Le Qatar accusé de ne pas enquêter sur la plupart des décès de travailleurs migrants avant la Coupe du monde
Le Qatar est accusé de ne pas enquêter sur les décès de milliers de travailleurs migrants cette dernière décennie, malgré la profusion de preuves qui montre un lien entre ces décès prématurés et les conditions de travail dangereuses.
Une enquête menée par Amnesty International a montré qu’au moins 70 % des décès entre 2010 et 2019 n’avaient pas fait l’objet d’une enquête et restaient inexpliqués, bien que le système de santé du Qatar soit en mesure de chercher les causes de ces morts.
La plupart de ces décès, en majorité parmi les ouvriers du bâtiment originaires d’Asie du Sud, entre 30 et 40 ans, ont été enregistrés comme des morts de causes naturelles – certaines familles endeuillées passent donc à côté d’indemnisations potentielles et restent avec des questions sans réponse.
La grande majorité des décès enregistrés par le Qatar ont été classés comme dus à des « maladies cardiovasculaires » – ce qui amène Amnesty à croire que Doha « dissimule un grand nombre de décès inexpliqués ».
« Quand des hommes relativement jeunes et en bonne santé meurent soudainement après de longues heures de travail par une chaleur extrême, cela incite à s’interroger sur la sécurité des conditions de travail au Qatar », indique Steve Cockburn, responsable du programme Économie et Justice sociale à Amnesty.
« En s’abstenant d’enquêter sur les causes sous-jacentes de la mort de ces travailleurs migrants, les autorités qataries ne tiennent aucun compte des signaux d’alarme qui auraient pourtant permis de sauver des vies. »
Travail par une chaleur extrême
« Il s’agit d’une violation du droit à la vie. Ils privent également des familles en deuil de leur droit de déposer un recours et leur laissent de douloureuses questions sans réponse. »
L’organisation de défense des droits de l’homme a analysé des données de sources diverses qui montrent que les statistiques qataries officielles indiquent que plus de 15 021 ressortissants étrangers sont morts au Qatar entre 2010 et 2019, indépendamment de leur âge et profession.
Amnesty a examiné dix-huit certificats de décès de travailleurs migrants délivrés par le Qatar entre 2017 et 2021 et procédé à une enquête poussée sur les décès de six travailleurs originaires du Bangladesh et du Népal.
« J’ai eu du mal à y croire quand j’ai appris son décès soudain… Mon mari a été immolé. J’ai l’impression d’être plongée dans de l’huile brûlante »
- Bipana, épouse de Tul Bahadur Gharti
Quinze des certificats analysés ne fournissaient aucune information sur les causes sous-jacentes. Y figuraient des termes comme « insuffisance cardiaque aiguë de causes naturelles », « défaillance indéterminée » et « insuffisance respiratoire aiguë à cause de causes naturelles ».
Des expressions similaires ont été utilisées sur les certificats concernant plus de la moitié des 35 décès, lesquels ont été enregistrés comme « non liés au travail » sur les installations de la Coupe du monde depuis 2015 – ce qui suggère une absence d’enquête poussée sur ces cas.
Aucune forme d’examen post-mortem n’a été proposée aux familles interrogées par Amnesty pour déterminer les causes du décès et savoir si les conditions de travail avaient contribué au décès de leur proche.
La plupart des familles ont mentionné l’absence de maladie préexistante susceptible d’avoir provoqué le décès prématuré de leur proche.
En revanche, elles ont décrit les conséquences de la chaleur extrême et des conditions difficiles auxquelles avaient été exposées leurs proches au travail, avec des températures atteignant les 39 °C ou les 40 °C avant leur décès.
Bhumisara, l’épouse de Bahadur Rana, a déclaré que son mari devait « rester assis sous le soleil pendant de longues périodes. Je pense qu’il a eu une crise cardiaque à cause de la déshydratation et de la chaleur, car à ma connaissance il n’était pas malade. »
De même, Bipana, l’épouse de Tul Bahadur Gharti, qui travaillait sur un site de construction et est mort dans son sommeil en mai 2020, rapporte qu’il est décédé après avoir travaillé pendant dix heures par des températures atteignant les 39 °C.
Elle assure : « Je ne l’ai jamais entendu mentionner la moindre maladie… J’ai eu du mal à y croire quand j’ai appris son décès soudain… Mon mari a été immolé. J’ai l’impression d’être plongée dans de l’huile brûlante. »
Middle East Eye a sollicité une réaction de la FIFA et du Qatar, mais n’avait pas obtenu de réponse au moment de la rédaction de cet article.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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