La Coupe arabe de la FIFA, un tacle à l’Arabie saoudite
Note de la rédaction : cet article de Nazim Bessol, correspondant pour Middle East Eye, a été récompensé par les AIPS Sport Media Awards dimanche 12 juin à Doha.
« Nous sommes ravis que 22 équipes du monde arabe aient accepté de participer à la Coupe arabe de la FIFA 2021 [du 1er au 18 décembre], qui aura lieu dans les stades de la prochaine Coupe du monde, et nous sommes impatients de voir les meilleures équipes de la région s’affronter pour le titre », expliquait en novembre 2020 le président de la Fédération internationale de football (FIFA) à partir du chantier du stade Lusail, au Qatar, qui abritera la finale de la Coupe du monde, le 18 décembre 2022.
L’occasion de marquer l’entrée de l’émirat dans l’ultime ligne droite et lancer le compte à rebours des 365 jours avant la première Coupe du monde de la FIFA organisée par un pays arabe dans une région où, jusque-là, le football n’avait pas beaucoup de place.
« Grâce au football, ce tournoi réunira plus de 450 millions de personnes de toute la région et contribuera, à n’en pas douter, à y accroître l’enthousiasme alors que la toute première Coupe du monde de la FIFA organisée au Moyen-Orient et dans le monde arabe approche à grands pas », rappelait Gianni Infantino.
Une initiative saluée et appuyée par la FIFA au point que le tournoi porte le nom de « Coupe arabe de la FIFA », même si la Fédération qatarie de football (QFA), le Conseil suprême pour la remise et l’héritage (le partenaire de la FIFA au Qatar) et FIFA World Cup Qatar 2022 sont partie prenante du projet.
Une première en plus d’un siècle d’existence pour l’instance mondiale, dont les statuts ne reconnaissent aucune appartenance ethnique, religieuse ou politique. Et donc, ne reconnaît pas l’Union des associations arabes de football (UAFA), une confédération créée en 1974 qui regroupe toutes les fédérations (22) des pays membres de la Ligue arabe, à l’exception de la Somalie.
Depuis quelques temps toutefois, l’UAFA ratisse large en invitant les pays africains majoritairement musulmans.
Dans l’ombre du Qatar
Fondée au moment où le panarabisme était à son apogée, l’UAFA a depuis lors toujours été présidée par un membre de la famille royale saoudienne.
Ils sont cinq à s’être succédé à la tête de l’instance depuis la première assemblée constitutive de Tripoli (Libye) en 1974.
De Faisal bin Fahd, fils aîné du roi Fahd, à Abdelaziz ben Turki al-Fayçal, élu par acclamation le 17 juin, l’UAFA n’est jamais sortie du giron saoudien. Tout comme elle n’a jamais réussi à s’imposer comme une confédération, malgré les millions de dollars déboursés pour lancer ses compétitions et les luxueuses réceptions organisées périodiquement.
Malgré l’explosion des revenus générés par les droits télé, l’instance panarabe n’a jamais réussi à pérenniser ses compétitions interclubs, qui souffrent le plus souvent d’interférences extra-sportives
Si elle a pu à ses débuts (avant l’émergence du football moderne) organiser des tournois regroupant les sélections nationales et mobiliser notamment autour de la question palestinienne, l’UAFA a été mise « en sommeil » durant plusieurs années par l’instauration du calendrier international de la FIFA et par son propre manque de projets et de vision claire.
Et malgré l’explosion des revenus générés par les droits télé, l’instance panarabe n’a jamais réussi à pérenniser ses compétitions interclubs, qui souffrent le plus souvent d’interférences extra-sportives.
Contrairement à « sa petite sœur », la Coupe du golfe arabe, une compétition qui regroupe tous les deux ans, depuis 1970, les sélections des pays du golfe Persique auxquelles s’ajoutent le Yémen et l’Irak, la Coupe arabe des nations, antérieure à la création de l’UAFA, n’a pour sa part pas connu la même régularité.
Seulement sept éditions ont eu lieu entre 1982 et 2012 à raison d’un tournoi tous les trois ans pour les quatre premières coupes gérées par l’UAFA, avant qu’elle ne marque une pose de six ans pour réapparaître au Qatar en 1998.
Le Koweït a accueilli l’édition 2002 avant une nouvelle éclipse de dix ans et le sacre du Maroc en Arabie saoudite en 2012.
Mais depuis que la Coupe du monde 2022 a élu domicile au Qatar et la crise diplomatique entre le royaume saoudien et l’émirat gazier, l’Arabie saoudite, par le biais de l’UAFA, tente de se trouver une place sur l’échiquier régional du football alors que tous les regards sont braqués sur le Qatar.
Ainsi, l’Union des associations arabes de football a sorti le carnet de chèque et augmenté substantiellement les prize money (prix en argent) de sa compétition vitrine, la Ligue des champions arabe. Elle a mis sur la table, avant la pandémie de COVID-19, un chèque de cinq millions de dollars pour le vainqueur (soit 500 000 dollars de plus que le vainqueur de la Coupe d’Afrique des nations, organisée par la Confédération africaine de football).
Enfin, elle a multiplié les initiatives et les projets, notamment la relance des compétitions de jeunes dont celle des moins de 20 ans, qui se déroule en Égypte – la finale qui s’est tenue hier soir a consacré l’Arabie saoudite – , et le développement du football féminin.
L’équilibrisme de la FIFA
Cependant, l’Union des associations arabes de football n’aura, lors de la prochaine Coupe arabe de la FIFA au Qatar, aucun rôle.
La compétition est la propriété exclusive de la FIFA. Elle sera l’occasion pour le pays hôte de la prochaine Coupe du monde de tester ses infrastructures, son organisation et son personnel, à un an du coup d’envoi de la grande messe du football mondial, comme l’expliquait d’ailleurs le président de la Fédération qatarie de football, cheikh Hamad ben Khalifa ben Ahmed al-Thani.
« À seulement un an de ce qui sera la première Coupe du monde de football organisée dans la région, nous invitons nos amis du Moyen-Orient et du monde arabe à nous rejoindre pour cet événement qui s’annonce comme une étape importante et un test grandeur nature pour nos préparatifs », indiquait le président de la QFA aux médias locaux.
D’ailleurs, aucune référence n’a été faite à l’UAFA, ni durant le tirage au sort qui a eu lieu à Doha au mois d’avril, ni pendant les matchs barrage disputés la semaine dernière dans la capitale du Qatar.
Le logo de l’instance panarabe qui d’habitude orne fièrement les multiples supports de communication est invisible. Mais pour préserver les apparences et surtout éviter de froisser quiconque, la FIFA a fait valoir la traditionnelle neutralité helvétique.
Au Qatar, l’organisation du premier tournoi arabe reconnu par la FIFA offre à l’UAFA la possibilité d’envoyer son personnel à Doha durant la compétition pour s’imprégner des standards de l’instance mondiale dans l’organisation de grands événements. Un rôle d’équilibriste dont seul le président de la FIFA, Gianni Infantino, et son staff ont la maîtrise et le secret.
L’instance dirigée par l’Italo-Suisse a dû aussi faire preuve de beaucoup de finesse et de diplomatie pour rapprocher les deux voisins, l’Arabie saoudite et le Qatar, qui sortent tout juste d’une longue crise.
Et pour rester fidèle à l’esprit de ses statuts, l’instance zurichoise préfère mettre l’accent sur le caractère régional de la compétition. Elle a d’ailleurs adressé une invitation au Soudan du Sud, un des derniers pays reconnus par la communauté internationale et qui n’est pas membre de la Ligue arabe, contrairement à tous les autres. Qui a dit que la FIFA ne faisait pas de politique ?
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