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EXCLUSIF : Des conseillers de Kais Saied lui demandent d’instaurer une « dictature constitutionnelle »

Un document « top secret » transmis à MEE exhorte le président tunisien à promulguer l’article 80 de la Constitution lui permettant d’instaurer un état d’exception dans lequel il détiendrait tous les pouvoirs
Selon le document, Kais Saied entreprendrait « un remaniement ministériel global en ne gardant que le chef du gouvernement, mais personne d’autre » (AFP)
Selon le document, Kais Saied entreprendrait « un remaniement ministériel global en ne gardant que le chef du gouvernement, mais personne d’autre » (AFP)

Les premiers conseillers de Kais Saied ont exhorté le président tunisien à prendre le contrôle du pays au gouvernement élu, aux prises avec la pandémie de coronavirus et des dettes que le pays ne parvient pas à rembourser. 

Le plan : attirer les rivaux politiques du président vers le palais présidentiel et annoncer le coup d’État en leur présence sans leur permettre de partir. D’autres hommes politiques et hommes d’affaires importants seraient arrêtés simultanément.

Ce plan est détaillé dans un document transmis à Middle East Eye, daté du 13 mai et sur lequel figure la mention « absolument top secret ».

Il est adressé à Nadia Akacha, ministre conseillère et directrice du cabinet de Kais Saied, et explique comment le président promulguerait un article de la Constitution qui – en cas d’urgence nationale – lui donnerait le contrôle total de l’État.

Selon le document divulgué par une source à l’intérieur de la Présidence, sorti du bureau privé de Nadia Akacha, le président convoquerait une réunion urgente du Conseil de sécurité nationale dans son palais de Carthage, sous couvert de la pandémie, au sujet de la situation sécuritaire et de l’état des finances publiques du pays.

Kais Saied déclarerait alors une « dictature constitutionnelle » qui, selon les auteurs du document, est un outil pour « concentrer tous les pouvoirs entre les mains du président de la République ».

Qualifiant la situation d’« urgence nationale », le document déclare : « Dans une telle situation, c’est le rôle du président de la République de réunir tous les pouvoirs entre ses mains pour qu’il devienne le centre de l’autorité lui permettant de contrôler exclusivement... toutes les autorités qui lui donnent ce pouvoir. »

Embuscade

Kais Saied tendrait alors une embuscade aux personnes présentes – entre autres Hichem Mechichi, le chef de gouvernement, et Rached Ghannouchi, le président du Parlement et chef du parti Ennahdha – en annonçant en leur présence la promulgation de l’article 80 de la Constitution permettant au président de prendre tous les pouvoirs en cas d’urgence nationale.

Que dit cet article ? « Qu’en cas de péril imminent menaçant les institutions de la nation et la sécurité et l’indépendance du pays et entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, le président de la République peut prendre les mesures nécessitées par cette situation exceptionnelle, après consultation du chef du gouvernement et du président de l’Assemblée des représentants du peuple et après en avoir informé le président de la Cour constitutionnelle. »

« Kais Saied et son entourage ont longtemps menacé de faire appel à l’article 80, qui correspond à l’état d’exception », précise une source à MEE.

« Le problème, c’est que cet article ne peut être mis en place sans Cour constitutionnelle [qui n’est toujours pas en place, bloquée entre autres par Kais Saied]. Mais des juristes estiment aussi que l’on peut passer outre cette juridiction suprême, cela a déjà été le cas lors du décès de Béji Caïd Essebsi. »

Le document indique que Hichem Mechichi et Rached Ghannouchi ne seraient pas autorisés à quitter le palais et que ce dernier serait déconnecté du réseau internet et de toutes les lignes extérieures.

À ce moment-là, le président s’adresserait à la nation lors d’un discours télévisé en présence du chef du gouvernement et du président du Parlement pour annoncer son coup d’État.

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Le document indique ensuite que le général Khaled Yahyaoui, directeur général de la sécurité présidentielle, serait nommé ministre de l’Intérieur par intérim et que les forces armées seraient déployées « aux entrées des villes, des institutions et des installations vitales ».

Simultanément, des personnes clés seraient placées en résidence surveillée. « Du mouvement Ennahdha […] Noureddine Bhiri, Rafiq Abdel Salam, Abdelkrim Harouni, Sayed Ferjani, des députés de la coalition al-Karama, Ghazi Karoui, Sofiane Toubal, des hommes d’affaires, des conseillers de la Chefferie du gouvernement, etc. », détaille le document top secret.

Pour rendre le coup d’État populaire, le document indique que le paiement des factures d’électricité, d’eau, de téléphone, d’internet, ainsi que le remboursement des prêts bancaires et le paiement des taxes seraient suspendus pendant 30 jours, et que le prix des produits de base et du carburant serait réduit de 20 %.

Un membre du cabinet de Kais Saied, interrogé par MEE pour savoir s’il pensait que Kais Saied préparait réellement un coup d’État, a répondu : « Je ne pense pas. C’est juste une rumeur sur Facebook. En Tunisie, vous pouvez tout entendre. »

Une autre source commente : « Il se peut aussi que le document provienne d’une fausse fuite orchestrée par des proches d’Ennahdha. Dans quel intérêt ? Se fonder sur une accusation de coup d’État pour justifier une procédure de destitution, procédure qui nécessite également l’existence d’une Cour constitutionnelle. »

Le document indique également qu’une fois le chef du gouvernement et le chef du Parlement saisis par la surprise, ils seraient maintenus dans l’incertitude.

« La session se terminerait ensuite sans permettre aux participants de quitter le palais de Carthage, tout en gardant la zone du palais présidentiel, avant et après, temporairement déconnectée des réseaux de communication et d’internet », précise le document.

Hichem Mechichi neutralisé

Le plan comprend également des propositions visant à interdire à tout parlementaire recherché par les tribunaux tunisiens de quitter le pays, et à relever tous les gouverneurs affiliés à un parti politique de leurs postes.

Le président entreprendrait également « un remaniement ministériel global en ne gardant que le chef du gouvernement, mais personne d’autre ». Il serait conseillé par une multitude de comités d’urgence.

Interrogé sur les raisons pour lesquelles Kais Saied voudrait garder son chef du gouvernement tout en remplaçant tous ses ministres, une source politique tunisienne de premier plan étroitement liée à la présidence a déclaré que ce serait un moyen de le neutraliser sans avoir à le destituer immédiatement, une procédure compliquée impliquant un vote du Parlement.

Le plan était discuté par des cercles proches du président depuis avril 2021, mais ne lui avait pas été remis directement

Hichem Mechichi resterait temporairement chef du gouvernement pour éviter toute cette procédure, a expliqué notre source, qui souhaite rester anonyme.

Proche des conseillers du président, elle a également déclaré que le plan était discuté par des cercles proches du président depuis avril 2021, mais ne lui avait pas été remis directement.

Kais Saied, élu en octobre 2019, a déjà été accusé d’avoir jeté les bases d’un « coup d’État en douceur ».

En avril, à l’occasion du 65e anniversaire des forces de sécurité intérieure, il a décrit le président comme le « commandant suprême des forces armées militaires et civiles » lors d’un discours auquel ont assisté à la fois Hichem Mechichi et Rached Ghannouchi.

« Le principe est qu’il n’y ait pas de distinction. La loi, tous les textes du monde et le code des contrats et des obligations le mentionnent. Les forces armées sont les forces militaires et les forces de sécurité », a souligné le chef de l’État dans son allocution prononcée à cette occasion.

Le fait qu’il ait mentionné de manière spécifique la suprématie du président sur les forces de sécurité intérieure avait sonné l’alarme au sein de l’establishment politique tunisien.

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Le mois dernier, Kais Saied a également bloqué les tentatives parlementaires de créer une Cour constitutionnelle, un élément clé de la révolution tunisienne, au rôle tampon, qui vise à renforcer la démocratie tunisienne.

La cour aurait été la première du genre dans le monde arabe.

Fin avril, Ennahdha a accusé Kais Saied d’entraver le processus démocratique et d’avoir des tendances « autoritaires ». Sa déclaration sur les forces armées « est une violation de la Constitution et des lois du pays », a réagi le parti dans un communiqué, en reprochant aussi au président d’empiéter sur les « prérogatives du chef du gouvernement » Hichem Mechichi, en « violation du système politique ».

Ennahdha a dénoncé « la tendance autoritaire du chef de l’État » et appelé « les forces démocratiques à la rejeter […] et à mettre en place la Cour constitutionnelle », clé de voûte des institutions démocratiques notamment chargée de trancher en cas de conflit de pouvoir.

Le mouvement islamo-conservateur a enfin accusé le président d’entraver la mise en place de la Cour constitutionnelle, l’appelant à « arrêter toute tentative de bloquer les rouages de l’État ».

En janvier, Kais Saied a également refusé de prêter serment devant les ministres choisis par Mechichi lors d’un remaniement ministériel, affirmant que les personnes en question étaient impliquées dans des affaires de corruption et des conflits d’intérêts.

Selon une source politique, « la seule solution est le dialogue. Le président Kais rejette toutes les initiatives de dialogue... Son projet était de modifier la Constitution et d’annuler les élections législatives. »

Traduit de l’anglais (original).

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