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Football : pourquoi il ne faut pas enterrer trop vite l’équipe nationale d’Algérie

Même si l’Algérie a été éliminée de la CAN sans la moindre victoire, le sélectionneur Djamel Belmadi et son équipe ont encore des motifs de fierté
Après 35 matchs sans défaite, l’Algérie est tombée face à la Guinée Equatoriale 1-0 lors de la Coupe d’Afrique des nations, le 16 janvier 2022, au grand désespoir de son coach, Djamel Belmadi (AFP/Charly Triballeau)
Après 35 matchs sans défaite, l’Algérie est tombée face à la Guinée Equatoriale 1-0 lors de la Coupe d’Afrique des nations, le 16 janvier 2022, au grand désespoir de son coach, Djamel Belmadi (AFP/Charly Triballeau)

Lorsque l’équipe nationale algérienne de football a soulevé la Coupe arabe de la FIFA en décembre, il y avait fort à parier que les Fennecs défendraient avec succès leur titre en Coupe d’Afrique des nations (CAN) quelques semaines plus tard.

Au début du tournoi organisé au Cameroun, la sélection nationale n’avait pas connu la défaite depuis 34 matches et le record mondial établi par l’Italie, qui a cumulé 37 matches sans défaite avant de tomber en octobre dernier contre l’Espagne (1-2), n’était pas loin.

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Pourtant, l’Algérie a connu une élimination retentissante dès la phase de poules en terminant à la dernière place d’un groupe comprenant la Sierra Leone et la Guinée équatoriale, respectivement 108e et 114e au classement FIFA (au moment de la publication de cet article).

Ce sont les Équato-Guinéens qui ont porté le coup fatal à la série d’invincibilité (succession de matchs sans défaite) des Fennecs en remportant une victoire surprise à Douala (0-1). 

Avec un maigre bilan d’un point et d’un but, la sélection algérienne n’était que l’ombre des formations qui ont survolé la Coupe arabe un mois plus tôt et l’édition 2019 de la CAN.

Plutôt du genre à remuer le couteau dans la plaie, le sélectionneur de la Côte d’Ivoire, Patrice Beaumelle, dont l’équipe a battu l’Algérie sur le score de 3-1 lors du dernier match de poule, a résumé la performance de ses adversaires au cours du tournoi : « [L’Algérie] n’a jamais vraiment eu confiance en elle. » 

Des qualifications qui reprennent en mars

L’équipe du sélectionneur algérien Djamel Belmadi, composée de stars locales et européennes, devra retrouver cette confiance rapidement, car les qualifications pour la Coupe du monde au Qatar reprennent en mars.

Ceci dit, c’est dans les crises que se complaisent les experts du football. Une mauvaise performance lors d’un tournoi et une poignée de défaites, surtout après une incroyable série de matchs sans défaite, exhalent généralement un sentiment de permanence. Même si certains experts les donnent déjà pour morts, il serait hâtif de tirer un trait sur l’équipe et son entraîneur.

Ce n’est qu’en replaçant les résultats du mois dernier dans le contexte des quatre dernières années que l’on peut apprécier la philosophie de Djamel Belmadi et les efforts de ses joueurs à leur juste valeur.

Un supporteur algérien brandit le drapeau de son pays après l’élimination de son équipe en phase de poules de la CAN (AFP/Charly Triballeau)
Un supporteur algérien brandit le drapeau de son pays après l’élimination de son équipe en phase de poules de la CAN (AFP/Charly Triballeau)

Le terme « réparer » était un doux euphémisme lorsqu’il s’agissait de diagnostiquer la situation du football algérien avant l’arrivée de Djamel Belmadi en 2018.

L’ancien président de la Fédération algérienne de football, Kheïreddine Zetchi, avait déclaré que le football algérien était « malade » après la non-qualification de la sélection pour la Coupe du monde 2018 en Russie. 

Au niveau local, le football était gangrené par la corruption. Les scandales de matches truqués étaient devenus monnaie courante dans une Algérie férue de ballon rond. Reflet de cette situation, l’équipe nationale a connu six sélectionneurs en cinq ans. Un changement s’imposait.

Selon le journaliste sportif algérien Maher Mezahi, qui a suivi la sélection nationale pendant la CAN, l’histoire récente des Verts (le nom de l’équipe nationale) a connu un tournant avec l’arrivée de Djamel Belmadi.

« Avant Belmadi, c’était le chaos total, les joueurs n’avaient pas l’impression que la fédération les mettait au bon endroit ou dans le bon état d’esprit pour gagner des matchs »

- Maher Mezahi, journaliste sportif algérien

« Avant Belmadi, c’était le chaos total, les joueurs n’avaient pas l’impression que la fédération les mettait au bon endroit ou dans le bon état d’esprit pour gagner des matchs », explique-t-il à Middle East Eye.

Au moment où les rênes de l’équipe nationale ont été confiées à l’ancien joueur de l’Olympique de Marseille et international algérien, les Fennecs sortaient d’une élimination en poules de la CAN 2017, en plus de leur échec lors des éliminatoires de la Coupe du monde.

La mission qui attendait Djamel Belmadi semblait insurmontable et les plus pessimistes auraient pu être pardonnés de penser qu’il allait rejoindre la lignée de sélectionneurs qui ne sont pas parvenus à remettre de l’ordre dans la maison.

En tant que joueur, Djamel Belmadi s’est forgé une réputation de milieu offensif astucieux sur le plan tactique. Il a fait ses armes au Paris-Saint-Germain dans les années 1990, avant de passer par l’OM et les clubs anglais de Manchester City et Southampton.

Après avoir raccroché les crampons, il s’est reconverti entraîneur au Qatar en prenant en main l’actuel club d’Al-Duhail, avant de se voir confier brièvement l’équipe nationale qatarie de 2014 à 2015.

Une approche fondée sur la discipline

Il a quitté l’État du Golfe en 2018 avec quatre titres de champion pour se diriger vers son prochain défi, dans son pays.

Au cours de ses quatre années en fonction, Belmadi a mis en œuvre une approche fondée sur la discipline, démontrant à la fois sa capacité d’empathie et son caractère implacable.

Né en France et d’origine algérienne, l’entraîneur des Fennecs est également bien placé pour comprendre les politiques identitaires qui inhibent parfois la cohésion au sein de la sélection algérienne.

Des milliers d’Algériens ont célébré le triomphe de l’Algérie à la CAN 2019 dans les rues du pays (MEE/Mohamed Kaouche)
Des milliers d’Algériens ont célébré le triomphe de l’Algérie à la CAN 2019 dans les rues du pays (MEE/Mohamed Kaouche)

« L’équipe nationale algérienne, depuis sa création en 1958, a toujours été un pont entre les Algériens d’Algérie et ceux de la diaspora », affirme Mahfoud Amara, professeur associé en gestion du sport et sciences sociales à l’université du Qatar.

« L’équipe nationale symbolise l’unité et rassemble des joueurs de différentes régions d’Algérie, arabes et berbères. » 

Mahfoud Amara souligne cependant que les joueurs nés à l’étranger sont souvent considérés comme des boucs émissaires par les supporteurs en cas de mauvaises performances, les accusant de double appartenance.

Djamel Belmadi a lui-même choisi de jouer pour l’Algérie plutôt que de tenter d’intégrer l’équipe de France, à une époque où peu d’autres joueurs franco-algériens ont emprunté cette voie. Cette expérience personnelle le place dans une bonne position pour rassembler les joueurs de la diaspora et les joueurs locaux.

« Prenons le cas de Riyad Mahrez, né à Paris, franco-algérien, capitaine de l’équipe nationale et joueur très talentueux qui évolue en Angleterre », explique Maher Mezahi.

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« Belmadi a vécu exactement la même chose […] [Les joueurs] savent ce qu’il a vécu [et il sait] ce qu’ils vivent. »

En bref, tant qu’ils peuvent justifier de leur nationalité algérienne et qu’ils ne considèrent pas le pays comme une solution de repli, Djamel Belmadi ne fera pas de distinction entre ses joueurs. 

Sa philosophie footballistique laisse peu de place à ceux dont les priorités ne coïncident pas avec les intérêts de l’équipe nationale algérienne.

Il l’a démontré récemment en écartant l’attaquant niçois Andy Delort, coupable d’avoir donné la priorité à son club plutôt qu’à la CAN 2021. 

Par ailleurs indifférent au statut de ses joueurs, Djamel Belmadi se fie davantage à sa perception de leurs capacités qu’à leur réputation.

Par exemple, Saïd Benrahma, révélation de West Ham, n’est que la doublure de Youcef Belaïli, qui n’avait jamais joué dans un championnat européen avant son transfert à Brest en début d’année, à l’exception d’une expérience infructueuse à Angers.

Foot, affaires et politique

L’approche de Djamel Belmadi a été confirmée par les performances remarquées de Youcef Belaïli, qui a notamment inscrit un but d’anthologie de 40 mètres contre le Maroc en quarts de finale de la Coupe arabe.

Ayant apaisé les sources possibles de mécontentement au sein de la sélection, Djamel Belmadi a pu peaufiner son approche tactique. 

Son premier test grandeur nature à la tête des Fennecs a été la CAN 2019, qui s’est déroulée dans un contexte de bouleversement politique et de révolution en Algérie, alors que des centaines de milliers de personnes étaient descendues dans les rues pour demander réclamer la fin de la corruption et la destitution du président de l’époque, Abdelaziz Bouteflika, et de tout un système.

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Alors que l’incertitude régnait en Algérie, les Fennecs ont remporté tous leurs matchs de poules sans concéder le moindre but.

Avec des joueurs tels que Youcef Belaïli, Baghdad Bounedjah, Adam Ounas (Naples), l’ancienne star de Leicester et de l’Olympique lyonnais Islam Slimani, ou encore Ismaël Bennacer, passé par les équipes de jeunes d’Arsenal et évoluant aujourd’hui au Milan AC, l’Algérie a surclassé les meilleures sélections du continent.

Elle a inscrit son nom sur le trophée continental à l’issue d’une victoire 0-1 en finale face au Sénégal, dirigé par Aliou Cissé, qui a grandi à seulement quelques kilomètres de distance de Djamel Belmadi, à Champigny-sur-Marne, en banlieue parisienne. 

L’Algérie connaît bien le lien entre le football, le monde des affaires et la politique. À divers moments, l’élite dirigeante a tenté, en vain, d’utiliser le sport pour détourner l’attention des jeunes Algériens des questions économiques et politiques.

Le cercle restreint d’Abdelaziz Bouteflika comprenait souvent des présidents et des propriétaires de clubs, tels que le magnat des médias Ali Haddad, ancien propriétaire de l’USM Alger ; cette position les distinguait ainsi clairement des supporteurs ordinaires de leurs clubs.

La place de ce type d’expression politique dans le sport remonte à la lutte anticoloniale algérienne, le sport ayant été employé comme outil pour internationaliser la quête d’indépendance de l’Algérie vis-à-vis de la France

En période d’élections, des photos d’Abdelaziz Bouteflika ornaient également les stades lors des matchs, dans l’indifférence générale des supporters.

La loyauté des supporteurs algériens envers leur club découle principalement des quartiers dans lesquels ils vivent plutôt que des affiliations politiques des propriétaires. À l’inverse, les tribunes des stades du pays sont des lieux où les supporteurs peuvent exprimer collectivement leurs aspirations et leurs frustrations.

Les chants contre l’élite corrompue du pays ont été popularisés il y a longtemps, avant même le déclenchement du mouvement populaire algérien en 2019. Les jeunes supporters ont formé une composante essentielle de ce mouvement pour le changement en Algérie.  

La place de ce type d’expression politique dans le sport remonte à la lutte anticoloniale algérienne, le sport ayant été employé comme outil pour internationaliser la quête d’indépendance de l’Algérie vis-à-vis de la France. 

« Le sport moderne, qui est l’héritage de la période coloniale en Algérie, a été utilisé à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle pour établir une ségrégation entre la communauté des colons européens et la population indigène », explique Mahfoud Amara.

Une arme diplomatique efficace

Premier club de football algérien, le Club des Joyeusetés d’Oran a été fondé par des pieds-noirs dans la ville portuaire d’Oran, dans le nord-ouest du pays, en 1894. 

Rapidement, d’autres clubs de football ont vu le jour à travers l’Algérie et sont devenus des espaces où les mouvements nationalistes pouvaient rallier du soutien.

Dans le cadre de la lutte pour l’indépendance de l’Algérie, le football a été utilisé pour contrer l’hégémonie culturelle coloniale française. L’équipe de football du mouvement nationaliste en était le meilleur exemple. 

« En 1958, le Front de libération nationale [FLN] a demandé à tous les joueurs professionnels algériens, évoluant principalement dans le championnat français, de cesser leur carrière et de se rendre à Tunis pour former l’équipe nationale algérienne en exil », raconte Mahfoud Amara.

L’équipe de football du FLN avant un match au Vietnam en 1959 (domaine public)
L’équipe de football du FLN avant un match au Vietnam en 1959 (domaine public)

Des joueurs algériens ont été recrutés aux quatre coins de la France, comme Mustapha Zitouni et Rachid Mekhloufi, qui s’apprêtaient à disputer la Coupe du monde 1958 sous les couleurs de l’équipe de France. L’ordre était simple : les joueurs étaient invités à abandonner leur carrière professionnelle et à rejoindre la rébellion nationale.  

Au cours des quatre années suivantes, l’équipe clandestine a disputé plus d’une centaine de matchs contre des équipes internationales, obligeant les pays hôtes à jouer l’hymne national algérien et à hisser leur drapeau, ce qui était une forme de reconnaissance de l’Algérie en tant qu’entité indépendante. 

Grâce à cette équipe, le FLN, principal mouvement nationaliste de libération de l’Algérie, est parvenu à créer une arme diplomatique efficace qui a servi de modèle à d’autres forces révolutionnaires à travers le monde. 

L’existence de l’équipe était un message : même si la France ne lui accordait pas son indépendance, le peuple algérien entendait affirmer sa liberté.

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Moins d’un an après l’indépendance, en janvier 1963, la Fédération algérienne de football a été officiellement créée. Le reste appartient à l’histoire. 

Avec trois participations à la Coupe du monde et l’espoir d’une quatrième cette année, on mise beaucoup sur le succès de l’équipe nationale. La détermination de Djamel Belmadi est rejointe par celle de toute une nation pour laquelle football et identité nationale sont indissociables. 

S’il peut y avoir des revers, les supporters algériens ne regrettent en rien la période qui a directement précédé l’arrivée de Belmadi.

« Cela aurait été une chose très positive pour une équipe algérienne, et surtout pour une équipe africaine, de détenir [le record de la plus grande série d’invincibilité] », explique Maher Mezahi. « C’était un motif de respect sur le continent et au-delà. Maintenant, ils doivent réessayer ». 

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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