Macron piégé par le calendrier mémoriel algérien
Éviter de nouvelles sources de tension dans les relations algéro-françaises, désamorcer la crise, recoller les morceaux, et envisager ensuite le retour à une coopération bilatérale indispensable sur des sujets aussi nombreux que délicats : la partie française a déjà engagé le virage pour réparer les dégâts causés par les déclarations du président Emmanuel Macron sur l’Algérie, mais le processus risque d’être aussi long que complexe.
Après Macron lui-même, qui a engagé cette démarche en souhaitant, le 5 octobre, un « apaisement » entre les deux pays, c’est le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, qui s’y est collé.
Le Drian a déclaré que le chef de l’État français vouait un « profond respect [au] peuple algérien », et affirmé son « respect fondamental de la souveraineté algérienne ».
« Les relations entre nos deux pays, nos deux peuples, nos deux nations, sont anciennes, et marquées par des liens humains uniques », a-t-il souligné le 12 octobre devant l’Assemblée nationale.
Ces propos tranchent avec la légèreté dont avait fait preuve Emmanuel Macron, lorsqu’il avait émis des doutes sur l’existence d’une nation algérienne avant la période coloniale, et lorsqu’il avait fait état d’un conflit entre un président Tebboune supposé soucieux de vouloir réformer les institutions algériennes et un système politico-militaire « fatigué », vivant sur « une rente mémorielle » alimentée par « la haine de la France ».
Comme souvent lorsqu’il s’agit de questions de souveraineté et de mémoire, la réaction algérienne aux propos de M. Macron a été très forte : rappel de l’ambassadeur d’Algérie à Paris pour consultations, interdiction aux avions militaires français de survoler l’espace aérien algérien, et exigence d’un respect total de la souveraineté de l’Algérie comme condition à la normalisation des relations bilatérales.
Sous pression
En affirmant le « respect fondamental de la souveraineté algérienne », M. Le Drian a clairement satisfait à la demande algérienne. Dans la foulée, il a affiché sa confiance en la capacité des deux pays à surmonter la crise. « Nous sommes toujours parvenus à trouver des solutions lorsque des problèmes sont survenus », a-t-il dit.
Hasard du calendrier, la volonté française de dépasser cette crise va être rapidement testée à l’occasion de deux dates fortes dans le calendrier mémoriel algérien.
La première, dès cette semaine, à l’occasion de la commémoration du 17 octobre. La seconde dans deux semaines, à l’occasion du 1er novembre, date anniversaire du déclenchement de la guerre de libération de l’Algérie.
Le 17 octobre 1961, une manifestation d’indépendantistes algériens à Paris avait été violemment réprimée par la police française. Le bilan s’est élevé à plusieurs dizaines de morts. De nombreux corps avaient été repêchés dans la Seine.
Commettre autant d’erreurs d’appréciation dans les relations avec un partenaire aussi sensible, ça se paie cash
Quant au 1er novembre, qui donne traditionnellement une orientation à la vie politique algérienne, il sera, cette année, porteur d’une charge supplémentaire, en raison de la conjoncture délicate que représentent les tensions avec la France, mais aussi la rupture avec le Maroc, notamment.
Emmanuel Macron, qui s’est fait fort d’avancer sur la question délicate de la mémoire, est très attendu sur ces deux dates. Lui qui a chargé l’historien Benjamin Stora de présenter un rapport pour tenter de décrisper les questions de la mémoire, il ne peut se dérober.
Dans une conjoncture électorale marquée, en France, par la percée du populiste d’extrême droite Éric Zemmour – dont la famille est d’origine juive algérienne –, Macron sera donc sous pression. Ses propos seront examinés à la loupe.
Qu’il fasse des ouvertures en direction de l’Algérie – ce qui lui incombe, sa responsabilité personnelle étant engagée dans les tensions actuelles – et il sera attaqué par des rivaux qui l’accuseront de céder à la pression algérienne.
Qu’il maintienne une ligne dure, et il apparaîtra comme un président incohérent, un opportuniste utilisant la question de la mémoire pour se faire réélire.
En tout état de cause, il sera difficile à Emmanuel Maron de ne pas laisser des plumes dans cette histoire. Commettre autant d’erreurs d’appréciation dans les relations avec un partenaire aussi sensible, ça se paie cash.
Et des erreurs d’appréciation, M. Macron en a accumulées dans les relations avec l’Algérie, lui dont l’avènement au pouvoir en France apparaissait aux Algériens comme une belle promesse.
Le chef de l’État français a clairement sous-estimé la force de la réplique algérienne. Sur un ton méprisant, il a menacé les dirigeants algériens de ne plus accéder aussi facilement à leurs demandes de visas s’ils ne faisaient pas un effort dans leurs relations avec la France.
Sur d’autres sujets, il semble avoir fondé ses déclarations sur des analyses erronées, voire farfelues. Il a repris à son compte le cliché traditionnel d’une vieille élite FLN qui s’accrocherait à des attitudes désuètes, alors que la société algérienne aurait basculé dans son regard sur la France.
Cette appréciation, partagée dans certains cercles et parmi des élites algériennes et françaises, n’a pas de prolongement significatif au sein de la société. La culture politique reste, en Algérie, fortement marquée par la lutte anticoloniale, en premier lieu par la mémoire de la guerre de libération.
Conjoncture favorable aux Algériens
Le président français a par ailleurs repris la thèse absurde d’un système qui serait toujours menacé par le hirak, vaste mouvement populaire ayant conduit à la chute d’Abdelaziz Bouteflika. Cette analyse était valable en 2019. Elle ne l’est plus depuis longtemps.
Non pas que le système ait réussi à faire sa mutation, ou à se construire une forte légitimité, mais plus simplement parce que la séquence où le hirak pouvait constituer une alternative ou une menace est révolue depuis longtemps.
Autre ineptie, l’influence attribuée à la Turquie en Algérie. Cette idée revient régulièrement dans le discours français sur l’Algérie, alors qu’elle n’a aucune consistance sur le terrain
Il est d’ailleurs étonnant que des analyses aussi superficielles sur la toute-puissance du hirak, colportées sur les réseaux sociaux, puissent encore être vendues à un chef de l’État français, alors que le peuple n’est plus dans la rue depuis plus de dix-huit mois.
Autre ineptie, l’influence attribuée à la Turquie en Algérie. Cette idée revient régulièrement dans le discours français sur l’Algérie, alors qu’elle n’a aucune consistance sur le terrain.
À moins que la France ne tente simplement de transposer ses différends avec la Turquie sur d’autres terrains, espérant ainsi obtenir l’adhésion d’une Algérie francophile contre une autre Algérie, liée à la Turquie.
Ce concentré d’erreurs d’appréciation, et les décisions qui en découlent, ont laissé des traces. Emmanuel Macron sera contraint de rectifier tout cela. Et il est pressé, car les dossiers brûlants sont nombreux.
Ultime paradoxe : il est contraint de le faire selon un calendrier chargé de symboles algériens. Il ne pourra pas se soustraire à des gestes significatifs le 17 octobre et 1er novembre prochains, et ses messages seront disséqués par tout le monde, ses amis et ses rivaux français, comme par ses partenaires étrangers, en premier lieu l’Algérie.
Les dirigeants algériens, quant à eux, vont se contenter d’observer et d’attendre. La balle est totalement dans le camp français. Ils vont compter les coups, et faire monter les enchères à leur guise. D’autant plus que, pour cette fois-ci, ils sont dans le vrai, et que la conjoncture leur est favorable.
L’embellie du prix du pétrole et, surtout, celui du gaz dessert un peu l’étau économique, la pandémie de COVID-19 est en recul, et ils peuvent, sur les dossiers de la mémoire et de la souveraineté, compter sur un consensus national sans faille.
Seul bémol : Macron reste, d’un point de vue algérien, le meilleur candidat parmi ceux susceptibles d’être élus en avril prochain en France.
Sur les dossiers des Algériens installés en France, comme sur le Sahel ou la Méditerranée, il est l’interlocuteur avec lequel il y a le moins de contentieux. La question est donc simple : comment tirer le maximum de ce président-candidat sans trop hypothéquer sa réélection ?
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