Cannes 2021 : jeunesses énergiques, familles en péril et déracinements dans les cinémas arabes
Depuis quelques années, une certaine diversité gagne les contenus des sélections officielles et parallèles du Festival de Cannes, permettant à des cinématographies pas toujours (re)connues de se montrer sur la scène internationale et à leurs réalisateurs de poursuivre plus solidement leurs carrières.
Si quelques sélections et prix cannois sont certes attribués dans le courant de la fin du XXe siècle à des films et cinéastes arabes (Palme d’or en 1975 pour le film algérien Chronique des années de braise de Mohammed Lakhdar-Hamina, Prix du cinquantième anniversaire en 1997 à l’Égyptien Youssef Chahine pour l’ensemble de son œuvre, etc.), il faut attendre les années 2000 pour les voir grimper.
Ce phénomène n’est pas uniquement dû à une potentielle meilleure qualité de ces cinématographies vis-à-vis des décennies précédentes, mais aussi au fait que de plus en plus de films sont produits dans ces régions, une attention particulière leur étant accordée de la part des fonds internationaux.
Par ailleurs, nombre de pays concernés vivent des bouleversements socio-politiques encourageant davantage la liberté d’expression et la création artistique.
Pour cette édition 2021 du Festival de Cannes, jusqu’au 17 juillet, de nouveaux titres arabes intègrent ainsi les différentes sections et compétitions.
Une Palme d’or pour le Maroc ?
Après avoir présenté Les Chevaux de Dieu en 2012 dans la catégorie Un certain regard puis Much Loved en 2015 à la Quinzaine des Réalisateurs, le réalisateur franco-marocain Nabil Ayouch intègre la compétition officielle et offre au Maroc la possibilité de remporter sa première Palme d’or.
Son nouveau film, Haut et fort, évoque la jeunesse marocaine sous l’angle du hip-hop, ce qui semble contraster avec les constats plus pessimistes que proposaient les derniers films d’Ayouch sur la société de ce pays.
Du côté des sections parallèles, le réalisateur libanais Ely Dagher, qui avait remporté en 2015 une Palme d’or pour son court métrage d’animation Waves ‘98, présente à la Quinzaine des Réalisateurs son premier long, Face à la mer, tourné en prise de vue réelle mais évoquant à nouveau une Beyrouth onirique et devenue étrangère aux yeux du réalisateur et de ses personnages.
La Semaine de la critique, quant à elle, met en lumière deux autres films. Le premier, Une histoire d’amour et de désir, est réalisé par la Tunisienne Leyla Bouzid, six ans après À peine j’ouvre les yeux, qui évoquait avec énergie et poésie les prémices de la révolution à travers le regard d’une jeune chanteuse arabo-rock.
Ce second long métrage se situe cette fois-ci en France, si bien qu’il est de production entièrement française. Il met en scène deux étudiants d’origine maghrébine qui, dans le contexte d’une certaine littérature arabe sensuelle et érotique qu’ils découvrent en parallèle, tombent amoureux.
L’Égyptien Omar El Zohairy, de son côté, propose avec Feathers une comédie fantastique où une femme au foyer entièrement dévouée à ses enfants et son mari voit subitement ce dernier se faire transformer en poule.
Ce premier long métrage semble prolonger la veine critique et absurde qui caractérisait déjà le précédent court du jeune cinéaste, The Aftermath Of The Inauguration Of The Public Toilet at Kilometer 375, qui fut en 2014 le premier film d’école à représenter l’Égypte à la Cinéfondation.
Notons enfin la présentation, dans le cadre de l’Association du cinéma indépendant pour sa diffusion (ACID), du film documentaire Little Palestine, journal d’un siège réalisé par le Palestinien Abdallah al-Khatib et produit par le Liban, la France et le Qatar.
Situé en pleine guerre civile syrienne, le film se présente comme un journal filmé de Palestiniens réfugiés dans un quartier de Damas, où le réalisateur a lui-même grandi.
Diaspora et familles en crise
En miroir des phénomènes migratoires et de leurs ressorts, Cannes 2021 met également en lumière des films dont les réalisateurs sont d’origine arabe.
Ainsi en est-il de Bonne Mère, en compétition dans la section Un Certain regard et réalisé par la réalisatrice française d’origine tuniso-algérienne Hafsia Herzi.
Son précédent et premier film, Tu mérites un amour, avait été présenté en séance spéciale à la Semaine de la critique 2019 et renvoyait à l’expérience qu’avait pu acquérir la jeune comédienne auprès d’Abdellatif Kechiche, qui l’a dirigée à plusieurs reprises.
Ce second long métrage raconte l’histoire d’une femme vivant à Marseille et luttant pour le bonheur de son fils, qui s’est fourvoyé dans un braquage.
Avec Feathers, les mères courage arabes semblent ainsi particulièrement représentées à Cannes 2021.
La famille est également au cœur du premier long métrage du cinéaste français d’origine marocaine Yassine Qnia, De bas étage, sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs et dont le héros, malfrat de petite envergure, tente de renouer avec la mère de son jeune fils.
Bonne Mère et De bas étage ont ainsi pour point commun de représenter la diaspora maghrébine de France sous l’angle des familles en crise.
C’est également à la Quinzaine qu’est présenté Europa, du jeune réalisateur italien d’origine irakienne Haider Rashid. Ce thriller raconte l’histoire d’un jeune Irakien tentant de gagner l’Europe et se retrouvant traqué par des adeptes de la chasse aux migrants.
Hors compétition est par ailleurs présenté le film documentaire Marinheiro das montanhas, du réalisateur brésilien d’origine algérienne Karim Aïnouz, dont deux films de fiction avaient déjà été présentés à Cannes : Madame Satã à Un certain regard en 2002 et O Abismo Prateado à la Quinzaine des Réalisateurs en 2011.
À l’instar du libanais Face à la mer, il y est à nouveau question d’exil, d’identité et de retour aux origines dans un pays devenu étranger.
Enfin, le cinéaste finlandais d’origine somalienne Khadar Ayderus Ahmed présente à Un certain regard son premier long métrage, The Gravedigger’s Wife, qu’il a tourné dans son pays d’origine et qui traite également d’une unité familiale mise à mal, contant l’histoire d’un fossoyeur qui cherche à sauver son épouse atteinte d’une grave maladie.
Cosmopolitisme grandissant
La présence arabe à Cannes 2021 se manifeste enfin par la présence de la réalisatrice franco-algérienne Mounia Meddour au jury d’Un certain regard, de la réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania et du réalisateur égyptien Sameh Alaa aux jurys des courts métrages et de la Cinéfondation, et du réalisateur syrien Orwa Nyrabia au jury de L’Œil d’or.
Tous les titres de films et noms de cinéastes évoqués dans cet article démontrent le cosmopolitisme grandissant des sélections et palmarès cannois depuis les années 2000.
Il est cependant permis de s’interroger sur les raisons et la pertinence de ces choix.
Nombre de films arabes présentés voire récompensés à Cannes s’avèrent être des produits dits « world cinema », c’est-à-dire réalisés à l’occidentale et alternant – voire mêlant – folklorisme, paternalisme, misérabilisme et manichéisme sur des sujets aussi forts que rebattus (condition de la femme, extrémisme religieux, pauvreté, etc.). Gageons que le cru 2021 changera quelque peu la donne.
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