Aller au contenu principal

Interdiction du hijab en Inde : le ciblage des étudiantes musulmanes éveille la crainte de nouveaux pogroms

L’hystérie collective, encouragée par les dirigeants du pays, s’est propagée depuis le Karnataka jusqu’aux autres États indiens, rappelant les émeutes islamophobes meurtrières de 2002
Des musulmanes participent à une manifestation après que des établissements d’enseignement de l’état indien du Karnataka ont refoulé des étudiantes portant le hijab, le 7 février 2022 à Bangalore (AFP)
Des musulmanes participent à une manifestation après que des établissements d’enseignement de l’état indien du Karnataka ont refoulé des étudiantes portant le hijab, le 7 février 2022 à Bangalore (AFP)

Des images inquiétantes filmées récemment, montrant des étudiantes musulmanes de l’État du Karnataka devant le portail fermé de leur université, en train d’implorer désespérément leur directeur de les laisser entrer sur le campus, mettent en lumière le climat dangereux auquel est confrontée cette communauté minoritaire assiégée sur le plan politique en Inde.

Ces femmes ont été interdites d’assister aux cours parce qu’elles portent un foulard ou un voile. Sans soutien de la part du gouvernement BJP du Premier ministre Narendra Modi, les jeunes femmes se sont tournées vers les médias pour plaider leur cause, dans l’espoir de pouvoir finalement passer leurs examens et assurer leur avenir professionnel.

Si les attaques et les propos haineux de la majorité hindoue de l’Inde contre les communautés non hindoues se sont multipliés ces dernières années, cette violence n’est pas nouvelle. Les musulmans sont présentés comme une menace démographique et politique particulière pour un rashtra hindou (un État suprémaciste religieux hindou). En Inde, les musulmans sont menacés de massacres, attaqués par des foules qui les obligent à scander des slogans nationalistes et religieux hindous, brutalement passés à tabac et brûlés vifs, tandis que leurs mosquées sont vandalisées.

Leur appartenance religieuse est devenue leur identité principale, utilisée pour les isoler du corps politique, comme un virus

Jusqu’à récemment, les hommes musulmans étaient la cible habituelle de l’islamophobie en Inde, prenant la forme d’actions de la police antiterroriste et de chasses aux sorcières contre le « love jihad » (les mariages mixtes). Mais aujourd’hui, les femmes musulmanes sont de plus en plus attaquées. Les réseaux de l’hindutva et leurs fantassins ont mis en ligne de fausses ventes aux enchères, prétendant vendre des femmes musulmanes et employant des insultes désobligeantes.

À son grand désarroi, la journaliste Ismat Ara a découvert que les suspects au sein de ces réseaux étaient tous des jeunes, notamment une orpheline de 18 ans. « Y a-t-il une illustration plus parlante de l’état de décomposition de la société indienne d’aujourd’hui ? »

« Pourquoi êtes-vous restés ici ? »

De jeunes hindous, hommes et femmes, ont commencé à porter des foulards de couleur safran sur les campus pour protester contre le hijab. Transformant la situation en affrontement, ils soutiennent que les droits des hindous sont compromis par les musulmanes qui portent des vêtements islamiques. Les jeunes hindous semblent déployer ces foulards contre ceux des musulmanes dans le but d’asseoir la domination hindoue. Pourtant, les musulmans forment déjà une minorité : les hindous représentent 79,8 % de la population indienne, contre 14,2 % pour les musulmans.

Les étudiantes musulmanes, stupéfaites de l’escalade des attaques contre leur identité religieuse, s’inquiètent de l’impact qu’un litige prolongé pourrait avoir sur leurs notes.

Des étudiantes arrivent à leur université dans l’État indien du Karnataka, le 7 février 2022 (AFP)
Des étudiantes arrivent à leur université dans l’État indien du Karnataka, le 7 février 2022 (AFP)

Certaines autorités universitaires déclarent suivre des ordres du gouvernement, tandis que des responsables avancent l’affirmation sans fondement selon laquelle le hijab enfreint le règlement vestimentaire des universités. Des commentateurs hystériques ont inondé les réseaux sociaux, affirmant que si le hijab et la burqa étaient autorisés dans les établissements d’enseignement, les musulmans indiens imposeraient alors la « charia » dans le pays.

L’hystérie collective, encouragée par les dirigeants politiques du pays, s’est propagée depuis le Karnataka jusqu’aux autres États. Le ministre de l’Éducation du Madhya Pradesh a récemment déclaré que le hijab serait interdit dans les écoles de l’État. Certains professeurs d’université ont exigé que les étudiants musulmans cessent de pratiquer entre eux le salut islamique (salam) et même de parler en ourdou, la langue des musulmans indiens.

Pratap Simha, un député hindou, a soutenu que les musulmans portant des vêtements religieux distinctifs devaient fréquenter des madrassas islamiques. L’Inde, a-t-il ajouté, est un pays hindou où l’islam n’a pas sa place : « Si vous insistez toujours pour pratiquer la charia, nous vous avons déjà donné un pays distinct en 1947... Alors pourquoi êtes-vous restés ici ? »

Pour les musulmans indiens, « Retournez au Pakistan » n’est pas une nouvelle raillerie, ni une taquinerie anodine. Ces mots rappellent le pogrom du Gujarat en 2002, qui avait causé la mort de 800 à 2 000 musulmans.

Au pied du mur

Du jour au lendemain, des lignes de bataille ont été tracées dans les établissements d’enseignement et les femmes musulmanes ont été mises au pied du mur.

Leur appartenance religieuse est devenue leur identité principale, utilisée pour les isoler du corps politique, comme un virus. Un responsable du Karnataka a ordonné aux femmes portant le hijab de quitter l’université, les accusant d’avoir « pollué l’atmosphère de l’université ».

On s’interroge inévitablement sur les activistes occidentaux des droits de l’homme et de la cause des femmes qui admirent Malala Yousafzai ; leur silence laisse entendre que leur inquiétude ne s’étend pas à l’avenir éducatif des Indiennes de confession musulmane

Comme dans la plupart des conflits politiques et idéologiques, le corps des femmes finit par servir de champ de bataille. L’habit des musulmanes est désormais soit un virus à éliminer, soit une cause à défendre, à la fois fétichisé et diabolisé.

Une étudiante de 19 ans s’est exprimée en ces termes : « J’avais lu sur les réseaux sociaux la discrimination dont sont victimes les musulmans dans le pays, mais j’en ai fait l’expérience pour la première fois. On m’a fait prendre conscience que je suis musulmane. Que je m’habille différemment. Je n’avais jamais pensé à ces choses-là auparavant. »

Les extrémistes hindous utilisent la question du hijab pour dépeindre les musulmans comme des marginaux et des éléments perturbateurs.

Sur les réseaux sociaux, les porte-parole d’organisations extrémistes hindoues tournent en dérision le hijab, le qualifiant d’oppressif et dressant des comparaisons fallacieuses entre le hijab des femmes musulmanes et le foulard safran des hommes hindous.

Début février, une vidéo a été relayée, dans laquelle une musulmane en tenue islamique qui se rendait seule à l’université était poursuivie par une foule de jeunes hommes vêtus de foulards safran, qui lui proféraient des propos menaçants. Au lieu de fuir, elle a scandé « Allahou akbar » (« Dieu est plus grand »). Elle a suscité l’admiration pour son courage et sa ténacité. Aujourd’hui, c’est ainsi qu’elle est connue des étrangers – comme une guerrière du hijab.

Vous n’êtes plus les bienvenus : le message de l’Inde aux musulmans 
Lire

Les musulmans indiens sont enfermés dans une identité islamique isolationniste, privés d’une identité nationale et communautaire commune, et même privés d’enseignement.

Toutefois, l’inquiétude suscitée par le sort des musulmanes indiennes s’est en grande partie limitée aux communautés musulmanes. On s’interroge inévitablement sur les activistes occidentaux des droits de l’homme et de la cause des femmes qui admirent Malala Yousafzai ; leur silence laisse entendre que leur inquiétude ne s’étend pas à l’avenir éducatif des Indiennes de confession musulmane.

Les femmes musulmanes semblent avoir le droit d’être secourues uniquement lorsque les oppresseurs sont des hommes musulmans, et seulement tant qu’elles se dissocient des pratiques islamiques et des communautés musulmanes.

- Shabana Mir est professeure associée et directrice de l’enseignement de premier cycle à l’American Islamic College de Chicago. Elle est l’auteure de Muslim American Women on Campus: Undergraduate Social Life and Identity. Vous pouvez la suivre sur Twitter : @ShabanaMir1.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Shabana Mir is an associate professor and Director of the Undergraduate Education at the American Islamic College, Chicago. She is author of Muslim American Women on Campus: Undergraduate Social Life and Identity. She tweets @ShabanaMir1
Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].