Les Libyens désemparés après le report des élections
« Un revers » et « une déception » : les Libyens connaissent une nouvelle désillusion avec le report de l’élection présidentielle du 24 décembre, sur laquelle beaucoup d’entre eux formaient des espoirs d’en finir avec une décennie d’instabilité.
Après plusieurs jours de faux suspense, les autorités ont fini par confirmer mercredi que le scrutin prévu vendredi n’aurait pas lieu. Dans la foulée, la Haute Commission électorale a proposé de reporter d’un mois, au 24 janvier 2022, cette échéance cruciale dans le processus de transition parrainé par l’ONU, censé sortir le pays du chaos qui a suivi la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011.
Mais cette date doit être approuvée par le Parlement, un pari loin d’être gagné vu les rapports exécrables entre les députés, qui siègent dans l’est du pays, et les autorités de Tripoli.
Le désenchantement est d’autant plus grand que le scrutin, sans doute renvoyé aux calendes grecques, avait suscité un engouement certain chez de nombreux Libyens, quelque 2,5 millions d’entre eux, sur une population d’environ 7 millions, ayant retiré leur carte d’électeur en vue du jour J.
Attablé dans un café à Tripoli, le commerçant Nabil al-Charef, 51 ans, ne cache pas son désarroi : « J’ai reçu ma carte électorale et j’attendais cette élection, son report est pour moi un revers et une déception. »
Le report est survenu sur fond de désaccords persistants entre camps rivaux au sujet d’une élection que devaient disputer plusieurs candidats clivants.
Aucune issue n’étant en vue, Nabil al-Charef craint le pire après une relative accalmie d’un an et demi : « Je m’attends au retour de la guerre car chacune des factions sert ses propres intérêts et les opposants aux élections disposent du soutien de groupes armés », dit-il.
« Obstacle »
Une amélioration de la situation sur le terrain avait pourtant suscité des espoirs. L’échec en juin 2020 du maréchal Khalifa Haftar, l’homme fort de l’Est, à s’emparer de Tripoli après plus d’un an de combats a été suivi en octobre de la même année d’un accord de cessez-le-feu.
Des pourparlers interlibyens lancés un mois plus tard ont débouché sur un accord pour tenir une présidentielle en décembre. Et pour assurer la transition, un gouvernement intérimaire a été désigné, apportant un semblant de normalité politique.
« Je m’attends au retour de la guerre car chacune des factions sert ses propres intérêts et les opposants aux élections disposent du soutien de groupes armés »
- Nabil al-Charef commerçant
Reste que les tensions entre les différents acteurs du conflit demeurent tenaces. Elles se sont aggravées avec la promulgation en septembre par le chef du Parlement d’une loi électorale controversée, taillée sur mesure pour Khalifa Haftar.
« Le principal obstacle à ces élections est l’actuel Parlement », accuse Mohamad Treich, employé dans une entreprise de télécommunication.
Les Libyens attendaient un président pour relever des défis colossaux après 42 ans de dictature et une décennie de violences. Si le règne de Kadhafi a été marqué par une implacable répression de toute velléité contestataire, les Libyens ont bénéficié de l’État-providence pendant ses années au pouvoir grâce aux revenus du pétrole.
Puis les guerres civiles de 2011 et 2014-2020 ont changé la donne : coupures chroniques d’électricité, infrastructures endommagées, inflation... ils ont subi de plein fouet les affres de l’instabilité.
« Liberté »
Autrefois attractive pour de nombreux travailleurs étrangers mais sérieusement touchée par les affrontements et la désintégration de l’État, Tripoli commençait à peine à se relever, avec des projets de reconstruction relancés par le gouvernement intérimaire ces derniers mois.
Ces efforts vont-ils voler en éclats ? Ibrahim Ali-Bek, un homme d’affaires quinquagénaire de Tripoli, pense qu’un « retour à la guerre est imminent ». Et dans ce cas, « seul le citoyen en paiera le prix ».
À l’autre bout du pays, la crise qui perdure affecte tout autant la vie des habitants de Benghazi (est), berceau de la révolte contre Kadhafi en 2011.
Mohamed El Jadi avait la trentaine à l’époque. Cet ingénieur a participé à la révolution partie de Benghazi, en quête de « liberté et plus de prospérité », se souvient-il. « Or nos conditions de vie se sont détériorées, nos salaires n’ont pas bougé malgré l’inflation et nous vivons désormais dans un environnement instable », lâche-t-il.
S’il se dit lui aussi « déçu par le report », Mohamed El Jadi estime que « les acteurs du conflit, qui se sont engagés pour la plupart dans la course à la présidentielle, savaient que leurs chances de gagner étaient faibles, d’où cette obstruction ».
Par Hamza Mekouar.
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