Coupe du monde 2022 au Qatar : comment ses détracteurs déforment les faits sur le travail des immigrés
Tout a commencé avec le désormais célèbre article du Guardian, dont le titre laissait entendre à tort que 6 500 immigrés étaient morts au Qatar en travaillant pour la Coupe du monde en l’espace de dix ans – un cas évident d’attrape-clics basé sur des corrélations et des extrapolations qui déforment les faits.
Après avoir dénoncé cette interprétation et souligné que moins de 1 % de ces décès s’étaient produits sur les chantiers des stades de la Coupe du monde, j’ai fait l’objet d’attaques ad hominem de la part de ce qu’on ne peut qualifier que de chambre d’écho anti-Qatar, dans laquelle certains individus semblent moins intéressés par les conditions de travail des ouvriers sur le terrain, lesquelles évoluent, que par le fait d’entretenir une vieille campagne d’histoires qui se vendent bien en Europe.
Le cas du Qatar montre la valeur de la pression, des critiques et des campagnes de l’opinion publique internationale – tant qu’elles sont justes et fondées sur des faits
L’exploitation des immigrés est une caractéristique de la mondialisation : des ouvriers sous-payés dans les abattoirs en Allemagne à l’exploitation des travailleurs agricoles saisonniers aux États-Unis et en Europe, en passant par les conditions précaires des livreurs de repas pendant la pandémie de coronavirus. De la même façon, les entreprises qataries ont tiré avantage du libre flux de la main d’œuvre pour réduire les coûts aux dépens des salariés.
En 2010, l’attribution de la Coupe du monde au Qatar a eu des répercussions très positives sur l’amélioration du droit du travail et des conditions de travail dans le pays, même si les normes sociales évoluent lentement. Si le gouvernement qatari a défini des directives claires pour protéger les droits des ouvriers, les entrepreneurs et sous-traitants parviennent encore à profiter de failles dans la réglementation.
Comme en Occident, certains employeurs contournent la loi pour accroître leurs marges. Si le gouvernement a infligé plus de 7 000 amendes à des entreprises faisant fi des nouvelles règles rien que pour le dernier trimestre 2020, les poursuites judiciaires ne sont pas près de s’arrêter étant donné le nombre considérable de travailleurs immigrés dans le pays.
Le cas du Qatar montre la valeur de la pression, des critiques et des campagnes de l’opinion publique internationale – tant qu’elles sont justes et fondées sur des faits plutôt que sur un sensationnalisme jouant sur la corde sensible. Comme le reconnait l’Organisation internationale du travail (OIT), la pression publique internationale fondée sur des faits honnêtes a engendré un changement significatif au Qatar, permettant à l’émirat de passer à la vitesse supérieure dans ses réformes pour atteindre ses objectifs de développement.
Malgré cela, un petit groupe d’activistes qui gagnent leur vie en dénigrant le Qatar continue d’alimenter une chambre d’écho qui va désormais jusqu’à réclamer purement et simplement le boycott de cette Coupe du monde.
Alimenter les préjugés occidentaux
La chambre d’écho construite autour de récits qui se nourrissent mutuellement est devenue de plus en plus intolérante et allergique aux autres opinions, voire aux critiques factuelles. Elle tape de plus en plus dans les outils de la communication stratégique pour arranger les faits et propager des récits aisément assimilables par l’opinion occidentale, qui a des préjugés contre le Moyen-Orient en général et le Golfe en particulier.
En Europe surtout, beaucoup aimeraient voir les grands événements sportifs organisés uniquement dans les « pays développés », la Scandinavie étant le mètre-étalon du « développement ». Cette chambre d’écho lance des accusations « whataboutistes » quand d’autres signalent les problèmes de droits de l’homme et du travail dans d’autres pays hôtes de grands événements sportifs. Le biais de confirmation tient à distance les autres opinions, tandis que les réponses critiques engendrent souvent des attaques ad hominem.
En parallèle, rares sont ceux qui, dans cette chambre d’écho (si tant est qu’il y en ait eu), ont réclamé le boycott des récentes Coupes du monde en Afrique du Sud, au Brésil ou en Russie, ou encore celui des Jeux olympiques en Chine et en Russie – sans parler des footballeurs portant des tenues de marques qui exploitent des ateliers de misère en Asie du Sud-Est ou les graves atteintes aux droits de l’homme commises par les régimes détenant leurs clubs.
Le sport est aujourd’hui une activité mondialisée, un secteur où – pour le meilleur ou pour le pire – beaucoup ne jouent plus exclusivement selon des règles progressistes. La politisation du sport rend sélectives les campagnes pour les droits de l’homme. Viser le Qatar est pratique et à la mode, c’est bien plus aisé que d’appeler au boycott de grands événements sportifs en Chine, en Russie ou au Brésil.
Entre l’enclume et le marteau
Pendant ce temps, le gouvernement du Qatar est coincé entre l’enclume et le marteau, voulant satisfaire l’opinion publique internationale d’un côté et le lobby de l’économie locale de l’autre.
Aller jusqu’à demander un boycott de la Coupe du monde du Qatar, au détriment d’un investissement constructif, fait courir le risque que Doha finisse par céder davantage à la pression nationale qu’internationale, mettant un frein à ses actuels efforts de réforme.
Cela se ferait au détriment des travailleurs immigrés, dont le fardeau devrait être au cœur du débat, plutôt que la promotion de discours moralisateurs et le sensationnalisme attrape-clics.
- Andreas Krieg est professeur assistant au département d’études de la défense du King’s College de Londres et consultant spécialisé dans les risques stratégiques pour des gouvernements et des entreprises du Moyen-Orient. Il a récemment publié un ouvrage intitulé Socio-Political Order and Security in the Arab World.
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Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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