En Syrie, l’armée russe recherche la dépouille du célèbre espion israélien Eli Cohen
Il y a quelques années, et après plusieurs sollicitations adressées au président syrien par Nadia Cohen, veuve du célèbre espion israélien Eli Cohen, une réponse lapidaire est venue de Damas concernant le rapatriement de la dépouille de l’agent du Mossad : « Quand viendra le temps opportun. »
Il semble bien que le « temps opportun » soit arrivé : depuis plusieurs semaines, Moscou a demandé à ses troupes stationnées en Syrie d’entamer des recherches, notamment dans le camp palestinien de Yarmouk, au sud de Damas, pour retrouver la tombe de l’espion pendu sur une place publique de la capitale syrienne le 18 mai 1965.
« L’espion israélien Eli Cohen a été pendu mardi peu avant l’aube [à 3 h, heure locale] sur la place Merje, située au centre de Damas. Le président et les membres du tribunal d’exception qui jugea Cohen, ainsi que le rabbin Nessim Andbo, étaient présents à l’exécution. Quelques heures avant de mourir, Cohen avait adressé une lettre à sa femme Nadia, dans laquelle il lui demande pardon, la prie de prendre soin de ses trois enfants et l’autorise à se remarier. Des milliers de Damascènes ont défilé devant la potence jusqu’à 10 h [heure locale] avant que le corps de l’espion ne soit retiré », rapporte Le Monde à l’époque.
Depuis, sa dépouille aurait changé trois fois d’emplacement, comme le raconte le quotidien londonien Rai al-Yaoum : dans une caverne à al-Dimas près de Damas, dans une grotte à Lattaquié, ou même dans le quartier résidentiel al-Mazzeh de la capitale… et au final, probablement quelque part dans le camp palestinien de Yarmouk.
« Les gouvernements syriens successifs ont à plusieurs reprises changé l’endroit de la tombe après les tentatives du Mossad de l’identifier. On pense que la dernière fois qu’[Eli Cohen] a été re-enterré, c’était du temps de l’ex-président Hafez al-Assad. L’opération s’était déroulée dans le secret le plus absolu et seulement trois officiers étaient au courant, tous décédés depuis, dont l’ex-ministre de la défense Mustapha Tlass. Il est fort probable que l’actuel pouvoir à Damas ne sache pas lui-même où se trouve la dépouille de l’espion israélien », explique Rai al-Yaoum.
« À vrai dire, selon la dernière évaluation du Mossad, le plus probable est que les Syriens l’ont tant de fois déplacé qu’ils ne savent plus où il est, notamment vu les bouleversements récents. Ils l’ont si bien caché qu’ils l’ont perdu… », déclarait à Libération le journaliste d’investigation Ronen Bergman.
Profitant du chaos de la guerre en Syrie depuis 2011 et de la fuite de certains hauts officiers de l’armée d’Assad, le Mossad a tenté plusieurs fois de percer le mystère. En vain.
Seule consolation : en juillet 2018, le Mossad a annoncé avoir récupéré la montre que portait Eli Cohen pour la rendre à sa famille. « Sans préciser comment, mais très vraisemblablement en la payant au prix fort auprès d’un antiquaire, certains journalistes ironisant sur cette ‘’opération eBay’’ dans un pays toujours officiellement en guerre avec Israël », rapporte Libération.
L’agent 0088 toujours introuvable
Les opérations de recherche russes dans le camp de Yarmouk, qui ont repris début février, ont un autre objectif : poursuivre les recherches pour retrouver les dépouilles de trois soldats israéliens, Zachary Baumel, Yehuda Katz et Tzvi Feldman, portés disparus depuis la bataille de Soultan Yacoub entre l’armée syrienne et l’armée israélienne dans la plaine libanaise de la Bekaa en juin 1982. Les combats avaient fait 21 morts et plus de 30 blessés côté israélien.
En 2019, la dépouille de Zachary Baumel avait été retrouvée par les troupes russes dans un cimetière dans le camp de Yarmouk. Son corps a été remis par le président russe Vladimir Poutine au Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou.
Pour le moment, la dépouille de l’illustre espion, élevé au rang de héros en Israël, n’a pas encore été trouvée.
Eli Cohen, ou l’agent 0088, avait réussi à infiltrer – sous une fausse identité, Kamel Thabet, un riche et festif exilé de retour à Damas – les plus hautes sphères du pouvoir syrien entre 1961 et 1965, et aurait influé, via les précieux renseignements qu’il envoyait à ses chefs du Mossad, sur le cours de la guerre des Six Jours et l’occupation par Israël du Golan.
L’agent secret a surtout réussi à dévoiler le projet syrien de détournement du cours du Jourdain pour priver Israël de sa principale ressource en eau.
En plus de ses relations haut placées, qu’il invitait à des soirées alcoolisées à son domicile, Eli Cohen animait même une émission à la radio pour la diaspora syrienne. La rumeur à Damas le donnait même… futur ministre de la Défense !
En 2019, Netflix a diffusé une série retraçant son parcours, The Spy.
Interrogée par des médias israéliens sur la possibilité de rapatriement du corps de son père, la fille de l’espion, Sophie Ben-Dor, a répondu : « Je pense que tant que Bachar al-Assad sera au pouvoir, je n’entendrai pas le mot ‘‘progrès’’. »
La veuve d’Eli Cohen, Nadia, ne restreint pas ses reproches aux maîtres successifs de Damas : « Je suis très en colère contre le directeur du Mossad de l’époque pour l’avoir envoyé [en mission] la dernière fois. Mais ses successeurs n’ont pas fait la même erreur. Ils ont compris ce que signifie la vie de famille et ce que cela signifie lorsqu’une famille est détruite. »
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