« La vie est insupportable » : les Syriens endurent un hiver cauchemardesque en plein effondrement économique
Alors qu’un froid glacial balaie la Syrie, les habitants ont de plus en plus de mal à s’approvisionner en carburant dans un pays dévasté par la guerre et en proie à une crise économique sans précédent.
Tandis que les Damascènes essayaient désespérément de trouver du diesel et du bois de chauffage pour les poêles et les radiateurs le mois dernier, une neige abondante a recouvert la ville. En dehors de la capitale, se procurer du combustible pour se chauffer était souvent encore plus difficile.
« Les prix sont si élevés que chaque fois que vous quittez votre domicile, c’est une condamnation à mort en matière de dépenses, alors je reste à la maison, dans le froid »
- Mona, résidente de Damas
La pression sur les ressources est si lourde que le gouvernement du président syrien Bachar al-Assad a imposé cinq jours fériés et suspendu les travaux dans tous les bâtiments publics du 23 au 27 janvier pour économiser « autant d’énergie que possible ».
Avec la chute des températures, l’électricité, le carburant, la nourriture et l’argent sont devenus de moins en moins accessibles.
Pour les habitants de Damas comme Mona, il est impossible de rester au chaud. La Syrie vit un hiver cauchemardesque.
« Nous vivons dans un pays qui n’est plus que son ombre. Les prix sont si élevés que chaque fois que vous quittez votre domicile, c’est une condamnation à mort en matière de dépenses, alors je reste à la maison, dans le froid », confie-t-elle.
Une crise qui s’aggrave
La Syrie est au bord d’une grave crise énergétique. Les carburants tels que le diesel, que la plupart des gens utilisent pour chauffer leur maison, étaient déjà rares avant juillet, lorsque les prix avaient grimpé de 180 %.
Auparavant, les Syriens recevaient 200 litres de diesel subventionné de la part des autorités deux fois par hiver. Maintenant, ils n’en reçoivent que 50 litres, qu’ils achètent au prix de 37 000 livres syriennes (10 dollars).
Compenser ces baisses peut coûter extrêmement cher : la valeur marchande du diesel est dix fois supérieure à celle du carburant subventionné, donc acheter 50 litres supplémentaires peut coûter environ 100 dollars, une somme considérable pour une population appauvrie qui a déjà du mal à s’en sortir.
Face à la hausse des coûts et du sentiment de frustration, et alors que les solutions se font difficiles à trouver, les Syriens expriment de plus en plus leur mécontentement.
Le célèbre acteur et réalisateur syrien Ayman Zeidan a récemment déploré sur Facebook les difficultés de la vie quotidienne en Syrie, écrivant : « Je ne supporte plus la vie ici. Tout ce qui m’entoure pèse sur mon âme, je suis las. La vie dans ce pays meurtri est devenue insupportable. »
Femme au foyer, Mona est à court de mots lorsqu’elle tente de décrire la situation.
« Comment pouvez-vous expliquer qu’il faille attendre des mois pour 50 litres de carburant que vous allez utiliser en une semaine ? », demande cette Damascène d’une cinquantaine d’années.
« Je me passe parfois du chauffage au diesel, ce n’est pas dans mes moyens. On ne peut pas compter sur l’électricité, c’est un vrai combat, surtout avec le froid. »
Le gouvernement tente de répondre à la crise du carburant. Le mois dernier, il s’est engagé à « essayer de sécuriser la plus grande quantité possible de vecteurs énergétiques disponibles et de les allouer pour servir les citoyens à la lumière des conditions météorologiques ».
Cependant, Damas s’est empressé de noter que la crise était causée par des « mesures économiques injustes contre la Syrie », en référence aux sanctions économiques européennes et américaines, plutôt qu’à ses propres erreurs.
« La vie devient de plus en plus difficile »
Aujourd’hui, le salaire moyen en Syrie est d’environ 70 000 livres par mois, soit environ 20 dollars. C’est bien trop peu pour tenir le rythme de la hausse constante des prix des produits de première nécessité.
Le carburant sur le marché noir étant inaccessible pour beaucoup, les Syriens ont recours à des méthodes plus primitives et quelque peu dangereuses pour lutter contre le froid.
Mazen (45 ans), père de cinq enfants, s’est mis à utiliser un « réchaud à alcool » pour offrir à lui et sa famille un bref répit.
« Nous plaçons de l’alcool avec du coton dans un récipient en cuivre puis enflammons le coton. Le processus de combustion se poursuit pendant environ deux heures », explique-t-il à MEE.
Ce processus est loin d’être adéquat, mais Mazen dit qu’il n’a pas d’autre choix. Les 50 litres de diesel « ont à peine tenu vingt jours », précise-t-il.
« C’est la période la plus difficile de ma vie, je ne pense pas que ma situation change à moins que je ne parte »
- Emad, chauffeur de taxi
En décembre, le prix de l’essence subventionnée a été augmenté de 47 %, ce qui a également marqué une élévation de 15 % des prix des denrées alimentaires en raison de la hausse des frais de transport.
Dans ce climat économique volatil, toute réglementation est de plus en plus laborieuse à mettre en œuvre.
La forte hausse des tarifs des taxis en raison du coût croissant du carburant en témoigne : le gouvernorat de Damas a fixé un tarif horaire fixe de 5 000 livres syriennes en janvier, mais ce prix est souvent le minimum à payer pour effectuer même le trajet le plus court.
Emad (27 ans), chauffeur de taxi à Damas, indique que le manque de carburant a nui à son entreprise.
« Je passe le plus clair de mon temps soit à faire la queue pour l’essence, le gaz de cuisine et le diesel, soit à me disputer avec les clients au sujet des tarifs. Je dois augmenter les prix parce que le carburant est très cher sur le marché libre », explique-t-il.
« La vie devient de plus en plus difficile ici. Mais que puis-je faire ? Je n’ai pas assez d’argent pour partir, j’ai une femme et des enfants et je dois subvenir à leurs besoins. C’est la période la plus difficile de ma vie, je ne pense pas que ma situation change à moins que je ne parte. »
La dégradation du climat économique a également entraîné un nouvel exode, notamment chez les jeunes.
De manière inhabituelle, le ministère de l’Intérieur a révélé que 75 000 passeports avaient été délivrés entre juillet et décembre, suggérant que des dizaines de milliers de Syriens avaient quitté le pays pendant cette courte période.
Les problèmes économiques croissants ont été exacerbés par la mauvaise gestion gouvernementale et les sanctions occidentales.
Le 20 janvier, le député Nasser al-Nasser a exigé la démission du Premier ministre, déclarant au Parlement : « Il n’y a rien de nouveau, la situation empire, et il n’a rien fait pour le citoyen et son gagne-pain, il doit donc donner sa chance à d’autres. »
12,4 millions de Syriens en situation d’insécurité alimentaire
De tels propos publics sont rares dans la politique intérieure syrienne. Mais alors que la population a du mal à s’approvisionner en carburant et électricité, les tensions ne peuvent que monter. Vendredi, des manifestations ont eu lieu à Sweida et des appels à manifester se sont propagés dans plusieurs régions du pays.
Des vidéos diffusées ces dernières semaines ont par ailleurs montré des circuits électriques en feu dans les quartiers de Jaramana et Mezzeh 86 en raison d’une demande excessive dans ces zones fortement urbanisées. Ces incidents ont privé les habitants d’électricité pendant plusieurs jours.
Dans certaines parties de la campagne damascène, les foyers n’ont de l’électricité que pendant deux à trois heures par jour. Même dans les quartiers centraux haut de gamme de Malki et Adawi, la plupart des citoyens reçoivent deux heures d’électricité toutes les quatre heures depuis le début de l’année.
D’après l’ONU, neuf Syriens sur dix vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté alors que la qualité de vie se détériore lentement.
Selon les estimations, 60 % de la population risque de souffrir de la faim, le taux le plus élevé depuis le début de la guerre en Syrie.
Le Programme alimentaire mondial a révélé que 12,4 millions de Syriens étaient désormais en situation d’insécurité alimentaire, ce qui représente une augmentation de 4,5 millions de personnes au cours de la seule année 2021 et du nombre le plus élevé jamais enregistré.
Ces chiffres reflètent l’ampleur de la catastrophe socio-économique et humanitaire qui couve actuellement dans les zones contrôlées par le gouvernement syrien.
Traduit de l’anglais (original).
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