En France, la difficile ascension des élus de la diversité à l’Assemblée nationale
Dans un café parisien, Amine Elbahi s’installe et commande rapidement un sandwich. Il doit retourner au plus vite à Roubaix, dans le Nord. C’est grâce aux électeurs de sa ville natale que le jeune Français d’origine algérienne espère décrocher une place à l’Assemblée nationale le soir du 19 juin 2022, à l’issue du second tour des législatives.
À seulement 26 ans, il est candidat pour le parti de droite Les Républicains dans la 8e circonscription du Nord. « Bien sûr, je me vois élu. Je vais créer la surprise face aux extrêmes ! », assure-t-il à Middle East Eye.
Le jeune homme a fait le tour des plateaux de télévision et des journaux au début de l’année après sa prise de position contre l’islam radical dans l’émission de M6 « Zone interdite ».
Menacé de mort, il vit désormais sous protection policière. « J’étais connu déjà un peu à droite dans ma région mais ce qui a changé, c’est la médiatisation. J’ai porté sur le devant de la scène le sujet de la lutte contre l’islamisme et surtout contre le salafisme », explique fièrement celui qui est aussi juriste.
Tout est allé très vite pour Amine Elbahi : quelques jours après la diffusion du reportage en février 2022, il est contacté par plusieurs représentants de différents partis politiques soudainement intéressés par Roubaix, l’une des villes les plus pauvres de l’Hexagone. La France est alors en pleine campagne électorale pour la présidentielle.
Le jeune homme sort de sa poche son téléphone portable pour rechercher l’un de ces messages. À voix haute, il le lit : « Monsieur Elbahi, ici Valérie Pécresse [candidate LR à la présidentielle], nous avons des amis en commun qui pensent que nous devrions nous rencontrer. Dites-moi. Vous avez tout mon soutien face aux menaces que vous recevez. »
Avec un large sourire, Amine Elbahi oublie quelques secondes son costume de candidat aux législatives et lance : « C’est énorme non ? »
Déjà rodé au discours politique, le jeune homme se reprend rapidement et poursuit : « Non, il n’y a pas d’opportunisme dans cette démarche du parti Les Républicains, c’est moi qui ai fait le choix d’être leur candidat à Roubaix. [...] Et je ne suis pas non plus un candidat issu de la diversité, je suis Français tout court. Nous sommes tous égaux, et on vit tous côte à côte. »
Une meilleure représentativité à l’Assemblée ?
En 2017, lors des dernières élections législatives, plusieurs députés présentés comme « issus de la diversité » avaient été élus. En France, les statistiques éthiques sont interdites mais le sociologue Éric Keslassy, dans un rapport publié à l’issue de ce scrutin, l’assure : « les minorités visibles » sont de plus en plus nombreuses à l’Assemblée nationale.
Pour les identifier, il s’est appuyé sur trois critères : le lieu de naissance, la couleur de peau et les patronymes. Selon cette étude, les élections législatives ont permis à 34 députés, femmes et hommes, issus de ces minorités d’accéder à un siège. Ils étaient 11 jusque-là. Soit 34 députés sur 577 au total. Le chemin pour une Assemblée nationale représentative de la diversité de la France est donc encore long.
« Les représentants politiques ne sont pas à l’image du peuple », déclare à MEE Fatima Khemilat, spécialiste de l’islam en France.
« En France, dire que les habitants des quartiers populaires ne sont pas assez représentés, c’est un discours qui ne passe pas parce que l’on considère que les élus n’ont pas besoin d’être arabe ou noir pour défendre leurs intérêts », explique la doctorante.
« Le poids politique de l’islamophobie, le procès en intention sont tels que, politiquement, il y a très peu de partis qui sont prêts à assumer d’avoir sur leurs affiches des candidats qui ressemblent au corps électoral des quartiers populaires », ajoute-t-elle.
Le 22 mai 2022, l’association Tous élus publie dans le journal Le Monde une tribune dans laquelle elle dénonce le parachutage dans plusieurs circonscriptions de personnalités déjà élues pour représenter la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (NUPES), menée par le chef de file de La France insoumise Jean-Luc Mélenchon.
« L’égalité des chances, que vous prônez, s’arrête-t-elle donc aux portes de l’Assemblée nationale ? La promotion et la représentation des femmes, de la jeunesse et de toutes les classes populaires n’ont-elles de sens que portées par des hommes (surtout) et des femmes expérimentées ? », écrit l’association à destination de la gauche.
« Le système des quotas en politique a montré son efficacité pour les femmes, mais en France, on a du mal à admettre le racisme, donc il serait impossible de mettre en place des quotas »
- Fatima Khemilat, spécialiste de l’islam en France
Quelques jours plus tôt, la NUPES publiait fièrement sur son compte Twitter la photo de ses candidates et candidats en Seine-Saint-Denis. « J’ai cru que c’était celle d’une rédac parisienne », commente aussitôt sur Twitter Latifa Oulkhouir, la rédactrice en cheffe du Bondy Blog, les rédactions parisiennes étant très souvent montrées du doigt pour leur manque de représentativité.
Plusieurs voix s’élèvent pour réclamer l’instauration de quotas pour rendre l’Assemblée nationale plus accessible, notamment aux actrices et acteurs de terrain dans les quartiers populaires.
Difficile, prévient Fatima Khemilat : « Le système des quotas en politique a montré son efficacité pour les femmes, mais en France, on a du mal à admettre le racisme, donc il serait impossible de mettre en place des quotas. Il serait extrêmement mal vu de valider le principe de quotas pour des personnes issues de minorités ethniques, en ayant un pourcentage d’Arabes, de Noirs… »
« Nous, tous, à l’Assemblée ! »
En banlieue parisienne, dans la 10e circonscription du Val-d’Oise, Sanaa Saitouli a fait les frais des vieux réflexes politiques français. Très engagée depuis plusieurs années dans sa ville de Cergy, à 41 ans, l’ancienne conseillère municipale a mené une campagne sans répit pour Jean-Luc Mélenchon lors de la présidentielle.
« À croire qu’on est bons que pour faire du porte-à-porte, des réunions d’appartement […] Clairement, une femme comme moi, racisée, qui vient d’un quartier, elle ne peut être que la suppléante d’un candidat. Maintenant, je dis stop, ça ne sera pas sans nous »
- Sanaa Saitouli, candidate aux législatives
D’origine mauritanienne et marocaine, elle a longtemps cru qu’elle serait la candidate légitime de l’union de la gauche pour les législatives, mais finalement, aux jeux des alliances politiques, c’est Aurélien Taché, le député sortant, qui a été reconduit par la NUPES.
« À croire qu’on est bons que pour faire du porte-à-porte, des réunions d’appartement », s’agace Sanaa Saitouli, jointe par MEE. « Il ne faut pas oublier qu’Aurélien Taché a fait partie de l’équipe du [président] Emmanuel Macron [centre droit] au départ, puis il est passé chez les Verts, mais il ne connaît pas la ville de Cergy ».
Décidée à ne pas baisser les bras, l’actrice de terrain se présente donc sous l’étiquette « Cergy demain », une liste 100 % locale. « Il y a un loupé, il faut nous reconnaître et nous associer aux habitants des quartiers. Mais les partis politiques préfèrent ne pas bouger. Les gens comme moi doivent toujours faire plus, et même quand on fait plus, on nous met de côté », déplore-t-elle.
« Clairement, une femme comme moi, racisée, qui vient d’un quartier, elle ne peut être que la suppléante d’un candidat. Maintenant, je dis stop, ça ne sera pas sans nous. Nous, tous, à l’Assemblée ! »
Déterminée, elle ajoute : « On a toujours voulu nous donner les miettes, mais nous on va chercher le morceau. Ça prendra le temps que ça prendra, même si on fait 1 % des voix, peu importe. On le fait dans la dignité. »
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