L’indignation d’Israël devant la loi polonaise sur les biens juifs volés est une farce
Une nouvelle législation approuvée il y a quelques jours par le président polonais Andrzej Duda, qui stipule que les juifs ne peuvent plus recevoir de compensation pour les biens qui leur ont été confisqués pendant l’Holocauste et sous le régime communiste en Pologne, a suscité une indignation extraordinaire de la part d’Israël.
La réponse sévère d’Israël à la législation polonaise confine au grotesque, étant donné qu’Israël a une loi très similaire, bien que beaucoup plus draconienne, appelée loi sur la propriété des absents
Le ministre israélien des Affaires étrangères Yaïr Lapid, qualifiant la loi d’« antisémite et immorale », a annoncé qu’il avait chargé le chargé d’affaires d’Israël à Varsovie, Tal Ben-Ari, de retourner en Israël pour une consultation d’une durée indéterminée ; le départ vers la Pologne du nouvel ambassadeur d’Israël, Yacov Livne, a quant à lui été suspendu.
Le ministère israélien des Affaires étrangères a également annoncé qu’il recommanderait à l’ambassadeur de Pologne en Israël de « prolonger ses vacances dans son propre pays et de ne pas retourner » en Israël.
La réponse sévère d’Israël à la législation polonaise confine au grotesque, étant donné qu’Israël a une loi très similaire, bien que beaucoup plus draconienne, appelée loi sur la propriété des absents.
Cette loi, entre autres dispositions, donne à Israël la propriété des biens des réfugiés palestiniens perdus pendant la guerre de 1948. La loi empêche non seulement le retour de ces biens aux réfugiés de 1948, mais elle est activement utilisée aujourd’hui pour continuer à exproprier les Palestiniens à Jérusalem-Est.
Les Absents
Cette loi a été votée en 1950 pour permettre au gouvernement de saisir les biens des réfugiés palestiniens en les considérant « absents ».
Les absents étaient définis comme des résidents palestiniens ou des sujets d’États arabes qui, du 29 novembre 1948 jusqu’à la fin de l’état d’urgence décrété par Israël en 1948 – qui n’a pas encore eu lieu – résidaient dans l’un des pays arabes ou « dans n’importe quelle partie de la Terre d’Israël en dehors du territoire d’Israël ».
En vertu de cette loi, toutes leurs terres et autres biens devaient être transférés à l’administrateur des biens des absents et devenir la propriété de l’État d’Israël.
Les Palestiniens qui sont devenus des réfugiés hors des frontières d’Israël à cette époque n’étaient pas les seuls à perdre ainsi leurs propriétés et leurs terres. Après la conquête et l’annexion de Jérusalem-Est en 1967, Israël a appliqué ses lois au territoire nouvellement occupé, y compris celle sur la propriété des absents.
Ainsi, les propriétés de presque tous les résidents palestiniens de la ville sont devenues des propriétés d’absents – puisque, pendant la période à laquelle la loi fait référence, ces Palestiniens étaient citoyens de Jordanie, alors État ennemi, et présents dans « une partie d’Israël hors du territoire israélien », tel que défini par la loi.
La soif de terre d’Israël
Cette situation a été perçue comme étant d’une portée excessive, même pour l’appétit israélien de terres palestiniennes.
Des familles palestiniennes des quartiers de Jérusalem-Est tels que Sheikh Jarrah et Silwan ont été expulsées de leurs maisons dans le cadre d’un processus de nettoyage ethnique insidieux
Un amendement ultérieur a limité l’application de la loi afin que les résidents physiquement présents à Jérusalem-Est à la date de son annexion ne soient pas considérés comme des absents.
Cependant, cette clause n’a pas résolu le problème des Palestiniens qui vivaient en dehors des limites municipales de Jérusalem mais possédaient des terres ou d’autres propriétés dans les limites de la ville ; ils ont continué à être considérés absents et leurs biens ont été transférés à la propriété de l’État israélien.
La soif de terre d’Israël s’est assouvie ailleurs : dans une loi de 1970, Israël a estimé que les propriétés placées sous l’autorité de l’administrateur jordanien des biens des absents avant l’annexion de Jérusalem-Est reviendraient aux propriétaires d’origine via l’administrateur général israélien.
Il s’agit de biens appartenant à des juifs avant 1948 dans une zone qui après la guerre est restée sur le territoire jordanien et qui étaient gérés par l’administrateur jordanien des biens des absents ; après la conquête et l’annexion de Jérusalem-Est par Israël, ces propriétés sont devenues, du point de vue d’Israël, une partie de son territoire souverain.
En d’autres termes, la loi israélienne permettait la restitution unilatérale de ces biens aux seuls propriétaires juifs. Sur cette base, sur une période de plusieurs années, des familles palestiniennes des quartiers de Jérusalem-Est tels que Sheikh Jarrah et Silwan ont été expulsées de leurs maisons dans le cadre d’un processus de nettoyage ethnique insidieux, et leurs maisons ont été transférées une par une aux organisations de colons les plus extrémistes.
Comme si tout cela ne suffisait pas, outre les expropriations des réfugiés de la diaspora et des résidents déplacés de Jérusalem-Est, une autre catégorie de vol a été créée : celle des « absents présents ». Ceci fait référence aux résidents palestiniens d’Israël qui ont été techniquement définis comme absents de leur terre au moment crucial, alors qu’ils étaient ailleurs.
Leurs terres et leurs maisons ont été expropriées en vertu de la loi sur la propriété des absents même si les propriétaires n’avaient jamais quitté le territoire d’Israël
Leurs terres et leurs maisons ont été expropriées en vertu de la loi sur la propriété des absents même si les propriétaires n’avaient jamais quitté le territoire d’Israël. Certains d’entre eux n’ont même jamais quitté leurs maisons, mais vivaient dans des villages qui n’étaient pas sous contrôle israélien à l’époque et qui ont été annexés à Israël plus tard, comme des parties du Triangle (au centre d’Israël) et de la Galilée. Ces Palestiniens ont été déclarés absents pour avoir résidé en « territoire ennemi » à la date décisive.
Quiconque est aujourd’hui ému par les inquiétudes d’Israël relatives aux biens des réfugiés juifs devrait se souvenir du document de position officiel soumis par le Conseil de sécurité nationale d’Israël au Premier ministre en 2012.
Le document recommande de lier la question des biens des réfugiés palestiniens à celle des biens des juifs ayant immigré en Israël depuis les pays arabes et l’Iran afin de « contraindre » toute négociation future sur les demandes palestiniennes en matière de propriété des réfugiés. En d’autres termes, les propriétés juives laissées sur place ne sont pas si sacrées que ça pour Israël si elles peuvent être utiles à des fins politiques, comme contrarier les revendications des réfugiés palestiniens.
L’hypocrisie d’Israël
Récemment, en référence à la crise diplomatique avec Israël, le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki a déclaré que la loi visait à protéger les locataires polonais vivant actuellement dans des appartements qui étaient autrement détenus par des propriétaires avant la Seconde Guerre mondiale.
Il faut une dose incroyable d’audace et d’hypocrisie de la part d’Israël pour critiquer cette loi alors que les résidents de Sheikh Jarrah et de Silwan sont expulsés de leurs maisons ou doivent se battre devant les tribunaux durant des années
« Des dizaines de milliers de personnes ont été expulsées des maisons où elles ont vécu toute leur vie – simplement parce que notre loi contenait une disposition qui permettait la restitution de terres illimitées », a déclaré Morawiecki.
« Pire, la ‘’restitution’’ était souvent faite non pas aux vrais propriétaires ou à leurs héritiers, mais à des criminels. Dans de nombreux cas, des documents ont été falsifiés ou des actes de corruption ont eu lieu, par le biais desquels des imposteurs détenant un pouvoir politique et des criminels ordinaires se sont enrichis aux dépens des victimes de la Seconde Guerre mondiale. »
Si les remarques de Morawiecki se réfèrent à la situation en Pologne, il semble décrire la situation à Sheikh Jarrah et Silwan – ici, les résidents palestiniens sont expulsés de leurs maisons où ils vivent depuis des décennies sous le prétexte de précédents droits de propriété, et la plupart du temps, les propriétaires originaux ne récupèrent pas la propriété, ce sont les colons qui s’en chargent.
Cela ne justifie pas la loi polonaise qui, comme toute autre législation bafouant les droits des réfugiés de guerre, est immorale et imparfaite. Mais il faut une dose incroyable d’audace et d’hypocrisie de la part d’Israël pour critiquer cette loi alors que les résidents de Sheikh Jarrah et de Silwan sont expulsés de leurs maisons ou doivent se battre devant les tribunaux durant des années, tandis que les réfugiés palestiniens hors de la Palestine n’ont même pas la capacité de réclamer leur propriété devant un tribunal.
Une voie plus efficace
Un dernier mot sur la farce que constitue la réponse d’Israël à la législation polonaise : lors de l’approbation de la loi par le Parlement, Lapid a déclaré qu’« Israël ne fera[it] pas un iota de compromis sur la mémoire de l’Holocauste ». Ne pas faire de compromis sur la mémoire de l’Holocauste est certainement un objectif louable.
Cependant, une voie peut-être plus efficace serait, par exemple, que le gouvernement cesse de faire ami-ami avec des dirigeants tels que Viktor Orbán, qui a mené une campagne antisémite contre le financier juif George Soros, ou que le Mémorial de la Shoah Yad Vashem cesse d’accueillir des antisémites comme le président brésilien Jair Bolsonaro, le président philippin Rodrigo Duterte, qui a, entre autres, soutenu la démolition d’écoles desservant les populations autochtones, l’ancien président de l’Assemblée législative de transition du Soudan du Sud, Anthony Lino Makana, responsable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité pendant la guerre civile soudanaise, et d’autres individus de cet acabit.
D’un point de vue moral, éthique et humanitaire, ce serait une étape incomparablement plus significative que la lutte pour la propriété des réfugiés juifs, aussi importante puisse-t-elle être.
- Orly Noy est une journaliste et activiste politique basée à Jérusalem.
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Traduit de l’anglais (original).
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