« Un message d’espoir » : après avoir connu le pire sous l’EI, les chrétiens de Qaraqosh attendent le pape François
À Qaraqosh, ville à majorité chrétienne du nord de l’Irak où la communauté a été déracinée par le groupe État islamique (EI) en 2014, on se prépare à un événement qui, il y a quelques années encore, semblait inimaginable : la visite de Sa Sainteté le pape François. Il doit arriver ce vendredi en Irak pour une visite de trois jours.
Lorsque l’EI est entré dans Qaraqosh, à 30 kilomètres de Mossoul, la totalité de la population de la ville – hormis deux femmes âgées – a fui au Kurdistan irakien voisin, laissant les extrémistes armés mener une campagne de pillage et de destruction. Les églises ont été profanées, les clochers abattus, les statues détruites et les maisons des chrétiens pillées et incendiées.
À la libération par les forces irakiennes en 2016, les graffitis de l’EI entachaient les murs de la ville en ruines et déserte, tandis qu’un hall d’église utilisée comme usine de fabrication de bombes regorgeait encore de produits chimiques, de composants explosifs et d’inscriptions de l’EI.
La moitié seulement des anciens habitants de la ville étant revenue, la reconstruction s’est faite lentement et de manière parcellaire. Certaines maisons ont été rebâties et plusieurs églises restaurées, en grande partie grâce à l’aide étrangère.
Aujourd’hui, la communauté est en effervescence pour préparer la visite du pape. Les routes sont réparées à la hâte et des posters du pape sont suspendus aux réverbères de la ville.
Rouverte seulement en août 2020, l’église de l’Immaculée-Conception, la plus grande de Qaraqosh, a été rénovée. Les enfants de chœur y répètent tous les jours.
L’église avait été pillée, saccagée et incendiée par l’EI qui avait organisé un autodafé de textes religieux et de livres de chant dans la cour. Lorsque MEE a visité pour la première fois l’église en novembre 2016 après la libération, celle-ci n’était plus qu’une coquille noircie. La cour – également utilisée comme pas de tir pour l’entraînement des combattants – était jonchée de douilles et de fragments de statues brisées.
Au-dessus des mannequins criblés de balles et éparpillés au sol, les piliers de la cour avaient subi tellement d’impacts de balles que seule l’armature en métal avait résisté.
« Un véritable message d’espoir »
L’annonce de la visite inattendue du pape en Irak, pays qui a enduré deux décennies de problèmes sécuritaires, politiques et confessionnels, a réjoui la minorité chrétienne d’Irak qui espère que cette visite attirera l’attention du monde sur leur situation désespérée.
« La visite du Saint-Père constitue un véritable message d’espoir, nous ne sommes pas totalement oubliés du monde », témoigne à MEE l’archevêque chaldéen d’Erbil Bashar Warda.
Pour lui, les chrétiens qui sont toujours en Irak sont « au fond un peuple missionnaire » au regard de la perte importante de fidèles au cours des vingt dernières années. Selon les estimations, il y aurait actuellement environ 250 000 chrétiens en Irak, alors qu’ils étaient 1,5 million avant l’invasion de 2003 par les États-Unis.
Deux membres de la communauté chrétienne ont confié à MEE à différentes occasions qu’ils estiment ce nombre à moins de 200 000.
« Notre mission est de préserver un véritable témoignage chrétien en Irak. La visite du pape François peut être le roc sur lequel nous construisons cette mission », indique l’archevêque Warda.
« En ce qui concerne la situation actuelle des chrétiens et des minorités religieuses en Irak, les gens ont été tellement maltraités et persécutés qu’ils ont besoin et espèrent que la violence cessera et que la corruption des influences étrangères et les gouvernements corrompus prendront fin. »
L’agenda du pape est ambitieux : il doit se rendre au sud, où il devrait rencontrer Ali al-Sistani, la plus haute autorité religieuse chiite d’Irak, à Erbil au Kurdistan irakien, à Mossoul et à Bagdad.
« C’est avec joie et sainteté que j’apprends la visite du pape François dans mon pays et si Dieu le veut, cela entraînera des changements dans la vie des chrétiens ici et à travers le Moyen-Orient », s'enthousiasme Sinan Wadeea Eskander, 38 ans, diplômée en biochimie, actuellement mère au foyer de deux enfants. « Cela apportera un énorme soutien – non pas financier, mais spirituel et psychologique. La situation ici est terrible pour les chrétiens », ajoute-t-elle.
« Malheureusement, depuis 2003 et jusqu’à présent, il y a eu de grands déplacements de chrétiens. Nous avons également été maltraités, kidnappés, tués. Nous avons été privés de nos droits et nos maisons et terres ont été saisies. »
Une famille musulmane chiite qui loue une grande maison dans le centre de Bagdad à une famille chrétienne qui a fui à l’étranger évoque également des tentatives de spoliation. À deux occasions distinctes, des hommes armés sont venus jusqu’à la maison, en demandant qui vivait là et qui étaient les propriétaires.
« Je pense qu’ils nous ont laissé tranquilles uniquement parce que nous étions une famille musulmane, sinon je pense qu’ils se seraient emparés de toute la propriété », rapporte un membre de la famille à MEE en s’exprimant sous couvert d’anonymat.
« Le peuple originel de cette terre »
Lors d’une conférence de presse mardi, le ministre irakien de la culture Hassan Nader a décrit les chrétiens d’Irak comme « le peuple originel de cette terre », avant d’ajouter : « La visite du pape représente une étape importante pour sensibiliser le monde entier au fait que les chrétiens d’Irak font partie de la diversité culturelle d’une grande richesse dans ce pays. »
Mais le chemin vers le respect religieux mutuel, dans un pays où on apprend à certains écoliers que les chrétiens et d’autres minorités irakiennes sont des « infidèles », sera assurément long.
L’invasion américaine de 2003 a empoisonné les relations entre les sunnites et chiites, ainsi qu’avec les autres minorités qui avaient vécu côte-à-côte pendant des siècles. Près de vingt ans de sectarisme ont provoqué de gros dommages.
Pour ceux qui se sont installés à l’étranger, même après la défaite de l’EI, l’Irak offre actuellement peu de raisons de rentrer.
Pour le juriste de l’archidiocèse d’Erbil, Steven Rasche, « la situation est quasi identique à ce qu’elle était juste après l’EI », citant des villes gravement endommagées, des maisons perdues des moyens de subsistance et des économies disparues avec peu d’offres d’emploi lucratives.
Il y a deux ans à peine, lors d’une visite à Londres, l’archevêque Warda a prévenu que « la chrétienté en Irak, l’une des plus anciennes Églises sinon la plus ancienne au monde, était dangereusement proche de l’extinction », ajoutant : « Ceux d’entre nous qui restent doivent être doivent être prêts à subir le martyre. »
Reema Rafed, seule membre de sa famille à vivre encore en Irak, espère que la visite du pape François se traduira par des changements positifs pour les chrétiens d’Irak. Mais les problèmes sont profondément ancrés, admet-elle.
« Les chrétiens en Irak sont maltraités, en particulier depuis l’explosion de la cathédrale Notre-Dame-de-l’Intercession à Bagdad [attentat perpétré par des islamistes radicaux en 2010 qui a fait 58 morts et 78 blessés]. Puis il y a eu l’EI et les déplacements de masse », rapporte-t-elle à MEE.
Pour Rafed, les chrétiens d’Irak n’ont pas de représentation politique significative, ce qui constitue un autre obstacle. Ceux qui ont des postes politiques ont jusqu’à présent échoué à faire un quelconque bien aux confessions chrétiennes d’Irak.
« Nous voulons que l’Irak respecte les chrétiens… c’est une raison clé à la visite du pape, garantir que les chrétiens soient respectés et que leurs droits soient respectés », a insisté Rami Esa Saqat, 27 ans, professeur d’anglais et poète de Qaraqosh.
Les préparatifs de la ville – un groupe de femmes a notamment brodé à la main une écharpe traditionnelle pour en faire cadeau au pape François – lui ont inspiré un poème en anglais commémorant cette visite, même s’il sait qu’il ne pourra peut-être pas lui remettre en personne.
Malgré les défis qu’ils affrontent, certains chrétiens d’Irak nourrissent un optimisme tranquille vis-à-vis de l’avenir.
« Bien sûr, nous resterons ici parce que c’est notre pays et nous espérons vivre dans la paix et l’amour avec tous nos frères et sœurs irakiens de toutes les religions, et vivre unis », confie Eskander, qui a ressenti récemment un changement dans la façon dont les Irakiens voient les chrétiens.
« Cela tient peut-être à la prochaine visite papale ou parce qu’après l’EI, il y a une résurgence de l’intérêt pour notre histoire et nationalité. Désormais il y a une sorte de compréhension que nous, chrétiens assyriens, sommes le peuple originel de ce pays, nous avons le droit d’y vivre et le droit de défendre nos droits ici », relève-t-elle en ajoutant que de nombreux Irakiens lambda commencent à en parler, pas uniquement les chrétiens du pays.
« Mon message au monde, du fond de mon cœur, c’est que je voudrais que vous priiez pour mon pays blessé et pour que les choses reviennent à la normale, comme avant 2003. En fait, encore mieux qu’avant. Si Dieu le veut, la visite du pape sera une bénédiction pour tous les chrétiens d’Irak et contribuera à faire de cet espoir notre réalité. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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