Pour les Algériens bloqués en France à cause du coronavirus, pas de retour au pays à l’horizon
Pour beaucoup d’Algériens résidant en France et ailleurs dans le monde, Facebook est devenu, en quelque sorte, le mur des lamentations, ou celui d’un bagne. Chaque post résonne comme le cri d’un captif qui attend désespérément de retrouver sa liberté.
« Je n’aurais jamais pensé que la France deviendrait pour moi une prison, et mon pays, une terre interdite d’accès. Cela fait exactement vingt mois que je n’ai pas revu mes parents. Ils me manquent terriblement, surtout mon père gravement malade. J’ai peur qu’il lui arrive quelque chose en mon absence », confie à Middle East Eye Melissa sur le groupe des Algériens bloqués en France à cause de la pandémie, qui rassemble environ 53 000 membres.
Pour la consoler, des compatriotes lui ont fait savoir, dans une pluie de messages, qu’elle n’était pas seule et qu’il fallait « garder espoir » et « avoir foi en Dieu ».
« C’est la deuxième année que je ne passe pas le mois de Ramadan avec ma famille en Algérie. Ma mère a pleuré hier au téléphone en me confiant avoir rangé ma chambre et constaté que je ne l’ai pas occupée depuis longtemps. Nous n’avons pas le choix. Il faut patienter en espérant que les choses s’arrangeront », lui a répondu Rafik.
Sur Messenger, le jeune architecte établi à Paris depuis une dizaine d’années est moins optimiste.
Depuis la décision de l’Algérie de fermer ses frontières pour cause de coronavirus le 17 mars 2020, il n’est plus le même. « Je regrette souvent maintenant d’avoir quitté l’Algérie. Chaque jour qui passe loin de ma famille et de mon pays est insupportable », témoigne-t-il à MEE, en proie à la nostalgie.
Pour meubler ses moments de solitude, Rafik publie sur Facebook de vieilles cartes postales d’Alger, sa ville natale. Il y a des photos du port, des bâtiments blancs qui encerclent la baie et puis celles des badauds qui déambulent dans les rues sans masque sur le visage.
La réouverture des frontières exclue à cause des variants
« C’était une autre époque. Avant le COVID », constate l’architecte, qui reproche néanmoins à l’État algérien d’exagérer le risque sanitaire pour tenir les Algériens de la diaspora à distance de leur pays.
« Le gouvernement oublie que nous sommes des citoyens algériens et qu’à ce titre, nous avons le droit de retourner chez-nous », déplore-t-il.
Une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux au début du mois d’avril par une Algérienne résidant en Espagne qui a perdu sa sœur à Oran (Algérie) a particulièrement ému la toile.
« Pourquoi vous fermez les frontières ? Nous avons des morts. J’ai perdu ma sœur. Je n’ai pas le droit de la voir Monsieur Tebboune. Mobilisez un avion, un bateau pour que nous puissions rentrer voir nos morts », s’est insurgée l’expatriée en s’adressant au chef de l’État algérien.
Sa demande a pourtant peu de chances d’être entendue. Au cours d’un conseil des ministres tenu le 28 février, le chef de l’État Abdelmadjid Tebboune a exclu la réouverture des frontières, estimant que la situation sanitaire mondiale s’était dégradée à la suite de l’apparition de variants.
« Les plus âgés sont terrifiés à l’idée de mourir loin du pays et d’y retourner dans un cercueil »
- Miloud, président du comité de chibanis du foyer de Gennevilliers
Plus récemment, Bekkat Berkani, président de l’Ordre national des médecins et membre du conseil scientifique mis en place par le gouvernement algérien pour suivre l’évolution de l’épidémie, a confirmé cette décision, justifiée selon lui par l’augmentation du nombre des personnes contaminées par les variants.
« Si ça continue comme ça, il va falloir organiser des hargas [départs clandestins] depuis la France vers l’Algérie », plaisante Ali, qui tient une boucherie à Gennevilliers, dans le nord de la capitale parisienne. Plus sérieusement, il raconte les déboires d’un de ses clients, un vieux monsieur qui habite dans un foyer pour travailleurs immigrés.
« Il est coincé ici depuis le début de l’épidémie alors qu’il séjourne habituellement la moitié de l’année en Algérie », raconte-t-il à MEE.
À cause d’une législation française jugée discriminatoire qui les oblige à résider au moins six mois en France pour avoir droit aux soins et aux aides sociales, les retraités algériens, plus communément désignés comme des chibanis, sont les victimes silencieuses et solitaires de la crise sanitaire.
Miloud, président du comité de chibanis du foyer de Gennevilliers, raconte leur quotidien difficile, en l’absence de leurs familles. « Les plus âgés sont terrifiés à l’idée de mourir loin du pays et d’y retourner dans un cercueil », compatit le responsable, qui accuse les autorités algériennes de « livrer les pensionnaires à un sort terrible ».
Au début de la pandémie, le locataire d’un autre foyer parisien, atteint par le COVID-19, est décédé. Les autorités algériennes n’ayant pas encore autorisé à cette période le rapatriement des dépouilles des personnes décédées à cause du virus, le défunt a été enterré dans un carré musulman, sans la présence de ses proches.
Cette mesure qualifiée d’inhumaine par des familles frappées par le deuil a été par la suite supprimée. Depuis mai 2020, un décret exécutif autorise le transfert en Algérie des Algériens terrassés par le virus.
Mais les vivants n’ont toujours pas le droit de s’y rendre librement. « L’Algérie est le seul pays au monde qui interdit à ses propres ressortissants de retourner dans leurs pays », dénonce Faiza Menai, militante associative algérienne en France, très investie depuis 2019 dans le soutien au soulèvement populaire qui a conduit à la démission de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika.
L’activiste dit connaître des compatriotes venus avec un visa en France pour des soin et qui n’ont toujours pas réussi à rentrer chez eux.
Justifier d’un motif de déplacement urgent
Contrairement à d’autres pays, l’État algérien n’a pas encore complété le rapatriement de ses ressortissants bloqués à l’étranger après la fermeture des frontières. Des opérations ont été réalisées par intermittence mais elles se sont avérées très insuffisantes.
« J’ai inscrit ma mère, il y a six mois environ, sur la plateforme de rapatriement du ministère des Affaires étrangères. À ce jour, je n’ai toujours pas de nouvelles », révèle Bachir, un professeur des écoles qui habite à Paris.
Les vols de rapatriement étaient pris en charge par Air Algérie avant leur nouvelle suspension début mars. Pour contenir la colère de leur diaspora, les autorités algériennes ont mis en place à l’automne 2020 un dispositif dérogatoire qui permettait également aux expatriés de prendre l’avion sous certaines conditions.
Les concernés devaient justifier d’un motif de déplacement urgent, comme la maladie ou le décès d’un proche en Algérie, pour obtenir une autorisation de retour sur le territoire.
« Alors que des gens sont restés bloqués, comme ma mère, certains ont fait jouer leurs relations au consulat et à l’ambassade pour partir, sans raison valable »
- Bachir, professeur à Paris
« Alors que des gens sont restés bloqués, comme ma mère, certains ont fait jouer leurs relations au consulat et à l’ambassade pour partir, sans raison valable », déplore Bachir.
L’enseignant précise que certaines célébrités n’ont pas hésité à s’afficher fièrement sur les réseaux sociaux, en postant des selfies depuis l’avion ou l’Algérie.
Début avril, les réseaux sociaux se sont déchaînés après l’intervention de la ministre déléguée chargée du Sport d’élite, Salima Souakri, en faveur de l’ancien international algérien de football, Hacene Yebda, afin de lui permettre d’accompagner la dépouille de son père en Algérie.
Cette affaire a fait grand bruit car au même moment, les autorités algériennes décidaient de supprimer sans raison apparente cette autorisation pour l’ensemble des expatriés qui empruntaient les compagnies étrangères pour rapatrier leurs morts.
« Nous n’avons reçu aucune explication », affirme Boualem Metaouel, vice-consul de Créteil, dans le sud de Paris. Le diplomate fournit la même réponse à des familles qui acceptent finalement, la mort dans l’âme, de laisser partir les dépouilles de leurs proches, seuls dans l’avion.
Dans le cas d’une dame qui vient de perdre son fils de 30 ans aux États-Unis, la mesure s’est révélée complètement aberrante.
La mère de famille a été empêchée de voyager avec la dépouille alors qu’elle réside habituellement en Algérie. « Elle est venue uniquement pour veiller son fils atteint de cancer. Elle n’a rien ici, ni logement ni travail. Son mari et ses autres enfants sont en Algérie », ont expliqué des connaissances du défunt qui ont lancé une cagnotte pour prendre en charge les frais de transfert de sa dépouille.
En plus des réseaux sociaux, les expatriés algériens explorent toutes les autres pistes possibles pour exprimer leur désarroi et faire pression sur l’État algérien afin qu’il rouvre les frontières.
Lettre à l’Organisation internationale de l’aviation civile
Après avoir lancé des pétitions et organisé des rassemblements devant les consulats en France, certains ont décidé de porter l’affaire à l’international en s’adressant notamment à l’Organisation internationale de l’aviation civile (IATA).
« Chère IATA, faites quelque chose avec le gouvernement algérien. Depuis treize mois, ses propres citoyens et familles ne sont pas autorisés à quitter ou à retrouver leur pays alors que la sécurité des vols peut être assurée de plusieurs manières », a écrit un internaute sur Twitter le 14 avril.
L’organisation a répondu par le même canal en indiquant que les frontières ne pouvaient pas rester indéfiniment fermées et qu’elle continuait à exhorter l’Algérie, comme d’autre pays, à rouvrir son espace aérien.
En France, la fermeture des frontières algériennes a fait irruption dans les médias après le blocage, dans la zone internationale de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulles, de 27 ressortissants algériens en provenance du Royaume-Uni, à la fin du mois de février.
Le groupe devait faire escale à Paris avant la poursuite de son voyage vers Algérie. Sauf que les vols ont été annulés à la suite de la décision d’Alger d’interrompre son programme de rapatriement.
Vingt des voyageurs qui ont refusé de retourner en Grande-Bretagne sont restés parqués dans le terminal pendant quarante jours avant de retourner finalement en Grande-Bretagne, tandis que six sont toujours sur les lieux.
Interpellée sur ce dossier, la justice française a donné raison aux autorités algériennes et à la compagnie nationale Air Algérie, en estimant que l’urgence sanitaire ne permettait pas d’acheminer les passagers en Algérie.
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