Rapport d’Amnesty sur l’apartheid : les murs qui protègent Israël s’effritent enfin
Les murs qui protègent Israël s’effritent à toute vitesse. Il y a un an, ce fut le groupe de défense des droits de l’homme le plus célèbre d’Israël, B’Tselem. Quelques mois plus tard, ce fut au tour de Human Rights Watch, une organisation new-yorkaise dont les dirigeants sont souvent d’anciens membres du département d’État américain.
Aujourd’hui, c’est Amnesty International, une organisation largement considérée comme l’arbitre le plus légitime lorsqu’il s’agit d’identifier des violations des droits de l’homme. Au cours de l’année écoulée, tous ces groupes sont parvenus à la même conclusion : Israël est un État d’apartheid. Selon le nouveau rapport d’Amnesty publié ce mardi, « le système israélien de ségrégation et de discrimination institutionnalisées à l’égard des Palestiniens, en tant que groupe racial, dans tous les domaines sous son contrôle équivaut à un système d’apartheid ».
Il ne s’agit pas seulement d’une critique de l’occupation israélienne. Les trois groupes soulignent depuis des décennies le mépris flagrant d’Israël pour le droit international et son recours probable à des crimes de guerre dans les territoires occupés.
Aujourd’hui, le consensus se dirige vers un terrain entièrement nouveau – un champ de bataille discursif où Israël dispose d’armes moins efficaces pour se défendre
Toutefois, Israël n’était guère inquiété tant que le débat public se limitait à l’occupation. Ses défenseurs ont rapidement appris qu’ils pouvaient toujours détourner le débat vers la question de la sécurité d’Israël en présentant toute forme de résistance palestinienne comme du terrorisme.
Aujourd’hui, le consensus se dirige vers un terrain entièrement nouveau – un champ de bataille discursif où Israël dispose d’armes moins efficaces pour se défendre. Les plus grands observateurs des droits de l’homme s’accordent à dire que tout ce qui concerne la domination d’Israël sur les Palestiniens est lié, de l’oppression militaire des personnes sous occupation au système juridique civil en Israël, qui confère systématiquement des droits inférieurs à la grande minorité de « citoyens » palestiniens nominaux du pays.
En d’autres termes, les structures d’apartheid d’Israël ne peuvent être démêlées et assurent la séparation entre les territoires occupés et « Israël proprement dit ». Tout cela fait partie du même système de domination d’un groupe ethnique et national, les juifs, conçu pour opprimer et marginaliser un autre groupe ethnique et national, les Palestiniens.
Sur le tard, les défenseurs des droits de l’homme ont fini par comprendre parfaitement que les divisions entre Israël et les territoires occupés sont purement cosmétiques. Elles servent une stratégie de relations publiques en cachant le véritable dessein d’Israël : exproprier les Palestiniens partout où ils se trouvent sous la domination israélienne.
« Pas parfait »
Il est essentiel de relever que tous les principaux groupes de défense des droits de l’homme ont désormais abandonné la distinction artificielle martelée par Israël. Israël partait du principe que ses 1,8 million de « citoyens » palestiniens – un cinquième de la population en Israël – étaient victimes d’une discrimination informelle et inconsciente, semblable à celle qui touche les minorités dans des démocraties occidentales telles que les États-Unis et le Royaume-Uni.
Le message se voulait rassurant : le traitement réservé par Israël à ses citoyens palestiniens n’était pas parfait, mais il n’était pas pire que celui des autres États démocratiques libéraux. Cela lui permettait de rationaliser son traitement brutal et répressif des Palestiniens sous occupation. L’occupation militaire était présentée comme une anomalie, imposée à Israël par la nécessité de protéger ses citoyens et ses structures démocratiques des actes violents et terroristes constants et gratuits des Palestiniens.
Le ministre israélien des Affaires étrangères, Yair Lapid, a réitéré ce discours au mot près lors d’une attaque préventive contre Amnesty. Peu avant la publication du rapport, il a déclaré : « Israël n’est pas parfait, mais nous sommes une démocratie engagée à respecter le droit international, ouverte à la critique, avec une presse libre et un système judiciaire fort et indépendant. » Pour couronner le tout, il a accusé Amnesty de se faire l’écho des « mêmes mensonges que les organisations terroristes ».
Au Royaume-Uni, le Board of Deputies of British Jews a adopté une approche similaire : « Israël est une démocratie dynamique et un État de tous ses citoyens, comme l’illustrent son gouvernement diversifié et sa société civile robuste. »
À ceci près que toutes les personnalités politiques israéliennes traditionnelles rejettent avec véhémence l’idée qu’Israël puisse un jour être un « État de tous ses citoyens ». C’est notamment l’opinion exprimée par l’ancien Premier ministre Benyamin Netanyahou. Par ailleurs, il y a quatre ans, un conseil de législateurs a même pris la décision rare d’interdire la soumission d’un projet de loi au Parlement israélien parce qu’il présentait Israël comme un « État de tous ses citoyens ».
Amnesty s’est jointe à B’Tselem et à Human Rights Watch en dénonçant ce discours comme un simple écran de fumée
En réalité, cette expression est le slogan des dirigeants palestiniens en Israël, qui mobilisent leurs partisans dans le cadre d’une campagne en faveur d’un changement radical visant à mettre fin au statut actuel d’Israël, dépeint comme un État juif raciste. Les campagnes de diversion bien rodées d’Israël et de ses défenseurs semblent s’user de plus en plus.
Amnesty s’est jointe à B’Tselem et à Human Rights Watch en dénonçant ce discours comme un simple écran de fumée. Tous admettent désormais que la minorité palestinienne d’Israël est confrontée à une discrimination systématique, structurelle et malveillante – et assimilent cette discrimination à l’oppression des populations noires et « de couleur » à l’époque de l’apartheid sud-africain.
En bref, le racisme d’Israël n’est pas un complément ou un élément temporaire. Il est ancré dans l’idée même d’un État juif.
Vers une collision
Tous ces rapports sur l’apartheid laissent entendre qu’Israël, dans sa constitution actuelle, ne peut être réformé. Comme dans le cas de l’Afrique du Sud sous apartheid, un réalignement fondamental du pouvoir dans la région doit se produire. Le changement doit être profond et global. Et comme ce fut le cas avec l’Afrique du Sud, il ne se produira pas sans une pression internationale conséquente.
C’est la raison pour laquelle Amnesty a appelé le Conseil de sécurité de l’ONU à « imposer des sanctions ciblées (telles que les gels d’actifs) à l’égard des responsables israéliens les plus impliqués dans le crime d’apartheid ainsi qu’un embargo total sur les armes à destination d’Israël ».
La Cour pénale internationale, qui examine les violations du droit international commises par Israël, attend peut-être en coulisses. Amnesty a demandé à l’institution de prolonger ses délibérations afin de déterminer si Israël se rend également coupable d’apartheid.
Il s’agit probablement d’un moment décisif pour Israël. On se dirige vers une collision entre son discours et celui de la communauté des droits de l’homme.
Une fois que l’on rejette le motif sécuritaire employé par Israël pour opprimer les Palestiniens, comme l’ont fait Amnesty et d’autres organisations en classant Israël comme un État d’apartheid même à l’intérieur de ses frontières reconnues, il ne reste plus qu’une seule position défensive : accuser ses détracteurs d’antisémitisme.
Bien entendu, c’est exactement ce que font Israël et ses partisans. Le ministère des Affaires étrangères de Lapid a publié un communiqué de presse dénonçant un rapport « fallacieux, partial et antisémite ». Employant divers vocables, les lobbies pro-israéliens ont accusé Amnesty de « diffamer » ou encore de « diaboliser » Israël. Au Royaume-Uni, le Board of Deputies a taxé Amnesty de « mauvaise foi ».
Un racisme structurel
B’Tselem, Human Rights Watch et Amnesty International savaient tous qu’ils seraient eux-mêmes confrontés à une campagne concertée de diffamation s’ils osaient présenter Israël sous un jour plus fidèle à la réalité – ce qui explique sans doute pourquoi ils ont attendu si longtemps.
Après tout, Israël n’est pas devenu un État d’apartheid il y a un an. Il l’est depuis 1948, date de sa fondation explicite en tant qu’État juif, sur la base de l’expulsion massive des Palestiniens de leur propre patrie. La communauté des droits de l’homme était tout simplement trop radioactive pour identifier l’apartheid israélien jusqu’à récemment.
Depuis des années, Adalah, un groupe juridique qui défend la minorité palestinienne, gère une base de données en ligne des lois israéliennes qui établissent une discrimination explicite selon qu’un citoyen est juif ou palestinien. Elle compte aujourd’hui plus de 65 lois.
Mais le tournant s’est produit en 2018, lorsque le gouvernement ultra-nationaliste de Netanyahou a pris une décision que ses prédécesseurs avaient pris soin d’éviter jusque-là, en inscrivant la discrimination systématique subie par les citoyens palestiniens d’Israël dans un texte de loi unique et de type constitutionnel, appelé loi sur l’État-nation juif.
C’est à ce moment-là que le barrage a cédé. Le fait de déclarer qu’Israël est la patrie nationale des juifs et uniquement des juifs a rendu inévitable un flot de rapports dénonçant un apartheid. Dans une large mesure, Israël s’est tiré une balle dans le pied.
Tout un tas de conséquences
Pourtant, Amnesty et l’ensemble de la communauté des droits de l’homme s’abstiennent toujours de clarifier tout ce qu’implique l’apartheid israélien, tel que souligné par la loi sur l’État-nation. Celle-ci stipule que « le droit d’exercer l’autodétermination nationale dans l’État d’Israël est propre au peuple juif ».
Ce droit est réservé non seulement aux juifs vivant en Israël, mais aussi à tous les juifs du monde entier. Tous – qu’ils soutiennent Israël ou non, qu’ils aient déjà vécu dans la région ou non – ont plus de droits sur les terres historiques des Palestiniens que n’importe quel Palestinien, même un « citoyen » palestinien d’Israël.
La lutte vise non seulement à mettre fin aux duperies catastrophiques d’Israël, mais aussi à celles de ses apologistes
Les organisations juives ardemment pro-israéliennes aux États-Unis et en Grande-Bretagne qui défendent actuellement Israël contre l’accusation d’apartheid savent très bien que le système qu’elles cherchent à protéger est conçu explicitement pour les privilégier par rapport aux Palestiniens dont les familles vivent dans la région depuis des générations.
Ces groupes collaborent activement à la campagne de diversion d’Israël, destinée à protéger un système d’apartheid contre toute surveillance. La prochaine étape de cette bataille, à laquelle la communauté des droits de l’homme devra s’attaquer de toute urgence et courageusement, consistera à mettre à nu cette campagne de diversion et à couvrir de honte ceux qui y participent.
Les organisations juives sionistes infligent des souffrances aux Palestiniens en excusant et en soutenant le système d’apartheid d’Israël – et se fourvoient, comme Israël, en le faisant au nom de tous les juifs.
Elles pensent être en guerre contre les détracteurs d’Israël, y compris des groupes tels qu’Amnesty. La communauté des droits de l’homme doit prendre ce combat à bras-le-corps, et non l’esquiver. La lutte vise non seulement à mettre fin aux duperies catastrophiques d’Israël, mais aussi à celles de ses apologistes.
- Jonathan Cook est l’auteur de trois ouvrages sur le conflit israélo-palestinien et le lauréat du prix spécial de journalisme Martha Gellhorn. Vous pouvez consulter son site web et son blog à l’adresse suivante : www.jonathan-cook.net.
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Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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