Algérie-France : tensions et incompréhensions dans les coulisses d’Évian
Les négociations entre Français et Algériens à Évian (centre-est de la France) ont été émaillées de moments de tension et d’incompréhensions avant d’aboutir aux accords ayant mis fin à la guerre d’Algérie il y a 60 ans, selon des témoignages à l’AFP.
À l’issue de ces négociations, les représentants français et du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) avaient signé, le 18 mars 1962, les accords dits d’Évian, ouvrant la voie à l’indépendance de l’Algérie après plus de sept ans de guerre et 132 ans de colonisation.
Dès sa déclaration lançant la « Guerre de libération » le 1er novembre 1954, le Front de libération nationale (FLN) s’était dit prêt à négocier avec les autorités françaises mais il faudra attendre janvier 1961 pour que des négociations directes débutent entre la France et le GPRA. Elles dureront 18 mois, la plupart du temps en secret.
Elles commencent notamment grâce au représentant du GPRA en Italie, Tayeb Boulahrouf, qui demande au président italien de l’époque, Giovanni Gronchi, au Premier ministre, Giorgio La Pira, et à l’influent patron du groupe pétrolier Eni, Enrico Mattei, de sonder le président français sur ses intentions.
Au travers des Italiens, M. Boulahrouf obtient « la confirmation que le général de Gaulle est dans l’état d’esprit de négocier avec ‘’la rébellion’’ », a raconté son fils Jalil à l’AFP.
L’atmosphère très tendue au début des négociations se relâche au fur et à mesure que les négociateurs apprennent à se connaître.
Selon une anecdote racontée par Tayeb Boulahrouf à son fils, lors des discussions de Lucerne qui précèdent en 1961 celles d’Évian, Georges Pompidou, homme de confiance de de Gaulle, est entré « cigarette au bec » alors que c’était le ramadan.
« Il a éteint sa cigarette par respect mais mon père lui a signifié qu’il pouvait fumer à son aise, car l’islam étant une religion extrêmement tolérante, cela ne posait aucun problème ».
Amar Mohand-Amer, historien algérien et résident à l’Institut d’Études avancées de Nantes, souligne à l’AFP que « dans les derniers mois, le GPRA et le gouvernement français étaient dans une logique positive, celle d’aboutir rapidement à un compromis ». Même s’il fallait parfois dissiper des incompréhensions.
Ainsi, à un moment, Lakhdar Bentobal, l’un des négociateurs algériens, a dû rappeler à l’ordre le chef de la délégation française qui s’adressait au GPRA en leur disant « vous de l’autre côté de la table », au motif que la France ne reconnaissait ni le GPRA ni le FLN.
Pour l’inciter à plus de respect, Bentobal a dressé un parallèle avec « certains hommes algériens qui ne citent jamais le nom de leur épouse, même quand ils s’adressent directement à elle ».
Pendant la phase préparatoire et les négociations, la délégation algérienne a pu compter sur le soutien de la Suisse.
Une partie des accords ont été négociés dans une première phase près de Genève et la délégation algérienne logeait dans une villa à Bois D’Avault, du côté suisse de la frontière.
Grâce au Dr Djillali Bentami, représentant du Croissant rouge algérien (CRA) en Suisse qui l’avait mis en contact avec Rédha Malek, un autre négociateur algérien, le photographe André Gazut a pu y entrer et réaliser des clichés.
Pendant la phase préparatoire et les négociations, la délégation algérienne a pu compter sur le soutien de la Suisse
Les négociateurs étaient « venus en Suisse depuis Tunis par un vol spécial de Swissair qui avait pour consigne de ne pas survoler la France », a raconté le photographe à l’AFP.
La propriété autour de la villa était surveillée par l’armée suisse « de crainte d’une opération de l’OAS [organisation terroriste française opposée à l’indépendance] contre les négociateurs ». « Il y avait même des canons de DCA [défense anti-aérienne] en cas d’apparition d’un petit avion près de la propriété », selon M. Gazut.
Le célèbre photographe Raymond Depardon a raconté en décembre au quotidien algérien Liberté comment la délégation algérienne qu’il avait suivie « impressionnait par sa décontraction et le port vestimentaire très élégant de ses membres » qui étaient « des jeunes de 30-40 ans ».
« Cela tranchait avec l’image qu’on se faisait du FLN dans le maquis, en tenue militaire », a-t-il dit.
Par Amal Belalloufi.
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