration du cessez-le-feu en vigueur depuis 30 ans au Sahara occidental, survenue le mois dernier après une opération militaire marocaine à Guerguerat qui a incité le Front Polisario à déclarer la fin de la trêve.
Au milieu de ces questions se trouve un vide diplomatique : le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, n’a pas encore choisi d’envoyé spécial pour assurer la médiation entre le Maroc et le Front Polisario, une absence ressentie avec d’autant plus d’acuité depuis que les hostilités ont éclaté entre les deux pays.
Tous ces facteurs laissent l’équipe de Biden dans un bourbier dont il sera difficile de se sortir, si tant est qu’elle veuille s’engager.
Tous ces facteurs laissent l’équipe de Biden dans un bourbier dont il sera difficile de se sortir, si tant est qu’elle veuille s’engager
En ce qui concerne le Sahara occidental, les États-Unis ont joué un rôle historiquement décisif de « porte-plume » dans la plupart des résolutions récentes du Conseil de sécurité de l’ONU.
Selon Mouloud Saïd, « la déclaration de Trump exclut automatiquement un membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU de tout rôle dans la recherche d’une solution ». Une situation qu’il déplore.
« Il est évident que le monde voit les États-Unis comme le symbole de la démocratie et de l’État de droit et non celui d’un pays qui, à l’inverse, met à mal les deux piliers de sa fondation », soutient-il.
Dans les faits, la déclaration de Trump a mis le Sahara occidental sous le feu des projecteurs à un moment crucial où la branche armée du Front Polisario continue d’organiser des attaques contre le mur marocain, une berme de 2 700 km de long qui divise le territoire.
Interrogé par MEE, Sidi Wakal, secrétaire général du ministère sahraoui de la Sécurité, indique qu’il faut s’attendre à ce que les attaques continuent jusqu’à ce que la souveraineté nationale soit établie sur tout le Sahara occidental.
« L’Armée royale du Maroc a commis une nouvelle erreur, comme en 1975, et s’est engagée dans une guerre sans s’attendre à une réponse aussi rapide et puissante de l’armée populaire de libération sahraouie, ce qui a obligé le régime marocain à jouer sa dernière carte, la plus sale, en troquant la normalisation de ses relations avec Israël contre un tweet d’un président sortant », affirme-t-il.
« L’armée populaire de libération sahraouie s’est engagée dans une guerre à grande échelle contre les envahisseurs de l’armée royale du Maroc. Cette guerre va se développer et s’étendre de manière à répondre aux revendications sur le terrain. »
Le Front Polisario semble toutefois fonder la majeure partie de ses espoirs sur la présidence Biden qui se profile à l’horizon.
« Nous espérons simplement que l’administration Biden défera cette violation historique du droit international », indique Mouloud Saïd. « Les États-Unis ne méritent pas d’être liés à une telle action. Nous espérons qu’ils seront plus sensibles à la liberté, à la démocratie et au droit fondamental de l’homme à l’autodétermination. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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