État islamique : pourquoi la mort de son dirigeant n’est pas un coup fatal
Après la mort du dirigeant du groupe État islamique (EI) Abou Ibrahim al-Hachimi al-Qourachi lors d’un raid américain sur Idleb jeudi 3 février, des questions se sont inéluctablement posées concernant le sort du groupe.
Il s’était produit la même chose après la mort de son prédécesseur, Abou Bakr al-Baghdadi, en octobre 2019, mais comme je l’avais fait valoir à l’époque, ce ne sont pas les bonnes questions.
L’EI survivra car c’est une organisation structurée de façon informe, dont la survie ne dépend pas de son dirigeant, mais du chaos qui l’a fait naître.
Les conditions socio-économiques et politiques qui ont amené à la formation du groupe terroriste vont permettre à son existence de perdurer.
Le précurseur de l’EI, al-Qaïda en Irak, a été créé en 2004 et était dirigé par le Jordanien Abou Moussab al-Zarqaoui, tué dans un air frappe en juin 2006. Il a été remplacé par Abou Ayyoub al-Masri, un poseur de bombes égyptien, qui, réalisant qu’un Irakien devrait jouer un rôle prépondérant dans l’insurrection irakienne, a promu Abou Omar al-Baghdadi, ancien officier de Saddam Hussein.
Tous deux ont été tués en 2010 dans une opération conjointe des forces américaines et irakiennes près de Tikrit, ouvrant la voie à Abou Bakr al-Baghdadi. Son mandat de neuf ans à la tête de l’organisation, jusqu’à sa mort en 2019, a été relativement long.
Le fameux Camp Bucca
Qourachi, qui lui a succédé, était lui aussi un ancien officier de l’ère Saddam. Il était originaire de la communauté turkmène de la ville irakienne de Tal Afar, où un certain nombre d’anciens officiers ont continué à opérer aux plus hauts échelons du groupe terroriste.
L’exclusion, l’absence de toute perspective d’emploi après 2003 et la négligence de la périphérie rurale irakienne avant et après le règne de Saddam sont parmi les principaux facteurs expliquant l’ascension de Qourachi jusqu’à la direction de l’EI. Son incarcération après 2003 a également joué un rôle.
Baghdadi comme Qourachi ont été emprisonnés au Camp Bucca, un complexe américain où les commandants de l’EI ont formé un noyau. Une fois les prisonniers libérés, galvanisés et endurcis par leur incarcération, ils ont revitalisé le groupe en perte de vitesse après 2010.
D’autres prisons près de Bagdad ont été attaquées par l’EI en 2013, libérant près de 500 détenus. Cela a fourni un groupe de commandants et de soldats essentiels pour l’offensive du groupe à Mossoul un an plus tard.
Cela soulève des questions quant au type d’organisation qui aurait pu être mise sur pied dans la prison gardée par les Kurdes qui détient actuellement des combattants de l’EI à Hassaké en Syrie, lesquels se sont enfuis lors d’une récente évasion. Reste à voir si les évadés contribueront à une résurgence de l’État islamique.
Après l’effondrement de l’État autoproclamé du groupe, Mossoul serait devenu un refuge pour ses dirigeants et simples soldats, qui ont cherché à se fondre dans la ville.
La zone frontalière anarchique entre l’Irak et la Syrie en est un autre, alors que les vestiges de l’EI se sont abrités dans les grottes de Makhmour, au sud-ouest d’Erbil.
Toutefois, en 2019 et 2021, des dirigeants de l’EI ont été retrouvés à Idleb en Syrie, ville contrôlée par Hayat Tahrir al-Cham, filiale d’al-Qaïda autrefois rivale de l’État islamique. C’est un rappel que, si la guerre civile syrienne reflue, elle n’est pas terminée pour autant et l’EI continue à en tirer avantage.
Cet examen du passé souligne les mesures politiques qui doivent être adoptées aux niveaux micro et macro par les acteurs au Moyen-Orient et ailleurs.
À l’échelle micro, la symbiose entre l’incarcération et l’EI doit être réglée, en particulier compte tenu de la dernière évasion. Les pays occidentaux dont des ressortissants sont dans les camps de Hassaké doivent commencer à les rapatrier, en particulier les enfants, qui pourraient sinon devenir les futures générations de l’EI.
Malheureusement, l’attention est focalisée sur la Russie et l’Ukraine, sans compter que l’administration Biden s’est tournée vers l’Asie, les affaires du Moyen-Orient ne sont donc plus la priorité des États-Unis ou de la communauté internationale.
Au niveau macro, la meilleure stratégie pour vaincre définitivement l’État islamique n’est pas de mener des raids américains, mais une solution politique à la guerre en Syrie ainsi qu’une aide à la reconstruction pour Syrie et l’Irak.
Aujourd’hui, l’EI est bien loin de l’ancien califat autoproclamé qui était autrefois à cheval sur l’Irak et la Syrie. Et pourtant, il subsiste.
L’EI a émergé avec l’effondrement de l’État syrien après 2011 et la diminution de la capacité de gouverner en Irak après l’invasion américaine de 2003 – des problèmes qui persistent encore à ce jour. La mort de Qourachi a porté un coup symbolique à l’EI, mais ce dernier n’a en aucun pas été vaincu.
- Ibrahim Al-Marashi est professeur agrégé d’histoire du Moyen-Orient à l’université d’État de Californie à San Marcos. Parmi ses publications figurent Iraq’s Armed Forces : An Analytical History (2008), The Modern History of Iraq (2017) et A Concise History of the Middle East (2018).
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Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation
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