L’inclusion d’Israël dans le CENTCOM accroît les perspectives d’un nouvel embrasement du Moyen-Orient
Sans la pompe habituelle associée à ce type de décision historique, le Pentagone a annoncé le mois dernier une réorganisation majeure afin d’inclure Israël – pour la première fois – dans son commandement militaire au Moyen-Orient avec les pays arabes.
Jusqu’à présent, Israël faisait partie du commandement militaire américain en Europe, ou EUCOM, plutôt que du commandement moyen-oriental connu sous le nom de Central Command ou CENTCOM. Oubliée la sagesse traditionnelle selon laquelle l’inclusion d’Israël dans le CENTCOM accroîtrait les frictions entre les États-Unis et les États arabes, et rendrait ces derniers réticents à partager des renseignements ou à coopérer avec le Pentagone.
Ces inquiétudes s’étaient fait particulièrement ressentir lorsque les troupes américaines en Irak et en Afghanistan étaient nombreuses. En 2010, David Petraeus, alors commandant du CENTCOM, avait exprimé ses craintes quant au fait que les forces américaines stationnées dans la région pourraient payer le prix d’une collusion militaire trop ouverte avec Israël.
Cependant, depuis longtemps, Israël avait pour objectif de forcer le Pentagone à restructurer le CENTCOM, et les lobbys pro-Israël à Washington ont fait monter la pression durant les derniers mois de l’administration Trump. Cette décision ressemblait beaucoup à un « cadeau de départ » à Israël de la part du président américain sortant.
Normalisation militaire
Israël n’a pas encore été officiellement transféré au CENTCOM mais cette initiative a été cimentée fin janvier par la première visite en Israël du général Kenneth McKenzie, actuel directeur du CENTCOM depuis l’arrivée de Joe Biden à la Maison-Blanche. Avec le chef d’État-major de l’armée israélienne, Aviv Kochavi, McKenzie a planté un arbre – officiellement pour célébrer la fête juive de Tou Bichvat, mais symboliquement pour marquer une nouvelle ère de leur partenariat stratégique.
Cette décision d’inclure Israël au sein de CENTCOM est plutôt considérée – du point de vue de Washington – comme l’apogée des efforts visant à encourager les États arabes à une « normalisation » publique avec Israël
Le 29 janvier, après une réunion avec le général américain, le ministre israélien de la Défense Benny Gantz a publié un communiqué saluant la réorganisation du Pentagone, affirmant que cela « offrirait à Israël l’occasion d’approfondir sa coopération avec ses nouveaux partenaires régionaux et d’élargir ses horizons opérationnels ».
Cette décision d’inclure Israël au sein du Commandement militaire américain au Moyen-Orient est plutôt considérée – du point de vue de Washington – comme l’apogée des efforts visant à encourager les États arabes à une « normalisation » publique avec Israël.
On peut désormais ajouter la normalisation militaire à la normalisation politique, diplomatique et économique qui a officiellement débuté en septembre dernier lorsque deux États du Golfe – les Émirats arabes unis (EAU) et Bahreïn – ont signé les accords d’Abraham avec Israël. Le Maroc et le Soudan ont également annoncé leurs propres accords de paix avec Israël, et d’autres États arabes vont certainement leur emboîter le pas une fois que les choses se seront tassées avec la nouvelle administration Biden.
Depuis la signature des accords d’Abraham, les EAU forgent de solides relations commerciales avec Israël et ont contribué à créer le « Fond Abraham », conçu pour financer les infrastructures d’occupation qu’Israël utilise pour priver les Palestiniens d’un État. Lorsque les vols à destination de Dubaï ont été lancés en novembre, les touristes israéliens ont afflué aux Émirats pour tirer avantage des nouvelles relations amicales et échapper au confinement en Israël.
En fait, selon de nombreuses informations, ces visites sont le principal vecteur d’importation des nouveaux variants du COVID-19 en Israël. Fin janvier, Israël a fermé ses frontières – hormis pour le général McKenzie – afin de garder la main sur le virus.
Confiance accrue
À première vue, le désir d’Israël d’intégrer CENTCOM – une espèce d’OTAN moyen-oriental couvrant plusieurs États arabes avec lesquels Israël a toujours des relations hostiles – semble contre-intuitif. Mais en réalité, Israël va obtenir des gains stratégiques majeurs.
Les intérêts américains en matière de sécurité dans la région s’aligneront davantage avec ceux d’Israël, au détriment de ses voisins arabes. Cela aidera les efforts continus d’Israël pour réprimer les ambitions nationales des Palestiniens, avec la coopération explicite ou implicite de nombreux pays arabes. Cela accentuera les tensions politiques au sein du bloc des États arabes, l’affaiblissant d’autant plus. Par ailleurs, cela contribuera à faire monter la pression sur les États récalcitrants afin qu’ils rejoignent le large consensus contre le dernier ennemi régional significatif d’Israël : l’Iran.
L’inquiétude de longue date de Washington à propos de la présence d’Israël au CENTCOM, qui nuirait aux relations américaines avec les pays arabes, a apparemment disparu, ce qui est lourd de conséquences.
Autrefois, les États-Unis prenaient soin de se tenir à distance d’Israël dès que le Pentagone était profondément enlisé dans la région, que ce soit dans la guerre du Golfe en 1990 ou lors de l’invasion et de l’occupation de l’Irak en 2003. Ces considérations ne semblent plus d’actualité.
Cette initiative démontre la confiance accrue des Américains envers le fait que les États arabes – du moins ceux qui comptent pour Washington – ne sont pas perturbés par le fait d’être vus en train d’accepter un arrangement militaire avec Israël, en plus d’un engagement politique et économique. Cela souligne le fait que les riches États pétroliers du Golfe, avec Israël, sont désormais les facteurs clés de la politique étrangère américaine dans la région et suggère que le plus important d’entre eux, l’Arabie saoudite, attend le bon moment pour signer son propre accord avec Israël.
Sortir de l’ombre
On s’attend à ce qu’Israël poursuive ses exercices militaires en Europe avec les pays de l’OTAN, mais il sera bientôt capable de construire des relations directes similaires avec les armées arabes, en particulier celles qui s’étendent rapidement et se professionnalisent dans le Golfe grâce à sa richesse pétrolière.
Il est probable que les officiers israéliens sortiront bientôt de l’ombre et formeront et conseilleront publiquement les armées émiratie et saoudienne dans le cadre de leur rôle conjoint au CENTCOM. L’expertise particulière d’Israël, s’appuyant sur des décennies de surveillance, de contrôle et d’oppression des Palestiniens, sera particulièrement recherchée par les États du Golfe, qui craignent la dissidence ou les soulèvements internes.
Comme l’universitaire israélien Jeff Halper l’a noté, Israël a démontré à quel point il traduisait efficacement ses relations sécuritaires et militaires avec les armées et les forces de police du monde entier en soutien diplomatique dans les institutions internationales.
Il en ira sûrement de même avec le Moyen-Orient. Une fois qu’Israël sera devenu le pilier des armées plus professionnelles de la région, ces États dépendants de son aide pourraient abandonner encore davantage la cause palestinienne.
Diviser pour mieux régner
Un autre retour sur investissement pour Israël sera de compliquer les relations de Washington avec la région arabe.
Non seulement le CENTCOM opère des bases majeures dans le Golfe, en particulier à Bahreïn et au Qatar, mais il mène la soi-disant « guerre contre le terrorisme » avec des opérations ouvertes ou secrètes dans plusieurs États arabes, notamment l’Irak et la Syrie.
Avec Israël au sein du CENTCOM, les États-Unis et leurs pays arabes préférés sont aussi davantage susceptibles d’être impliqués plus directement dans les opérations militaires israéliennes majeures contre les Palestiniens, telles que les « guerres » répétées contre Gaza
Il sera plus compliqué pour les États-Unis de se désengager des opérations ouvertement bellicistes d’Israël, notamment les frappes aériennes dans ces deux pays, lesquelles sont menées en violation flagrante du droit international. Par le passé, les tensions entre les États-Unis et Bagdad se sont accrues en raison des frappes aériennes israéliennes en Irak, avec la menace de limiter l’accès des Américains à l’espace aérien irakien.
Avec Israël au sein du CENTCOM, les États-Unis et leurs pays arabes préférés sont aussi davantage susceptibles d’être impliqués plus directement dans les opérations militaires israéliennes majeures contre les Palestiniens, telles que les « guerres » répétées contre Gaza.
Cela constituera un défi certain pour les institutions de coopération dans la région, notamment la Ligue arabe. Il est presque certain que cela creusera une faille encore plus profonde entre les États arabes pro-Washington et ceux accusés d’être du mauvais côté de la « guerre contre le terrorisme ».
Le résultat pourrait être une politique régionale du diviser pour mieux régner cultivée par Israël – cela refléterait les divisions particulièrement handicapantes qu’Israël génère depuis longtemps entre les dirigeants palestiniens, dont l’exemple le plus flagrant est celle entre le Fatah et le Hamas.
Front contre l’Iran
Le plus grand bonus pour Israël sera une alliance plus officielle avec les États arabes contre l’Iran et un plus grand rassemblement d’États plus ambivalents dans l’orbite d’Israël.
Il semble que c’était là l’objectif de la récente réconciliation très médiatisée entre les EAU et l’Arabie saoudite d’un côté et le Qatar de l’autre, accomplie dans les derniers jours de l’administration Trump. L’une des principales causes de ce long blocus du Qatar était liée à l’insistance de Doha à maintenir des relations économiques et politiques avec Téhéran.
L’objectif d’Israël est de contraindre l’administration Biden à poursuivre la politique anti-iranienne belliciste de Trump, ses sanctions agressives, ses assassinats et sa sortie de l’accord sur le nucléaire signé par Barack Obama avec Téhéran en 2015. Cet accord avait donné aux inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) un accès à l’Iran pour s’assurer qu’il ne développe pas de bombe nucléaire susceptible de neutraliser l’influence stratégique que tire Israël de son arsenal nucléaire.
Une fois qu’Israël sera devenu le pilier des armées plus professionnelles de la région, ces États dépendants de son aide pourraient abandonner encore davantage la cause palestinienne
Au sein du CENTCOM, Israël pourra travailler plus étroitement avec ses alliés du Golfe pour saboter tous les efforts à Washington visant à ranimer cet accord. Ce point a été souligné lorsque deux ministres du Golfe ont récemment assisté à une conférence de sécurité en ligne organisé par l’université de Tel Aviv.
Lors de cette conférence, Aviv Kochavi, le chef d’État-major de l’armée israélienne, s’est opposé publiquement aux déclarations récentes de Biden concernant son souhait de revenir à l’accord sur le nucléaire. Kochavi a qualifié cet accord de « mauvais sur le plan stratégique et opérationnel », affirmant que l’Iran lancerait des missiles nucléaires sur Israël dès qu’il les aurait fabriqués et déclarant qu’une attaque par Israël devait « être une option sur la table ».
Le ministre des Affaires étrangères de Bahreïn, Abdellatif al-Zayani, a fait observer qu’Israël et les États du Golfe auraient de meilleures chances de prévenir toute conciliation américaine à l’égard de l’Iran s’ils parlaient d’une « voix unie ». Il a ajouté : « Une position régionale commune sur ces sujets exercera une plus grande influence sur les États-Unis. »
Anwar Gargash, le ministre émirati des Affaires étrangères, a abondé en ce sens.
Le croquemitaine du Moyen-Orient
Signe que l’administration Biden craint déjà d’affronter une grande alliance moyen-orientale contre l’Iran, le secrétaire d’État choisi par le nouveau président, Antony Blinken, a déclaré le mois dernier qu’il était d’une « importance vitale » de consulter Israël et les États du Golfe avant de revenir à l’accord sur le nucléaire.
Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, voulant désespérément accroître ses chances électorales et détourner l’attention de son procès pour corruption, a toutes les raisons de s’engouffrer dans la faille.
S’assurer que l’Iran reste le croquemitaine numéro un du Moyen-Orient – concentrant l’hostilité de l’Occident – est dans l’intérêt d’Israël, qui n’a pas l’intention de mettre fin à ses décennies d’obstruction à la création d’un État palestinien. C’est aussi dans l’intérêt des pays du Golfe, qui n’ont pas la moindre intention de mettre fin à leurs propres atteintes aux droits de l’homme et à la promotion des dissensions dans le monde musulman.
Mike Pompeo, le secrétaire d’État sortant de Trump, a semé le mois dernier une mine destinée à servir les intérêts saoudiens et israéliens en soulignant le fait qu’un certain nombre de dirigeants d’al-Qaïda avaient trouvé refuge en Iran. Cela fait écho aux allégations de l’administration Bush – dans ce cas, totalement fantaisistes – de liens entre al-Qaïda et Saddam Hussein qui, avec les armes de destruction massive non existantes, ont servi de prétexte à l’invasion et l’occupation de l’Irak en 2003.
Avec l’arrivée d’Israël au sein du CENTCOM, le lobbying pour une répétition de cette bourde catastrophique ne peut qu’augmenter – et ainsi, les perspectives d’un nouvel embrasement du Moyen-Orient.
- Jonathan Cook est un journaliste britannique basé à Nazareth depuis 2001. Il a écrit trois ouvrages sur le conflit israélo-palestinien. Il a remporté le prix spécial de journalisme Martha Gellhorn. Son site Web et son blog sont disponibles à l’adresse : www.jonathan-cook.net
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Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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