Emmanuel Macron isolé par le COVID-19, pas de cadeau pour le Liban
Malgré les difficultés du dossier libanais et l’absence de réformes, la France reste au chevet du Liban. Mais pourquoi s’obstine-t-elle à vouloir sauver une classe politique impopulaire et jugée incompétente pour la gouvernance du pays ?
À l’instar de ses deux précédents déplacements au pays du Cèdre, Emmanuel Macron maintient sa feuille de route et sa volonté d’imposer un gouvernement de spécialistes pour la gestion de la crise, même si le COVID-19 l’empêche de s’y rendre comme prévu cette semaine pour une troisième visite.
Or, le président français a, semble-t-il, sous-estimé les embûches du confessionnalisme libanais. Au Liban, on ne peut pas parler d’une seule voix. Lors de sa dernière venue, en septembre, il a voulu rassembler tous les partis politiques avec pour mission la constitution d’un nouveau gouvernement.
Il a même sermonné les dirigeants politiques libanais, selon lui responsables de cette crise et les a sommés de mettre de côté leurs mésententes (dossier syrien, contentieux avec Israël, armes du Hezbollah…).
Mais là réside le problème au Liban : les mésententes sont viscérales et la cohésion des élites politiques est plus que jamais utopique.
Après son ultimatum infructueux, Emmanuel Macron devait donc se rendre au Liban avec d’autres intentions.
Il souhaitait s’entretenir avec des membres de la société civile. C’était une manière de dire à la classe politique libanaise qu’elle n’est plus la seule représentante du peuple libanais.
Il était également prévu que le président français se déplace à Naqoura au Sud-Liban où se trouve le siège de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL).
En s’immisçant dans les affaires libanaises, la France avance en terrain miné. L’imposition des réformes, l’audit de la banque centrale du Liban, le poids militaro-politique du Hezbollah et les tensions frontalières avec Israël, tous ces dossiers laissent penser que la France n’a pas les moyens de ses ambitions au Liban.
Les fractures traditionnelles persistent
Le Liban s’enfonce dans une crise sans précédent, prélude à de nombreuses tensions sociales. Les manifestations d’octobre 2019 en étaient les premières conséquences visibles. Depuis, rien n’a véritablement changé. Pire, la situation s’est aggravée.
Malgré l’essoufflement de la colère populaire, les principaux partis politiques souffrent toujours d’un manque de légitimité aux yeux de la communauté internationale.
Saad Hariri est de nouveau nommé Premier ministre en dépit de sa démission le 29 octobre 2019. Sa nomination avait été approuvée et soutenue par la France. C’était un véritable pied de nez à la société civile qui s’était soulevée contre ses dirigeants.
Ce choix s’inscrivait dans le maintien des équilibres confessionnels au Liban. Saad Hariri est le représentant de la principale force sunnite du pays. La France et d’autres puissances étrangères ont tout intérêt à maintenir cet équilibre préétabli.
Chaque parti politique défend ses prérogatives. Le tandem chiite, composé du parti Amal et du Hezbollah, souhaite obtenir le ministère des Finances. Ce choix stratégique peut leur permettre de contourner les récentes sanctions américaines.
De son côté, l’opposition, constituée du Courant du futur, des Forces libanaises et du parti socialiste progressiste de Walid Joumblatt, veut limiter l’influence du parti chiite au Liban. Finalement, les fractures traditionnelles persistent et se consolident à l’aune des changements d’époque.
Les dissensions politiques ne sont pas nouvelles. Ce qui a changé, c’est la situation économique devenue déplorable. Auparavant Suisse du Moyen-Orient, aujourd’hui le pays est en défaut de paiement depuis mars.
La livre libanaise a chuté face au dollar, ce qui a provoqué une inflation exponentielle. Les salaires sont principalement versés en monnaie locale, les raffineries rationnent et les habitants peinent à se nourrir.
De surcroît, la pandémie mondiale de COVID-19 a accentué la paupérisation de plusieurs pans de la société libanaise. Plus de 50 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Ainsi, plusieurs milliers de Libanais décident de prendre la route de l’exil.
La double explosion du port de Beyrouth le 4 août a accentué la crise. Le montant des dégâts estimés avoisine les quinze milliards de dollars. Ce sordide événement a surtout mis en exergue la corruption du pays. Certains observateurs craignent, si rien ne change, la résurgence d’une nouvelle guerre civile.
Certains observateurs craignent, si rien ne change, la résurgence d’une nouvelle guerre civile
La division du Liban est consubstantielle à sa composante confessionnelle. Les différentes communautés religieuses s’alignent sur un pays étranger. Les sunnites s’alignent sur l’Arabie saoudite, la Turquie ou le Qatar, les chiites sur l’Iran et la Syrie tandis que les chrétiens comptent majoritairement sur la France.
Ce parrainage est la cause des nombreuses ingérences. La France utilise son rôle historique pour maintenir sa présence au Levant. Elle s’appuie notamment sur la communauté maronite francophile. Cette dernière voyait en Macron le sauveur, l’homme providentiel permettant au pays de sortir de la crise. Rapidement, cet espoir éphémère laissa place à la désillusion.
Malgré l’acceptation par les partis politiques libanais de l’initiative française, celle-ci n’a pas vu le jour. Pourtant, l’aide internationale est conditionnée à la mise en place d’une série de réformes économiques et monétaires. Devant ce blocage institutionnel et politique, le sort du Liban préoccupe les puissances étrangères.
Vers un isolement du Hezbollah ?
Indépendamment de la sémantique néocoloniale utilisée, le mérite du président français fut de rassembler tous les différents acteurs politiques et de les traiter sur un pied d’égalité, y compris avec le Hezbollah.
La visite d’Emmanuel Macron les 22 et 23 décembre au Liban aurait dû s’inscrire dans une logique plus coercitive et dissuasive vis-à-vis de l’élite libanaise. Il ne comptait pas y aller au nom de la France mais, au nom de l’Union européenne.
Par cette action, l’administration française souhaitait donner plus de poids et de fermeté à ses propos. Au sein même de l’Union européenne, plusieurs pays avaient critiqué l’initiative française et sa complaisance avec le Hezbollah, celui-ci étant placé par certains pays de l’UE sur la liste des organisations terroristes. En effet, lors de sa dernière visite au Liban, Emmanuel Macron s’était entretenu avec des cadres du parti.
Après la nouvelle série de sanctions américaines visant des personnalités politiques libanaises proches du Hezbollah à l’instar de Gebran Bassil (gendre du président libanais Michel Aoun et chef du parti chrétien le Courant patriotique libre) et de Ali Hassan Khalil (membre d’Amal), l’Union européenne va vraisemblablement accentuer la pression sur le parti pro-iranien.
De plus, le président français accuse le Hezbollah, à tort ou à raison, d’être responsable de l’immobilisme politique et prévient les dirigeants libanais qu’en cas de non formation d’un gouvernement, la France pourrait imposer des sanctions.
Si la France adopte une posture proche de celle de Washington, qui vise à isoler le Hezbollah, il est fort à parier qu’elle échouera dans son initiative.
Comme à son accoutumée, la venue d’Emmanuel Macron au Liban aurait été très suivie et commentée. Ses propos auraient été analysés et décortiqués. L’arrivée de la délégation française attisait aussi bien les craintes, les passions que l’indifférence. Désabusés, les Libanais n’attendent plus grand chose d’un dirigeant extérieur, même à la veille de Noël…
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