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L’effondrement anormal des colonies d’abeilles inquiète le Maroc

Au Maroc, les abeilles disparaissent mystérieusement de leurs ruches, plongeant dans l’inquiétude les professionnels et les autorités. Cette catastrophe menace une filière qui produit 4 000 tonnes de miel et 80 millions d’euros par an
 
Le Maroc comptait 910 000 ruches exploitées par 36 000 apiculteurs recensés en 2019 contre un peu moins de 570 000 en 2009, selon les statistiques officielles (AFP/Fadel Senna)
Le Maroc comptait 910 000 ruches exploitées par 36 000 apiculteurs recensés en 2019 contre un peu moins de 570 000 en 2009, selon les statistiques officielles (AFP/Fadel Senna)

Les apiculteurs marocains sont dans le désarroi. Depuis l’été dernier, beaucoup d’entre eux voient les abeilles quitter mystérieusement leurs ruches sans raison apparente.

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Un phénomène inédit qui concernerait 30 % des ruches dans plusieurs régions du royaume, selon une enquête – dont les résultats n’ont pas été rendus publics – réalisée par l’Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA).

Le pays comptait 910 000 ruches exploitées par 36 000 apiculteurs recensés en 2019 contre un peu moins de 570 000 en 2009, selon les statistiques officielles. 

La cause de leur disparition ? Dans un communiqué publié en janvier, l’organisme public s’est contenté d’affirmer que « les résultats des analyses de laboratoire […] écartent l’hypothèse d’une maladie qui serait à l’origine du phénomène de disparition des abeilles dans certaines régions ».

Cette « disparition rapide d’abeilles dans une colonie avec une perte au-dessus du taux habituellement toléré, qui se situe autour de 20 % », porte un nom : le syndrome de disparition des colonies d’abeilles, résume un membre de la Fédération interprofessionnelle marocaine des apiculteurs. Dans certaines provinces, la perte s’élève à 80 %.

Une situation qui inquiète particulièrement la filière et le ministère de l’Agriculture. D’autant plus que « le syndrome n’est pas connu des professionnels ni des scientifiques à l’échelle du pays », a signalé le ministre de l’Agriculture Mohammed Sadiki lors d’un colloque scientifique tenu à Rabat fin février.

Les insecticides pointés du doigt

« Ce phénomène, dont les véritables causes ne sont pas totalement élucidées, pose une véritable problématique à toute la filière apicole en l’absence de remèdes clairs d’intervention », a-t-il insisté.

Se référant à « des recherches et des études effectuées » pour élucider ce mystère, le ministre a cité plusieurs facteurs qui pourraient expliquer cette désertion, notamment les « conditions climatiques, telles que l’augmentation de la température et le déficit des précipitations » ainsi que « l’insuffisance des pâturages en quantité et en qualité, l’état sanitaires des ruches et les pratiques de conduite des élevages apicoles ».

Un apiculteur travaille dans le rucher d’Inzerki, au sud-ouest du Maroc (AFP/Fadel Senna)
Un apiculteur travaille dans le rucher d’Inzerki, au sud-ouest du Maroc (AFP/Fadel Senna)

Qu’en est-il de l’usage des pesticides ? Lors de son intervention, le ministre de l’Agriculture n’a pas évoqué ce facteur qualifié pourtant d’essentiel dans certains pays touchés par le phénomène, comme la France ou l’Allemagne.

Spécialiste de l’écologie des abeilles, le chercheur de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) Jean-François Odoux établit ainsi un lien entre l’effondrement des colonies d’abeilles ou la mortalité des abeilles et l’usage des pesticides en France dans les années 1990.

Selon lui, le Gaucho, un insecticide utilisé massivement à partir de 1993 sur les céréales et le tournesol notamment, marque le déclin de la filière apicole dans l’Hexagone.

« Cela a engendré des mortalités aigües puis des mortalités à retardement le printemps suivant », a expliqué pendant le colloque le chercheur, auteur du livre Écologie des colonies d’abeilles dans un paysage de grandes cultures (Éditions universitaires européennes, 2012).

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« Les symptômes d’intoxication des ruches n’étaient pas toujours les mêmes, quelquefois très pernicieux et très difficiles à comprendre. Ensuite, on a eu une succession de substances qui ont engendré le même type de problèmes, en particulier avec le Fipronil, matière active qui n’est pas un néonicotinoïde [la classe d’insecticide la plus utilisée], et qui concerne comme le Gaucho les traitements de semences », a détaillé le spécialiste.

Dans un rapport d’information publié en 2016, le Sénat français pointe du doigt ces produits qui menacent la santé de l’insecte mellifère : « Un type de pesticides a particulièrement focalisé l’attention ces dernières années : les substances néonicotinoïdes, classe d’insecticide qui agit en perturbant le système nerveux central des insectes. »

Une étude de l’INRA de 2012 a notamment mis en évidence le rôle du thiaméthoxame (une molécule de la famille des néonicotinoïdes) dans le déclin des abeilles, non pas par toxicité directe mais en perturbant leur orientation et leur capacité à retrouver la ruche. Les travaux ont montré qu’une exposition à une dose sublétale à cette molécule entraînait une disparition des abeilles deux à trois fois supérieure à la normale ».

Nectar et pollen contaminés

Si, à cette époque, ces produits constituaient un progrès dans l’agriculture « puisqu’on ne pulvérisait plus en plein champ avec des produits qui risquaient de faire des embruns polluants pour le voisinage mais [en agissant] à travers le traitement de la semence », il est aujourd’hui admis « que ces traitements de semences, utilisés par les plantes, se font à hauteur de 5 à 20 % maximum », le reste étant « diffusé dans la nature ».

« On a dû étudier toute sorte de pollution pesticide et on s’est aperçu qu’il y avait des pollutions par les poussières et avec les dégouttements. La conséquence est que le nectar et le pollen étaient contaminés et on est entré dans une période d’années noires pour l’apiculture française depuis 1993 ou 1995 », rappelle Jean-François Odoux.

« Si pour l’heure aucune maladie d’abeille n’a été détectée, les investigations ne doivent écarter aucune hypothèse, surtout celle des pesticides »

- Une source à la Fédération des apiculteurs

Vingt ans plus tard, l’Agence nationale française de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) a d’ailleurs établi, dans un rapport publié en 2015, que « la présence d’agents infectieux au sein des colonies, et l’exposition des abeilles à des pesticides de diverses origines et mécanismes d’action, entraînent selon toute vraisemblance le passage d’un état de santé ‘’normal’’ à l’expression de pathologies pouvant conduire à leur effondrement, par le biais d’une baisse de l’immunité ou d’une diminution des mécanismes de détoxication des abeilles ».

Selon une source du ministère de l’Agriculture, de nouvelles investigations sont en cours pour pouvoir déterminer avec précision la cause et l’ampleur du phénomène au Maroc.

« Si pour l’heure aucune maladie d’abeille n’a été détectée, les investigations ne doivent écarter aucune hypothèse, surtout celle des pesticides », confie à Middle East Eye une source à la Fédération des apiculteurs.

Mais, en attendant, c’est toute la filière qui risque d’en pâtir. Et pour cause : 36 % des apiculteurs sont touchés – l’ONSSA a réalisé son enquête sur un échantillon de 23 000 ruches.

Sur le plan social, les effets sont considérables, l’apiculture représentant environ 80 millions d’euros de chiffre d’affaires par an et près de 2,5 millions de journées de travail annuelles.

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La production de miel a bondi de 69 % en dix ans, passant de 4,7 tonnes en 2009 à près de 8 tonnes en 2019, avec plus d’un milliard de dirhams (101 millions d’euros) de chiffre d’affaires, selon le ministère de l’Agriculture. 

Un nouveau défi pour le département de l’Agriculture, qui doit déjà faire face aux conséquences d’une sécheresse exceptionnelle, la pire depuis 40 ans.

Mohammed Sadiki a ainsi annoncé un plan d’aide au profit des apiculteurs, allant de la « mise en œuvre d’un programme de sensibilisation sur les bonnes pratiques apicoles » à l’appui des apiculteurs pour le repeuplement des ruchers, en passant par « la mise en place d’une bonne base de données pour l’enregistrement des apiculteurs et leur traçabilité ».

Le gouvernement a, par ailleurs, annoncé une aide de 130 millions de dirhams (12 millions d’euros) pour « prendre des mesures immédiates à travers notamment l’accompagnement des apiculteurs pour la reconstruction des ruches infectées par la distribution de nouvelles colonies d’abeilles ».

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