Guerre en Syrie : des millions de dollars d’achats de l’ONU sont captés par des sociétés proches d’Assad
L’ONU continue de passer des contrats avec des sociétés en lien avec Bachar al-Assad en Syrie dans le cadre de ses achats de biens et de services, selon de nouvelles données sur les activités d’achats de l’ONU publiées la semaine dernière.
En 2020, les agences de l’ONU ont acheté pour plus de 240 millions de dollars de biens et de services en Syrie. L’année dernière, dix-sept agences de l’ONU au total ont effectué un peu moins de 200 millions de dollars d’achats, soit une baisse de 20 % par rapport à l’année précédente. Le Programme alimentaire mondial (PAM, l’agence alimentaire de l’ONU), est l’organisme qui a dépensé le plus.
Un rapport de David Adesnik, directeur de recherche à la Fondation pour la défense des démocraties (FDD), publié le 18 juillet 2022, révèle que les agences de l’ONU ont dépensé au total 81,6 millions de dollars au Four Seasons de Damas depuis 2014. Le propriétaire du Four Seasons finance le gouvernement d’Assad, ce qui suscite des inquiétudes quant aux processus d’achats de l’ONU en Syrie. Rien que l’année dernière, l’ONU et ses agences ont dépensé au total 11,5 millions de dollars au sein de l’hôtel.
Samer Foz, qui a été sanctionné par l’Union européenne (UE) et les États-Unis, détient une part majoritaire du Four Seasons, tandis que le ministère syrien du Tourisme détient une part minoritaire. L’un comme l’autre sont proches d’Assad.
Interrogé par Middle East Eye, Ian Larson, analyste en chef chargé de la recherche sur la réponse humanitaire en Syrie au Center for Operational Analysis and Research (COAR), estime que si les données sont « décevantes, étant donné que la communauté de l’aide a pris conscience l’année dernière de la manière dont l’argent est dépensé en Syrie », on ne sait guère ce qu’il advient réellement des fonds entrant en Syrie.
« [Les données] illustrent simplement la faible attention accordée aux conséquences en aval de l’action humanitaire en Syrie », souligne l’analyste.
En 2016, lorsqu’il a été révélé qu’Assad était indirectement financé par l’ONU par le biais de contrats, un porte-parole du secrétaire général a déclaré que les dépenses étaient justifiées par un manque de choix quant aux endroits où le personnel de l’ONU pouvait être logé en toute sécurité dans la capitale syrienne.
Toutefois, même après qu’Assad a écrasé la dissidence dans les régions voisines, le personnel de l’ONU n’a pas changé d’endroit.
Un problème qui dépasse le cadre des activités d’achats
L’ONU a également fait appel à des sociétés de sécurité ayant des liens étroits avec Assad. Hashim Anwar al-Aqqad, qui est sous le coup de sanctions de l’UE, a cofondé la société de sécurité ProGuard, qui a reçu plus de 4,1 millions de dollars depuis 2015 et 600 000 dollars rien que l’année dernière.
Une autre société, Shorouk, a conclu des contrats d’une valeur d’1,5 million de dollars l’année dernière et de 6,3 millions de dollars depuis 2015. Shorouk compte d’anciens généraux dans son conseil d’administration et entretient des liens avec Maher al-Assad, le frère de Bachar.
On a également appris que par le passé, le gouvernement d’Assad a redirigé des millions de dollars d’aide humanitaire vers ses forces de sécurité et ses responsables grâce à des systèmes complexes qui ont permis de siphonner des fonds issus de l’aide internationale pendant des années.
Les données de l’ONU montrent par ailleurs que l’argent issu des activités d’achats peut aussi être redirigé vers Assad.
Natasha Hall, chercheuse principale au Center for Strategic and International Studies (CSIS), établi aux États-Unis, également coauteure d’un rapport révélant le détournement de l’aide vers le gouvernement d’Assad, pense que le problème dépasse le cadre des activités d’achats.
Elle estime que l’ONU et ses agences doivent éviter de passer des contrats avec des entités qui enfreignent les droits de l’homme, notamment avec des entreprises ou des organisations que le gouvernement Assad propose à l’ONU pour la mise en œuvre de projets.
Un exemple concerne deux entités affiliées au gouvernement – le Croissant-Rouge arabe syrien et le Trust syrien pour le Développement –, des acteurs majeurs de la réponse humanitaire en Syrie.
« Compte tenu des antécédents du régime, ce n’est pas un environnement approprié pour évaluer l’efficacité de la réponse ou le potentiel d’abus – financier et physique – [lié aux projets de l’ONU] », souligne Natasha Hall.
Des fournisseurs secrets
Ian Larson est préoccupé par le fait que le rapport sur les activités d’achats dissimule des informations sur certains fournisseurs – 55 commandes ou contrats passés en Syrie, d’une valeur totale de 33 millions de dollars, sont cachés dans le rapport.
L’UNICEF, l’agence de l’ONU pour l’enfance, n’a pas divulgué le nom de ses fournisseurs pour plus de 15 millions de dollars de biens et de services achetés l’année dernière. Un grand nombre de ces biens étaient des équipements ou des meubles, des achats qui ne comportent aucun caractère sensible.
« Il n’y a pas de raison perceptible de ne pas divulguer le nom de fournisseurs majeurs, et l’ambiguïté concernant ce financement en cascade fait qu’il est pratiquement impossible de rendre des comptes », précise-t-il. Selon l’analyste, il est grand temps de réformer le système de transparence des contrats passés par l’ONU.
« Les agences devraient mettre en place des mécanismes de retour d’information plus sûrs pour les bénéficiaires afin d’identifier les abus »
- Natasha Hall, chercheuse principale au Center for Strategic and International Studies
Selon Natasha Hall, le problème ne date pas d’hier et l’ONU a consenti des compromis il y a plus de dix ans sur les contrats et l’aide humanitaire qui n’avaient pas été évalués.
« Au minimum, les agences de l’ONU devraient avoir les ressources nécessaires pour mener des analyses contextuelles impartiales pour la programmation et des analyses des risques pour leurs projets », soutient la chercheuse. « Les agences devraient mettre en place des mécanismes de retour d’information plus sûrs pour les bénéficiaires afin d’identifier les abus. »
Même s’il reconnaît que l’ONU travaille dans des conditions extrêmement difficiles en Syrie, Ian Larson juge qu’« il est possible de parvenir à davantage de transparence et de responsabilité ».
Note de l’éditeur : une version antérieure de cet article ne créditait pas David Adesnik de la Fondation pour la défense des démocraties pour ses recherches sur les politiques d’approvisionnement des agences des Nations unies. L’article a été édité pour rendre compte de son rapport.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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